Si Mustapha et son groupe arrivent à la ferme Benmansour avant la tombée de la nuit en cette journée du 24 novembre 1958. Une pluie fine tombe doucement. Très fatigué du périple accompli, il décide de passer la nuit. Les responsables OCFLN lui rendent visite et pourvoient à la restauration et à l'hébergement du groupe. Avant de se coucher, Si Mustapha procède avec son secrétaire, Ahane Mohamed Rezki, à un dernier examen des affaires administratives et militaires courantes. Du fait de son accession au poste de responsable militaire de la Région III avec le grade d'aspirant en juin 1957 et en application des directives de la plateforme de la Soummam, le responsable militaire doit rendre compte à la hiérarchie, Conseil de région et Conseil de zone, de toutes les opérations effectuées sur le plan militaire : intendance et finances. Après deux heures de travail studieux et un dernier tour d'inspection des sentinelles, à minuit Si Mustapha décide de se mettre au lit. La pluie redouble d'intensité, Si Mustapha, fatigué, s'endort profondément en toute confiance, car il avait fait quelques passages et tout cela s'est bien passé sans aucun incident. Minuit trente il fait une nuit noire, le délateur enfourche son vélo et s'enfonce. Sur l'asphalte, il pédale vite malgré la pluie et le froid, la sueur suinte sur son corps, mais il continue avec vigueur. Peu après, une demi-heure au plus, il est devant l'entrée du camp et demande à voir le capitaine Mathieu, le traître connu pour ses relations privilégiées avec l'officier. Informé, le criminel se lève tel un bulldog et flaire le scoop. Qui oserait en fait réveiller le tortionnaire pour une broutille. Il fait entrer le délateur dans sa villa, celui-ci lui explique qu'il a pour lui une information de première importance à lui communiquer, à savoir qu'un groupe de moudjahidine avec Si Mustapha, parmi eux, est hébergé à la ferme Benmansour. Le capitaine Mathieu lui conseille de rentrer immédiatement à son domicile dans la discrétion et d'éviter tout contact même avec ses proches et de veiller à ce que le renseignement ne s'ébruite pas. Le capitaine Mathieu informe le commandant Montas, chef du sous-secteur Est, quartier de Menerville de la l0e Région militaire qui, à son tour, informe le colonel de la zone Nord-Algérois, chef du secteur de Aïn Taya, son supérieur hiérarchique. Ordre est donné par le colonel aux militaires des camps de Félix Faure, Courbet et Germain de faire mouvement vers l'objectif et de stopper les engins et camions à 6 km afin d'éviter que les moudjahidine ne soient réveillés par le bruit des moteurs et autres engins. Les troupes de Félix Faure et de Courbet entreront, côté nord, laisseront les GMC et engins, chars, half-tracks bien camouflés au niveau du douar Hadj Ahmed et progresseront en fantassins. Les autres unités venant d'Isserbourg et du camp Germain laisseront le matériel motorisé au niveau du camp Germain et rallieront le point de rencontre dans les mêmes conditions que les premiers, le déploiement des troupes françaises enveloppe progressivement la zone. Vers 3h30, le colonel chef du secteur de Aïn Taya arrive avec un groupe des forces spéciales. Briefing avec les officiers avec comme directive, mettre en place des centres concentriques au tour de la villa R+ 1 et de la ferme avec des fantassins. Les lignes sont à 200 m de la ferme, et tout cela s'est effectué dans une obscurité impénétrable avec une légère pluie. Le dispositif mis en application referme l'étau sur la ferme grâce au bouclage sur les hauteurs et extrémités. Il est 5h, les maquisards commencent à s'éveiller. Ils sont loin de se douter du traquenard dressé par l'ennemi et cela suite à la traîtrise d'un compatriote. La nuit est toujours noire et la visibilité est très réduite. Après avoir pris son café, Si Mustapha, accompagné de ses fidèles compagnons, Harfouchi Mohamed dit Moh Cheikh et Guettitèche Mohamed dit M'hamed Belghoul, sort à l'extérieur. Quelques pas dans la nuit noire et si Mustapha s'arrête et tend l'oreille. Il semble entendre des mots en français et demande à ses hommes d'essayer de capter ces voix mystérieuses. Moh Cheikh et M'hamed Belghoul confortent l'observation de Si Mustapha. Ils ont bien entendu des voix et vite son sang ne fait qu'un tour. Il sait maintenant qu'ils sont encerclés et qu'ils ont été vendus à l'ennemi. Vite les trois hommes rejoignent la villa et réveillent leurs autres compagnons. Le secrétaire, Abane Mohamed Rezki, et le commissaire politique, Belaïd Mustapha, dit Tachtache. Si Mustapha donne ses instructions à Abane Mohamed Rezki et Belaïd Mustapha d'être sur leur garde et de veiller sur la sécurité de la villa, quand à lui et les deux maquisards, ils testeront les lignes de défense de l'ennemi. Si la percée réussit, M'hamed Belghoul viendrait chercher les deux moudjahidine de la villa R+1. Si Mustapha et Moh Cheikh assureront la couverture lors de la deuxième percée. Dès l'arrivée du trio de maquisards à l'entrée de la première ligne, des fusées éclairantes halaient le ciel et un déluge de feu s'abat sur les maquisards. On n'y voit comme en plein jour, les maquisards reviennent vers la villa, Si Mustapha en chef avisé sait maintenant qu'il y aucune issue, sauf le combat dans l'honneur conformément à la devise du secteur IV «Allah yarham», vaincre ou mourir. Si Mustapha organise lui-même la défense de la villa, lui et M'hamed Belghoul sont équipés de mitraillettes Thomson, Moh Cheikh d'un fusil Mauser allemand, le commissaire politique et le secrétaire d'un pistolet chacun. Une lueur blafarde annonce la levée du jour. Il est 6h30. Postés aux ouvertures de la villa, Si Mustapha, M'hamed Belghoul et Moh Cheikh arrosent comme des «snippers» les lignes ennemies. Un premier militaire est touché et sur ordre du colonel, les lignes reculent. 7h, il fait jour, la pluie a cessé de tomber. L'armada arrive, deux chars, deux half-tracks, des mortiers de 81 sont positionnés aux points névralgiques. Les premières tentatives des forces spéciales d'occuper la villa échouent. Si Mustapha, Moh Cheikh et M'hamed Belghoul, comme des félins, occupent toutes les ouvertures par un déplacement intelligent. La lutte est incertaine et cruelle, des paras sont éliminés au corps à-corps juste à l'entrée de la villa, Abane Mohamed Rezki et Belaïd Mustapha apportent leur contribution dans ces combats. Le dispositif mis en place par Si Mustapha fait croire au colonel que le nombre de maquisards est supérieur à 20. Le commando de maquisards réplique avec courage et abnégation. Pour Si Mustapha c'est enfin l'heure de régler des comptes avec la soldatesque coloniale, ces bourreaux sanguinaires qui ont enlevé et exécuté son jeune frère Saïd, surnommé Souiad, âgé d'à peine 18 ans et originaire du Ruisseau (Alger). Il a également hâte de venger son ami d'enfance et de combat, Arif Mohamed dit Rabah Djaâfar, aspirant de l'ALN tombé au champ d'honneur quelque part dans la Wilaya IV historique en cette année 1958. Le temps passe, les morts s'accumulent du côté français et la villa est jonchée de cadavres de militaires français. Il est 11h, le colonel cesse l'envoi des paras sur la villa,une accalmie est décidée par le colonel qui interpelle Si Mustapha par mégaphone en lui demandant de se rendre avec ses maquisards, leur promettant la vie sauve et le respect de leurs droits de prisonniers de guerre. Le lieutenant des forces spéciales est le dernier capturé et exécuté à l'intérieur de la villa. Par cette manœuvre habile, le colonel, en décidant cette trêve unilatérale, tente d'amadouer Si Mustapha, d'avoir sa reddition avec ses compagnons et de récupérer le lieutenant et les soldats capturés. Cette trêve permet au groupe de maquisards de récupérer les armes et munitions des soldats éliminés à l'intérieur de la ferme. Après une attente d'une heure, les échanges de tir reprennent avec âpreté des deux côtés et la bataille ne s'essouffle pas. Entre-temps, la compagnie régionale des commandos de la Région III arrive sur l'oued Isser rive opposée. Ils sont bien camouflés. Ils entendent les détonations et le fracas des combats, mais que peuvent-ils faire. En cette période, l'oued Isser gonflé par des pluies diluviennes est en crue. Ils assistent désespérés au combat de leur chef et de ses compagnons, et leur secret espoir est que les assiégés tiennent jusqu'à la nuit, car une intervention est possible et leur pénétration se fera par un détour d'au moins 10 km. Sur le terrain les événements s'accélèrent, les chars commencent à pilonner, sur ordre du colonel, la villa et les dépendances de la ferme. Les obus abattent les murs et les toitures, et quinze minutes plus tard, la villa s'effondre sur ses occupants. Le déluge de feu continue et cinq minutes plus tard un lourd silence règne sur les lieux. Lorsque la fumée et la poussière des gravats se dissipèrent, on procéda au déblayage et à l'évacuation des morts. Les militaires français avec une armada de plus de 200 soldats et un matériel important eurent 9 morts, dont un lieutenant des forces spéciales, et plus de cinq blessés. Ainsi après un combat acharné face à un ennemi quarante fois supérieur en nombre, en plus de ses engins de guerre, Si Mustapha et ses hommes Harfouchi Mohamed dit Moh Cheikh, Guettitèche Mohamed dit M'hamed Belghoul, Belaïd Mustapha dit Tachtache et Abane Mohamed Rezki ont imposé une résistance farouche avec bravoure et dépassement de soi. Ce combat a été inscrit en lettres d'or dans le livre de la guerre de Libération nationale et même le colonel de l'armée ennemie s'est incliné devant cette résistance opiniâtre de ces hommes valeureux. Un seul a pu s'échapper vivant des décombres malgré ses blessures, Belaïd Mustapha dit Tachtache, il a été arrêté après une courte poursuite par la meute des militaires français. Au stade municipal d'Isser où il a été emmené, il subira l'enfer. Les officiers ont essayé toutes les méthodes d'action psychologique, torture, mais il est resté stoïque, fidèle au sacrifice de ses compagnons. Il ne parlera pas, opposant à ses tortionnaires un silence méprisant. Quelques jours plus tard, il fut exécuté. Gloire à nos martyrs. Boumriche Rabah Extrait du livre La Guerre de Libération dans la région de Si Mustapha, Legata, Koudiat El Araïs, Zemmouri, Zaâtra