Chère est la chair. La consommation de viande, rouge particulièrement, est un luxe auquel seuls les privilégiés peuvent s'adonner régulièrement. Malgré cela, l'élevage des animaux est une spécialité que l'INSFP de Bougara a du mal faire valoir. La faute au manque de régulation du marché et au mode de consommation. Pourtant, un petit mammifère pourrait faire beaucoup pour compenser le manque de protéines animales chez les moins aisés. Le lapin, cette viande succulente mais oubliée, gagnerait à être valorisée. A l'INSFP de Bougara, la formation de TS en élevage de petits animaux et production animale n'attire pas beaucoup de stagiaires. «Pour cette rentrée de février, nous n'avons pas ouvert de section par manque d'inscrits», déplore Majber Ahcen, enseignant de la spécialité. Pourtant, l'offre très riche attire surtout les personnes qui préfèrent des formations spécifiques de courte durée, celles qualifiantes. «On forme dans le poulet de chair, les poules pondeuses, l'apiculture et la cuniculture (production de lapin)», instruit Ahcen devant le hangar réservé à l'élevage de poulet. Pour les modules enseignés dans la branche, le formateur égrène une longue série de spécialités qui s'étalent sur les 30 mois du cursus. En plus des mathématiques, de la chimie, de la biologie et de la physique, les stagiaires auront à se familiariser avec l'apiculture (élevage des abeilles), l'aviculture (du poulet), l'alimentation et la nutrition des animaux, la cuniculture (élevage de lapin), l'amélioration génétique ainsi que des rudiments sur d'autres élevages (cailles, pintades…). Malheureusement, selon l'enseignant, la spécialité élevage des petits animaux ne remporte pas un franc succès, et ce, pour deux raisons essentielles : «Le manque de régulation des marchés et la nouvelle culture de consommation des citoyens empêchent l'émancipation de ces spécialités.» Pour mieux assimiler son analyse, Ahcen cite l'exemple de l'élevage du lapin : «Les Algériens n'en mangent plus. Il n'existe presque plus de production dans ce domaine.» Pourtant un bon tadjine de lapin à la tomate ou aux olives, un lapin rôti ou encore en méchoui, cela devrait faire saliver les gourmets les plus avertis... Mais au-delà de l'aspect purement gustatif, l'économique n'est pas en reste. Dans un pays qui importe une moyenne de 50 000 tonnes de viandes rouges par an et connaît de nombreuses phases de crise — surtout en période de fêtes — pour toutes sortes de viandes y compris la blanche, l'activité devrait attirer de nombreux investisseurs. Et le lapin c'est aussi une viande et des plus succulentes. L'élevage de ce petit mammifère pourrait être un formidable palliatif à l'incapacité de nombreux foyer de manger régulièrement de la viande. «De tous les élevages que je connais, la cuniculture serait la plus rentable n'était le problème de commercialisation», atteste l'enseignant. En effet, cet animal a des capacités de reproduction et de maturation des plus rapides : ne dit-on pas dans le proverbe populaire : «Elle enfante comme une lapine.» «Une seule lapine peut avoir jusqu'à 9 mises bas 6 fois par an. Soit, elle peut générer 54 lapins en une année. Cela équivaut à 168 kg de viande par an. C'est le poids d'un bon mouton. En plus l'avantage est que seulement trois mois après sa naissance, le lapin est commercialisable», développe Madjber Ahcen. Par ailleurs, il faut dire que l'investissement pour un élevage moyen de lapin nécessite seulement un local de 50 à 60 m2. Et pour 250 Da le kilo à l'achat, le lapin une fois mature est vendu 500 DA. Donc le bénéfice est de 100% en moins de 3 mois. Malheureusement, cette viande a déserté nos tables, au grand dam des amoureux de la chair de ce mammifère. Et le constat sur le lapin est presque identique à celui pour l'apiculture. «Il n'y a pas vraiment de commercialisation. Donc, les jeunes ne se bousculent pas pour la formation. C'est logique», poursuit l'enseignant. Pourtant, Mahrez Abdelmadjid, son élève, semble avoir succombé au plaisir de côtoyer les abeilles. «C'est lui qui m'a donné l'amour de cette spécialité», sourit-il en désignant son formateur. «Je compte me spécialiser dans l'apiculture car c'est une spécialité qui m'attire. En plus, l'activité nécessite un travail saisonnier. Elle ne prend pas toute l'année, ce qui me laisse la possibilité de travailler ailleurs. Je compte aussi intégrer l'entreprise de mon père qui est spécialisé dans l'aviculture», explique-t-il. Ce qui reste avantageux avec l'INSFP de Bougara, c'est qu'on peut s'y inscrire sans avoir le niveau de terminale (requis pour la formation de TS) ni suivre un long cursus de formation. Une photocopie de la carte d'identité, un extrait de naissance, une photo d'identité et 1200 DA par trimestre ouvrent grandes les voies aux intéressés pour suivre des formations qualifiantes, rapides et spécialisées. Ainsi, pendant 3 mois, une fois par semaine, chacun peut s'inscrire pour acquérir les rudiments du métier souhaité et dans la spécialité voulue. «Nous avons inscrit de nombreux universitaires. Beaucoup de retraités de différentes activités viennent, une fois décidés à investir dans le créneau, suivre des formations qualifiantes dans notre institut. En fait, nos apprenants sont de tout âge et de tout horizon professionnel», atteste Tayeb Kamel, sous-directeur des études et des stages. Ainsi, chacun peut choisir son créneau : faire uniquement une formation en poule pondeuse ou de chair, en aviculture, dans la culture maraîchère ou l'arboriculture fruitière, les formations se font presque à la carte et à la demande de l'intéressé. «C'est ce genre de cursus qui intéresse le plus. Nous avons aussi des agents agricoles et autres fellahs qui viennent parfaire leurs connaissances et savoir-faire. Sans nombrilisme, l'institut a une très bonne réputation dans la région», poursuit le responsable de cet établissement, qui se situe dans l'une des régions les plus fertiles du pays, la célèbre plaine de la Mitidja. Alors, pour tout investisseur souhaitant se lancer dans l'agriculture, l'insfp de Bougara est une adresse de choix. Et pour les autres, il suffit de se rendre compte du plaisir d'être au contact, au moins une fois par semaine, avec la terre, les plantes et les animaux.