Trop d'impôt tue l'impôt.» L'adage n'a jamais été aussi vrai qu'aujourd'hui. Englué dans une crise financière et budgétaire, le gouvernement algérien instaure un traitement de choc, comprenant austérité et hausse des taxes sur la consommation, qui n'est pas du tout du goût des contribuables ordinaires. Car dans notre pays, et au-delà des objections naturelles que peut susciter le paiement d'un impôt, celui-ci est souvent synonyme d'iniquité, et le fisc généralement assimilé au percepteur. Se pose alors la question sur les raisons de cette exception bien algérienne. Gaëlle Obono Metoulou, docteur en droit privé à l'université Paris-Dauphine, explique : «Le système fiscal est nécessairement conçu sur la base d'une équité dite fiscale.» Elle explique aussi que «si les contribuables ont le sentiment d'être lésés par le système fiscal, c'est aussi à cause de la perception qu'ils ont de l'impôt» comme «une atteinte au droit de propriété des individus». Et c'est dans ce sens que notre interlocutrice estime qu'«il serait opportun de renouveler la perception de l'impôt en montrant au contribuable la logique du système fiscal, afin qu'il y adhère et qu'il ait le sentiment de consentir à l'imposition». Les problèmes du système fiscal algérien se résument-ils pour autant dans des questions de perception et de communication ? Car il faut en convenir, la crise actuelle met à nu certains dysfonctionnements du système fiscal algérien qui tire l'essentiel des ressources grâce à la retenue à la source. Aussi en pleine crise, et où il est pourtant nécessaire et naturel d'augmenter et de diversifier les recettes budgétaires, chaque contrôle fiscal et chaque taxe supplémentaire sont vécus par les contribuables déclarés au titre de l'IRG comme une injustice supplémentaire, au moment où des fortunes colossales échappent au fisc malgré une amnistie encore mal assumée. Crise de confiance C'est cette dichotomie du traitement fiscal des contribuables que l'ex-gouverneur de la Banque d'Algérie, Badreddine Nouioua, met à l'index et n'hésite pas à évoquer «une iniquité manifeste». Il pense qu'en tant de crise, l'austérité est naturelle, mais «cette austérité doit être équitable». Celui-ci explique ainsi que l'essentiel des ressources ordinaires est tiré des retenues à la source, soit l'impôt sur le revenu global (l'IRG sur salaires constitue plus de la moitié du produit des contributions directes), la TVA (plus de la moitié du produit de l'impôt sur affaires) et le produit de la douane, tandis que l'impôt sur le patrimoine ne rapporte que très peu (0,02% des contributions directes). Il estime que des pans entiers échappent ainsi au fisc. Peut-on dire, pour autant, que le fisc tombe dans la facilité en taxant le revenu et la consommation plutôt que le patrimoine ? Le fait, explique encore M. Nouioua, est que le problème «ne réside pas tant dans l'incompétence de l'administration fiscale que dans le fait que celle-ci n'est, le plus souvent, pas écoutée lorsqu'il s'agit de présenter des solutions». De même, M. Nouioua pense que le fisc ne dispose encore des moyens nécessaires lui permettant un meilleur suivi des contribuables. Il cite à titre d'exemple l'absence de coordination entre les services du fisc et ceux du cadastre, laquelle permettrait pourtant à l'administration des impôts de mieux appréhender le patrimoine foncier des contribuables et débusquer ainsi, dans une certaine mesure, les fraudes. Il explique aussi que l'une des plus grandes failles du système déclaratif dans notre pays, est que l'administration souffre d'un certain discrédit. M. Nouioua pose ainsi le problème de la défiance entre les contribuables et les administrateurs, une défiance alimentée par le manque «de maîtrise de la dépenses publique» et appelle ainsi à des comportements plus responsables de la part des administrateurs. L'ex-gouverneur de la Banque d'Algérie évoque aussi certains facteurs qui alimentent la délinquance fiscale. Il explique ainsi que l'opération de mise en conformité fiscale volontaire peut alimenter un certain sentiment d'impunité, tant l'échec de l'opération peut être perceptible dès aujourd'hui. M. Nouioua précise ainsi que «le volume de monnaie fiduciaire circulant sur le marché était de 26% pour un peu plus de 3700 milliards de dinars, il y a quelques mois. Il est passé à près de 30% pour un peu plus de 4000 milliards de dinars en septembre 2015, malgré le lancement de la MCFV (mise en conformité fiscale volontaire) entre temps». Ce qui fait dire à l'ex-gouverneur de la Banque d'Algérie que ces données ne font que confirmer que le véritable problème est celui de la confiance. Autrement dit, l'élargissement de l'assiette fiscale et la diversification des ressources devront passer par une adhésion des contribuables, laquelle ne peut être possible qu'avec des administrateurs comptables de leur gestion face à leurs administrés. La dichotomie du traitement fiscal touche-t-elle uniquement les deux pans que sont les ménages, et les commerçants ? Le PDG du groupe privé, NCA Rouiba, Slim Othmani, relève la tendance de «l'administration fiscale à surtaxer les bons payeurs» et «à multiplier les contrôles fiscaux en ce sens». Une tendance que l'on peut observer dans beaucoup de pays, ajoute-t-il. Cependant, il estime que le système fiscal, et «outre de ses fondamentaux d'équité sociale, porte une vision économique». C'est dans ce sens qu'un effort fiscal, ou avantages fiscaux sont consentis, en direction des secteurs à promouvoir. Or le chef d'entreprise constate la même dichotomie dans le traitement fiscal au sein même des entreprises, et dont pâtit le «secteur des services qui est le parent pauvre» de politiques fiscales initiées par les pouvoirs publics. M. Othmani critique aussi la MCFV estimant qu'il est «étrange qu'une telle opération s'adresse aux individus, plutôt qu'à l'entreprise». Il explique aussi que pour créer de l'équité fiscale, «il faut d'abord assainir la situation par une véritable amnistie fiscale, mais aussi en renforçant l'administration fiscale par des outils modernes pour ne plus tomber dans le deux poids deux mesures».