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les conclusions
Congrès Mouvements humains et immigration
Publié dans El Watan le 30 - 09 - 2004

Le dialogue intitulé Mouvement humains et immigration a rassemblé des personnes du monde entier autour de l'idée que la mobilité humaine peut être un véritable vecteur de développement complet du potentiel humain et aider à construire un monde progressivement plus équitable.
Pendant les trois derniers jours du congrès, les vastes complexités du phénomène de la migration ont été examinées sous tous les points de vue possibles : de la foule de motivations humaines qui se cachent derrière des décisions individuelles aux motivations communes à tous les groupes humains ; de façon dont les nouveaux migrants bousculent nos valeurs et nos cultures aux dilemmes qui se posent aux gens qui se battent pour conserver une cohésion sociale ; de la façon dont l'industrie cinématographique et les médias façonnent nos positions face au phénomène de la migration à l'idée que le développement peut offrir aux migrants de vraies opportunités pour ne pas quitter leur pays. Les présentes conclusions souhaitent résumer notre point de vue sur les défis qui se présentent à la communauté internationale, lorsque celle-ci doit gérer ce phénomène, qui est un phénomène complexe. Elles présentent également nos réflexions sur la façon dont la migration peut donner un élan de paix, de prospérité et de meilleure entente entre tous, au lieu d'être source de tensions et de conflits entre les peuples.
1- La migration : un phénomène en hausse
A mesure que nous avançons dans le XXe siècle, nous observons que les processus de mondialisation contribuent à l'intensification des mouvements migratoires. Il y a, d'un côté, une augmentation des déplacements de ceux qui possèdent un haut niveau de formation (ce qui est logique puisque, au bout du compte, le capital humain est la force motrice de la mondialisation). Et il y a, par ailleurs, une déliquescence des modes de vie traditionnels (puisque les changements structurels déstabilisateurs sont une conséquence inévitable de la mondialisation). La convergence de revenus que nous attendions du processus de mondialisation n'a toujours pas modifié le niveau de vie des nations les moins développées de la planète. De fait, lors des cinquante dernières années du siècle dernier, l'écart séparant les pays riches des pays pauvres n'a fait que se creuser, donnant ainsi de nouvelles raisons aux gens d'abandonner leur foyer et partir à la recherche de perspectives plus souriantes.
2- Complémentarités démographiques
Nous sommes néanmoins conscients du fait que, dans un avenir assez proche, nous connaîtrons un important changement démographique mondial. De nombreuses régions sont inéluctablement destinées à connaître une importante transition démographique qui, lors des prochaines décennies, modifiera profondément leur société et leur économie. La croissance de la population mondiale va connaître un ralentissement rapide et le poids relatif de chaque continent sur la distribution de la population s'en verra considérablement modifié. Par bonheur, il existe suffisamment de différences entre les régions pour que des complémentarités s'installent : en effet, les régions dont les populations sont décroissantes et vieillissantes peuvent bénéficier des régions aux populations beaucoup plus jeunes.
3 - La complexité des causes
Les circonstances et les motivations qui poussent les populations à la migration massive sont nombreuses et complexes. Certaines sont liées à la différence d'opportunités économiques, d'autres sont une réponse à l'injustice, à la persécution et à la violation des droits de l'homme, d'autres encore sont en rapport avec des conflits violents ou avec la détérioration du milieu naturel. Des millions de personnes se déplacent, car la communauté internationale n'a pas su éviter l'escalade de la violence dans les conflits politiques. Il faut absolument consacrer davantage de moyens à la prévention de conflits porteurs de chaos qui se soldent par des mouvements massifs de réfugiés, et il faut répartir plus équitablement les besoins et les responsabilités qui les occasionnent.
4- Éviter les effetoindésirables
Notre mode de gestion actuel de la migration contribue-t-il à créer les sociétés que nous désirons ? Pouvons-nous accepter une situation où des hommes et des femmes courent le risque de se noyer dans les océans ou de tomber entre les mains de contrebandiers et de trafiquants d'êtres humains parce qu'ils souhaitent faire le travail dont notre population ne veut plus ? Pouvons-nous trouver satisfaisant qu'un nombre croissant d'habitants de nos communautés soient obligés de travailler et de vivre dans l'ombre de l'irrégularité à cause de la façon dont ils se sont introduits dans notre société ? Dans les déplacements actuels, on observe une augmentation de la proportion de femmes attirées par le nombre accru d'occasions de travail non déclaré proposées dans les sociétés les plus riches, parmi lesquelles se trouvent aussi des organisations criminelles qui forcent de jeunes femmes à exercer la prostitution. Sur le marché du travail, la plupart d'entre elles pâtissent du double handicap d'être migrantes et femmes. Or, dans toutes les sociétés, les femmes jouent un rôle critique dans la socialisation de leurs enfants : il faut donc se demander de quelle façon la migration peut affaiblir les familles et, éventuellement, toute la société. Il faut absolument trouver des moyens pour que les déplacements humains soient une expérience positive pour tous. Pour cela, il faudrait probablement commencer par reconnaître que les conditions de vie doivent être améliorées partout dans le monde, de telle sorte que les personnes qui décident de migrer le fassent librement, parce qu'elles désirent le faire, et non pas poussées par le besoin et, souvent, par le désespoir. Le défi de gérer les migrations n'est donc rien d'autre que celui d'accroître le développement.
5- Repenser les concepts
Si nous souhaitons que la migration contribue au progrès économique, à la cohésion sociale, à la justice et à la paix au XXIe siècle, nous devons commencer par remettre en cause nos propres convictions sur la migration. Les sociétés humaines ont évolué en passant de la tribu au peuple, de l'Etat à l'union d'Etats. Devons-nous continuer à étiqueter les personnes uniquement en fonction de leur nationalité ou de leur citoyenneté alors que, de plus en plus, les sociétés créent des individus ou des groupes aux identités nationales et culturelles multiples ? Interrogeons-nous sur la pertinence de notre mode de régulation des déplacements dans un monde caractérisé par ses chaînes de production mondiale et ses sociétés multinationales, où les industries du savoir, dépourvues de bases spatiales, sont en train de devenir les principaux moteurs de croissance de l'économie mondiale. De même, nous entrons dans un siècle qui semble reconnaître les droits humains des individus par-dessus ceux des Etats. Si l'on ajoute à cela la perte d'importance des distances dans les communications modernes, tout indique qu'il faut élaborer de nouveaux concepts pour comprendre les exigences des économies modernes et des sociétés, pour libéraliser les déplacements des personnes à travers les frontières nationales et pour assouplir l'accès à la protection sociale dans les différents pays. Nous sommes convaincus que ces mesures permettront aux migrants de jouer à nouveau le rôle important qu'ils ont joué par le passé dans la dynamisation des sociétés et des économies et dans la promotion d'une convergence plus rapide des modes de vie entre les régions.
6 - Un enrichissement mutuel
Quelles que soient les raisons qui ont provoqué les déplacements des personnes, les migrations enrichissent cultures et sociétés : l'histoire le démontre. Une société sans échanges d'artistes et d'écoliers, de commerçants et de travailleurs, et même d'aventuriers et de délinquants, est une société sans vie. Les déplacements apportent de nouveaux goûts et de nouveaux modes de vie, de nouvelles philosophies et de nouvelles idées. Les migrants sont des acteurs essentiels de l'introduction de changements dans les sociétés traditionnelles. Ceux qui ont fait l'expérience de vivre dans des sociétés plus libres ont été, à leur retour dans leur pays d'origine, les principaux divulgateurs des principes de la démocratie et des libertés. Les migrations et l'existence de familles et de communautés transnationales tendent des ponts qui accélèrent progressivement les changements sociaux dans les pays d'origine.Les migrants sont aussi le soutien économique de nombreuses familles et communautés. L'argent que les pays en développement reçoivent des travailleurs est en soi une énorme et solide source de revenus. Cet argent est, par ailleurs, explicitement destiné à subvenir aux besoins de ceux qui le reçoivent. L'augmentation des flux de virements, rendue possible grâce à un renforcement des infrastructures financières, unie à une promotion d'investissements éventuels doit avoir, sans aucun doute, des retombées importantes sur la pauvreté mondiale et le développement. Nous sommes convaincus que la promotion de la mobilité transfrontalière de l'emploi se traduira par d'importants bénéfices pour tous. C'est pourquoi nous applaudissons à toutes les initiatives qui se traduisent par l'élargissement des marchés régionaux de l'emploi en permettant aux gens de quitter des régions où le potentiel de développement est faible pour se rendre dans des régions où ils pourront être plus productifs.
7- L'intégration et la cohésion sociale
Les sociétés d'accueil doivent relever le défi de promouvoir la cohésion sociale dans un environnement où la diversité ne fait qu'augmenter. Ce défi signifie qu'il faut respecter les valeurs de la société d'accueil tout en sachant reconnaître et apprécier le pluralisme culturel et religieux. Il signifie qu'il faut aller vers uneplus grande égalité difficilement atteignable si l'on n'a pas négocié au préalable une plus grande aide sociale pour les personnes qui font face à des difficultés accrues en raison des différences culturelles ou linguistiques, d'une santé précaire ou d'un manque de formation. Le besoin de construire des infrastructures sociales et des institutions politiques capables de promouvoir la non-discrimination et de permettre aux minorités et aux immigrants de participer à leur propre intégration sociale est un besoin flagrant. L'investissement dans l'intégration sociale est un investissement très rentable. Les migrants et les communautés de migrants sont un capital social substantiel. Ils disposent de nombreuses ressources pour créer des commerces et des communautés qui subviennent à leurs propres besoins grâce à leurs connaissances, leurs liens, leurs réseaux.
8 - Apprendre à vivre ensemble
L'intégration sociale ou l'apprentissage du vivre-ensemble sont devenus difficiles en raison des images négatives véhiculées au sujet de la mobilité humaine. Pour corriger cette image, il faut fournir un effort collectif dans tous les domaines, notamment dans les mass media. Cet effort commence au niveau de l'éducation des jeunes, chez qui il faut encourager des attitudes positives envers les personnes à l'origine ethnique ou culturelle différente de la leur. Ces attitudes s'adoptent dans l'enfance ; plus tard, elles sont plus difficiles à acquérir. Il convient en outre de favoriser un environnement urbain et familial qui insiste sur les valeurs de la justice et qui encourage le dialogue. Les villes y joueront un rôle essentiel, puisque c'est là que se trouvent la plupart des opportunités de travail et qu'il y a des espaces publics pour la citoyenneté. Les communautés de migrants ont elles aussi leur responsabilité dans la construction de l'opinion publique.
9 - Des politiques basées sur la négociation
Les Etats doivent déterminer les stratégies et les instruments qui permettront de promouvoir les modes de migration qui servent au mieux leurs intérêts, tout en protégeant les droits essentiels des migrants et en contribuant au développement du pays d'origine de ces derniers. Il n'y a pas de solutions simples ; il n'y a pas de modèles politiques parfaits. Les processus de négociation politique sur la migration doivent devenir plus transparents : il existe, en effet, un grand nombre d'agents impliqués ainsi que de nombreux intérêts, parfois divergents. Les politiques de migration seront vouées à l'échec tant qu'elles ne seront pas établies en cohérence avec les politiques relevant du domaine du commerce, de l'investissement et de l'intégration sociale. Le besoin de dialogue social pour la construction des politiques de migration est impérieux ; en effet, les politiques établies sur des consensus fragiles tendent à ne pas avoir d'objectifs clairs et sont susceptibles d'être manipulées en vue d'obtenir des bénéfices politiques à court terme. Les politiques ne peuvent pas être insensibles à la complexité de la condition humaine, et elles doivent, en même temps, être capables de protéger les intérêts de la société d'accueil. Des politiques ignorant la logique du marché du travail et les limites de la régulation seront en effet peu efficaces.
10 - La coopération internationale
La gestion de la migration requiert une pensée créative (car elle évolue constamment) mais aussi une coopération internationale. Il faut générer une coalition des intérêts non seulement dans les pays mais aussi entre les pays, afin d'établir des formes de migrations plus ordonnées. Et il faut générer la volonté politique de partager la responsabilité de leur gestion. Malheureusement, après le 11 septembre, le souci de la sécurité a débouché sur un renforcement excessif du contrôle des courants migratoires. Nous croyons que la mobilité humaine est un bien public mondial, dont la production et la consommation exigent un système multilatéral dans ses règles et ses principes afin de contribuer à la construction d'un monde plus juste. Les Nations unies et d'autres organisations internationales et intergouvernementales ont un rôle essentiel à jouer dans la formulation et dans la promotion de principe acceptables pour tous et susceptibles de définir un cadre multilatéral de gestion de la migration. Finalement, nous partageons une vision d'un monde plus intégré, où les femmes et les hommes se déplacent non pas poussés par la faim ou le désespoir, parce que leurs droits ne sont pas respectés ou parce que leur vie est menacée, mais parce que, en se déplaçant, ils peuvent développer leur potentiel humain au maximum et exprimer toute leur créativité.


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