La semaine passée, le centre ancien de Sidi El Houari a vécu une journée mouvementée : sous le paravent d'une opération de relogement de 600 familles, une grande intervention «bulldozer» a démarré avec la démolition systématique de pans entiers de notre patrimoine. Une dizaine d'immeubles de valeur historique ont été touchés, notamment dans la partie basse, noyau originel de l'ancienne ville d'Oran. Mais, le danger qu'il faut craindre le plus réside, sans nul doute, dans les opérations «officieuses» de démontage et de pillage des matériaux par tout un réseau qui semble rôdé à ce type d'activité. Jusqu'ici 56 immeubles ont été la proie de ces «désosseurs» professionnels qui sont en train de faire main basse sur des matériaux de valeur patrimoniale considérable qui remonte à plusieurs siècles. Le promeneur ne peut échapper au choc : les rares maisons de la période espagnole ou ottomane encore debout font aujourd'hui l'objet d'un démontage macabre. En toute liberté. En toute impunité. Les auteurs d'une telle imposture ont-ils conscience de la portée de leurs actes qui sont une atteinte à notre mémoire historique ? Néanmoins, le plus grave est à venir puisque l'enclenchement d'une telle dynamique surréaliste de démolition à l'ère de «l'invention» et de la valorisation mondiale du patrimoine ouvre la voie à tous les dépassements possibles. En effet, si des familles entières ont pu avoir accès à des logements décents dans le périurbain, elles laissent derrière elles des murs «agonisants», expression d'une histoire commune désossée, confisquée et jetée en pâture aux actions dévastatrices de forces intéressées. Cependant, le pire est devant nous, puisque 500 familles vont être relogées incessamment. Dire qu'il y a seulement un mois, la population d'Oran fêtait l'anniversaire du classement de Sidi El Houari en secteur sauvegardé. Au même moment, de nombreuses autorités de la ville d'Oran exprimaient leur attachement à la préservation et à la réhabilitation de cette partie de notre métropole. Quel paradoxe ! L'Etat a classé ce centre ancien en secteur à sauvegarder (DE n°15-13 du 22 janvier 2015 ; J O n°05 du 8 février 2015) après une mobilisation soutenue de la société civile oranaise depuis plusieurs décennies. Et, contre toute logique, en transgression avec les lois de la République, des représentants locaux de ce même Etat mettent en péril notre patrimoine ancestral et y lancent des opérations de démolition. Ainsi, les articles 02, 18 et 20 du décret exécutif 03-324 du 9 chaabane 1424 correspondant au 5 octobre 2003 dont l'objet est de protéger les secteurs sauvegardés sont tout simplement ignorés ou remis en cause. Face à un tel déni, nous appelons à l'arrêt des opérations de démolition et à la sécurisation de tout le périmètre du secteur sauvegardé de Sidi El houari contre les atteintes de toutes sortes comme les pillages de matériaux, le démontage et la récupération des matériaux de valeur et les vandalismes multiples. Il faut mettre fin au laxisme et à l'impunité. Ces mesures d'urgence sont nécessaires en attendant l'élaboration d'un véritable plan de sauvegarde auquel nous appelons et à la réalisation duquel nous participerons. La préservation de la ville de Sidi El Houari et de ses bâtiments de valeur est possible. Il suffit d'une volonté politique et l'élaboration d'un projet de sauvegarde consensuel s'appuyant sur les études déjà disponibles qu'il faudra enrichir. L'histoire d'un pays se lit à travers ses villes, ses architectures et ses espaces historiques. Sidi El Houari représente une partie essentielle, et non des moindres, de la mémoire de la deuxième métropole de notre pays car il constitue la cité originelle d'Oran. Ne détruisons pas ce prestigieux ensemble historique sous le feu et le prétexte de l'urgence d'action car, comme disait un écrivain : «Le court terme hurlant ne peut pas occulter le long terme silencieux». Aujourd'hui, on ne doit pas rater notre rendez-vous avec l'histoire car nous serons comptables devant les générations futures des pertes irréversibles et irréparables que nous enregistrons actuellement au quotidien. Qui est responsable de ces méfaits contre notre patrimoine et notre civilisation et qui répondra de ces actes d'altération de notre mémoire ancestrale et de l'effacement de notre cité de la carte urbaine ? Resterons-nous les bras croisés face à ces dérives et au déni des lois de la République algérienne ? Premiers signataires : Nezzal Saliha, architecte ; Boudinar Iness, architecte ; Kettaf Fadila, architecte ; Bencherif Abdellah, architecte ; Ouzaa Kheira, professeur habilité en génie civil ; Madani Mohamed, professeur, sociologue-urbaniste ; Bounoua Benaounan Karima, architecte ; Tahraoui Djillali, architecte ; Rabia Radia, architecte ; Gourine Boukherrouba Khadidja, architecte.