Les protestations des chômeurs sont devenues une fatalité face à des mécanismes de l'emploi qui connaissent plusieurs dysfonctionnements et la loi du passe-droit. Le sable s'insinue partout. Le vent qui le dissémine l'inocule en tout lieu, surtout dans les yeux. Alors on y voit plus très bien. L'ocre de Ouargla devient gris, jaune foncé, parfois. Cela aveugle et donne des céphalées qui brouillent la pensée en cette saison des vents de sable avant le printemps chaud du Sahara vers avril-mai. Même les avions d'Air Algérie on du mal à s'acquitter de leur devoir d'assurer les rotations. Mais il n'y a pas que le sable dans les yeux qui aveugle. Parce que lorsqu'on entend le discours de l'exécutif local qui parle de «chômeurs de luxe» et de «manipulation», on y décèle rapidement l'aveuglement des autorités locales et centrales. Le plus grand bassin d'emploi du pays, la «capitale de l'or noir», pour reprendre Malek, chômeur protestataire de Ouargla, serait sujet à des opportunistes fainéants et objet de manipulation de plusieurs douzaines d'organisations internationales ou de services secrets étrangers, de la Fondation Soros et Freedom House à la CIA ou la DGSE, etc. (voir liste surréaliste et complète chez les paranos des services de sécurité algériens et leurs médias y afférents). «Les puissants et les services secrets du monde entier, en se réveillant le matin, de Pékin à Washington, quittent leur lit avec cette idée obsédante : ‘‘Bon, qu'est-ce qu'on va faire avec l'Algérie ?''», ironise Tahar Belabbès, las, les traits tirés, leader du mouvement des chômeurs de Ouargla, qui s'est retiré, depuis, de la direction du Comité national de la de défense des droits des chômeurs (CNDDC). «Il est vrai que le rythme des protestations des chômeurs a diminué depuis 2013 à Ouargla et ailleurs dans la wilaya, reconnaît Khaled du bureau local de la Ligue algérienne des droits de l'homme. Mais malheureusement nous assistons aux mêmes dysfonctionnements dans l'octroi des postes. Il y a toujours autant de passe-droits et d'opacité.» Anem «Depuis 2013 et la manifestation géante du 14 mars à Ouargla, les choses ont un peu évolué, nous étions sous les projecteurs des médias et le gouvernement avait compris qu'il fallait en urgence améliorer le système de l'emploi dans les zones pétrolières, admet Abdelmalek Aybak, ex-n° 2 du CNDDC. Mais sur le terrain, après un léger mieux, les choses sont redevenues comme avant, l'Agence de l'emploi n'est plus surveillée et les entreprises font ce qu'elles veulent.» Une bonne partie de l'aveuglement des autorités est causée par ce paradoxe : au moment où l'Etat tente une meilleure approche de la politique de l'emploi, les problèmes persistent, les chômeurs protestent et occupent la rue deux à trois fois par mois depuis trois ans. Saâd Agoudjil, wali de Ouargla, très bon connaisseur de la région – il était secrétaire général de la wilaya de 1998 à 2002 – insiste sur le fait que l'offre est supérieure à la demande et que le secteur de la formation professionnelle a triplé son offre. D'où son agacement face aux dernières protestations, allant jusqu'à parler de «chômeurs de luxe» ! «Je suis resté trois ans sans emploi, j'ai abandonné l'idée de trouver un travail en rapport avec ma licence en droit, j'ai essayé de travailler sur des chantiers, mais les entrepreneurs s'enfuyaient avec la caisse et nos salaires, je m'inscris chaque mercredi à l'ANEM de ma commune, sans succès, et je passe mes journées à chercher un poste, énumère Malek, 28 ans, qui a fini, en désespoir de cause et après un mois de sit-in, par se taillader le corps le 24 février devant la wilaya. Nous ne sommes pas des chômeurs de luxe, nous ne demandons pas des milliards. On veut un travail et c'est tout.» Logiciel La wilaya évoque la transparence et l'efficacité du Wasit, un portail web de l'ANEM qui a pour objectif de rendre visible les demandes et les offres d'emploi. «Que peut un logiciel contre la mafia de l'emploi, s'emporte Ahmed, 30 ans, habitant le quartier Roussiat à Ouargla. Si au niveau de la wilaya il y a une certaine transparence chez l'ANEM, tout se perd dès que les offres arrivent au niveau local. Il y a des centaines d'emplois qui se perdent ainsi, qui deviennent un fonds de commerce, qui sont monnayés ou distribués aux amis et à la famille des fonctionnaires. Est-ce normal que je ne peux même pas trouver un poste de manœuvre depuis trois ans ? Est-ce normal que toutes les entreprises ici ou à Hassi Messaoud acceptent la règle des 5%, c'est-à-dire le quota automatiquement prévu pour les enfants des puissants ?» «Après la marche du 14 mars, Sonatrach a décidé de relancer la formation des soudeurs homologués, bien. Mais les gars de la toute première promotion de 2013 sont encore au chômage», indique Aybak qui parle de «mesures d'urgence décidées à la va-vite, mais sans réel impact sur le terrain». Le sable aveugle. Les urgences aussi. Comme cette histoire de commission d'enquête envoyée par Sellal à Ouargla un an après la manifestation de mars 2013 : présidée par le directeur général de l'ANEM (donc juge et partie), elle n'a fait que constater que tout allait pour le mieux !