Foued Cheriet est maître de conférences en marketing agroalimentaire et stratégie internationale à Montpellier SupAgro et travaillant sur les questions des coopérations inter-entreprises agroalimentaires, la structuration des filières et les enjeux de sécurité alimentaire dans les pays méditerranéens. Comment expliquez-vous le retard accusé dans la labellisation des produits agricoles et agroalimentaires en Algérie ? Il y a, en effet, un retard manifeste dans le processus de labellisation en Algérie. Ne serait-ce que par rapport à notre voisin marocain, alors que nous avions lancé des lois et des institutions depuis 2008, et un projet en collaboration avec l'UE dès 2013 (UGP/P A, doté de 1,5 million d'euros), nous n'avons jusqu'à présent aucun label existant. Plusieurs raisons peuvent expliquer les retards enregistrés dans les processus de labellisation des produits agricoles et agroalimentaires de terroir : une faible maturité des projets en cours et un dispositif institutionnel top down faiblement impliquant des acteurs/institutions au niveau local ; une faiblesse dans la communication autour des procédures vis-à-vis des producteurs, une faible valorisation additionnelle des produits labellisés et une absence d'une demande fiable dans ce sens (hors export). Malgré cela, des expériences de labellisation «privée» existent. Pour la datte par exemple, plusieurs entreprises (BioDattes, Bionoor, etc) ont certifié les exportations de dattes de la région de Biskra avec le label Agriculture biologique (AB) à destination des marchés européens. Cela leur permet de mieux valoriser le produit et de le prédestiner à des marchés de niche en forte expansion. Quelles sont justement les contraintes à l'émergence des produits de terroir à fort potentiel de développement ? Les labels sont un moyen de cibler des segments plus petits mais donnant plus de valeur au produit. Ils permettent de revendiquer un savoir-faire, un ancrage territorial, une histoire… Ils visent à rassurer le consommateur sur la qualité et la provenance et à différencier ces produits de ceux «impersonnels» de la consommation de masse. Malgré ces avantages et au risque d'avoir une position qui risque de surprendre, je ne pense pas que la labellisation soit un enjeu majeur pour répondre à la demande locale en Algérie. Je vous donne l'exemple de l'huile d'olive que nous avons étudié avec des collègues de l'INRAA Alger et de l'Université de Tizi Ouzou : la France dispose de 7 indications, l'Italie de 43, le Maroc d'une seule, alors que ni l'Algérie ni la Tunisie ne disposent de labels pour ce produit à forte typicité : la raison est simple : pour la Tunisie, les exportations sont majoritairement réalisées en vrac. Pour l'Algérie, la demande est tellement forte qu'une huile d'olive mélangée avec d'autres, vendue en bord d'autoroute, dans une bouteille d'eau minérale réutilisée, est cédée à 750 DA le litre (soit plus chère qu'une huile espagnole labellisée et arrivée en Algérie). Cela a pour conséquence qu'il n'y a aucun besoin de différenciation de l'offre car nettement insuffisante. L'enjeu majeur est donc d'abord d'améliorer l'offre en termes de quantité et de commercialisation.Vient ensuite le besoin de labelliser, notamment pour valoriser la production à l'export ou pour répondre à une demande locale de qualité, de traçabilité ou d'identité du produit. Un processus a été lancé pour trois produits, notamment Deglet Nour ; quel serait l'impact sur la valorisation des exportations ? En effet, le processus a été lancé pour trois produits «pilotes». Ce projet est doté d'un budget conséquent et d'une assistance en termes d'expertises de bureaux d'études européens. En Algérie, il est piloté par le ministère de l'Agriculture et du Développement rural. Il porte sur trois produits/territoires que sont la Deglet Nour de Tolga, la figue sèche de Beni Maouche et l'olive de table de Sig. A ma connaissance, ce projet est encore au stade du diagnostic de l'existant et de la formulation des outils méthodologique et d'accompagnement. Il reste beaucoup à faire, notamment la mise en place des cahiers des charges, des structures d'accompagnement, des comités techniques et de contrôle. Ce dernier point est essentiel pour donner au label toute sa crédibilité. Celui de l'implication des chercheurs universitaires (et ils sont nombreux en Algérie à travailler sur le sujet) en est un autre. Par le passé, d'autres processus avaient été entamés notamment pour l'huile d'olive (depuis les années 2000), sans réelle concrétisation. Nous restons toujours à un niveau central d'annonces, et le processus bute sur sa concrétisation sur le terrain. Comment élargir la labellisation à d'autres produits ? Cela relèverait d'une stratégie globale de valorisation des produits de terroir jusque-là annoncée, mais rarement mise en place. S'il faut retenir un seul point, ce serait sans conteste l'implication des producteurs et des acteurs locaux. Dans les milieux de la recherche, on utilise le terme de «résilience» pour expliquer la capacité d'ancrage des territoires : ces labels ne peuvent se faire sans les acteurs du territoire d'appartenance du produit. Leur essence même est puisée dans leurs espaces géographiques, l'histoire et la mémoire des producteurs, leurs savoir-faire... Aucun processus de labellisation ou de valorisation géographique (y compris dans les pays où ces types de démarches sont le plus avancées) ne saurait se faire sans des porteurs de projets crédibles, impliqués et engagés. La labellisation ne se décrète pas, elle se co-construit.