Delali, la nouvelle pièce de Abdelkader Djeriou, réhabilite quelque peu la satire politique. Abdelkader Djeriou continue sa petite révolution dans le théâtre algérien. Il vient de proposer Delali, une pièce écrite par le Youcef Mila, d'après l'œuvre de l'Iranien Bahram Beyzai, Mahkmat al adl fi balakh (Procès de justice à Balakh). La pièce a été présentée dernièrement au 9e Festival culturel du théâtre professionnel de Sidi Bel Abbès et sera présente lors du 10e Festival national du théâtre professionnel à Alger, fin mai 2015. Un roi, petit de taille, grincheux et peureux (Ahmed Soualil), vit dans un pays qui s'appelle Balakh. Il a appelé son pouvoir «Hokm ana» (Pouvoir moi) qui est un système politique hybride où la contestation est proscrite et où le souverain a tous les pouvoirs ou presque. Le petit roi, faible de caractère et soupçonneux, n'écoute que son drôle de conseiller (Abdallah Djellab) qui l'oriente comme il veut, le manipule et le déroute. Un chef militaire (Aboubakr Seddik Benaïssa), convaincu de sa force musculaire (à la couleur rose !) et de la terreur qu'il impose au peuple, entre en conflit avec le petit roi. Le peuple, représenté par un homme parfois désarticulé (Abdelilah Merbouh), tente tant bien que mal de faire «entendre» sa voix, de vivre. Le petit roi reste sourd aux clameurs de la rue. Il semble évoluer dans un trône qui ressemble à un grand lit. Le lit n'est-il pas l'endroit où s'exerce la puissance et où s'éclate la soumission ? Un journaliste de télévision (Ahmed Sahli) sert de porte-voix au petit roi. A chaque interview, le chef militaire marque sa présence d'une manière ou d'une autre. Deux bouffons (Anes Tenah et Abdelkrim Abad) veulent, eux aussi, tenter leur chance en politique, prendre le pouvoir. L'un d'eux n'utilise qu'une ou deux expressions. L'inculture mène souvent au trône ! Sur scène, des musiciens (Nadjib Gherissi, Hadj Haka, Rabah Sidhoum, Aïssa Noureddine) accompagnent le jeu des comédiens, accentuent parfois l'action dramatique et répliquent par des notes précises. La musique raï est présente, comme pour réhabiliter un certain art maudit. La trompette, l'accordéon, la guitare électrique, les instruments du raï avec ses trois villes, Oran, Aïn Témouchent et Sidi Bel Abbès complètent la voix des comédiens. Delali, le célèbre gimmick du raï, revient à chaque fois par la voix du chanteur Mohamed Ben Habib. «Sidi Bel Abbès a une relation intime avec le raï. C'est le berceau de cette musique. Le guitariste Lotfi Attar est une fierté de la ville. Il a créé son propre son (à travers Raïna Raï notamment). Sidi Bel Abbès reste une vraie pépinière de musiciens. Dans la pièce, c'est l'orchestre du palais. Aujourd'hui, certains chanteurs ont été récupérés par le système, pour moi, c'est une trahison du raï. Le raï est à l'origine une musique de contestation. A un moment donné, cette musique était interdite par les radios de l'Etat», a soutenu Abdelkader Djeriou. Delali est une pièce légère qui plonge dans une thématique profonde, inévitablement politique et forcément contemporaine. Le spectacle est en tout cas assuré. La scénographie conçue par Abderrahmane Zaâboubi a donné une allure à une représentation déjà dynamique et vivace. Les comédiens Abdallah Djellab et Ahmed Soualil ont donné beaucoup de fraîcheur à la pièce. Idem pour les jeunes Abdelilah Merbouh et Aboubakr Seddik Benaïssa. «J'ai voulu faire un travail moderne, utiliser les codes d'aujourd'hui. Le public s'intéresse à la politique quand c'est servi dans un plat de dérision. Je le dis toujours, l'élite ne m'intéresse pas. L'élite ne vient pas au théâtre. Ce qui m'intéresse, c'est le public. Et la force de l'artiste, c'est le public. Au théâtre, on ne doit pas ennuyer les gens, faire de la philosophie. Dans la pièce, il y a la comédie, la musique, le chant. Le théâtre populaire rassemble toutes les catégories de la société», a relevé Abdelkader Djeriou.