La société Khodja & CO spécialisée dans la valorisation des produits du terroir qu'elle commercialise sous l'appellation Blady est emblématique de la formidable capacité d'innovation des entreprises de l'agroalimentaire à Béjaïa. Reportage. Nous sommes à Seddouk, dans la verdoyante vallée de la Soummam, en basse Kabylie. Récolte, conditionnement, ici, même si le rendement économique est modeste, les techniques agricoles sont encore médiévales, les oliviers font vivre 70% de la population. Deuxième grand bassin oléicole dans une wilaya classée première à l'échelle nationale, Seddouk est un fief de l'oléiculture. Ici, plus d'un million d'oliviers s'étend à perte de vue sur près de 10 778 ha. Un potentiel qui a donné une idée à M. Khodja, oléiculteur de père en fils, de conditionner et d'exporter de l'huile d'olive et des olives de table bio. Chez Khodja & CO qui active sous le logo Agrogroupe, l'ambiance studieuse des 25 salariés de cette entreprise reflète parfaitement la performance de cette PME spécialisée dans la valorisation des produits du terroir. D'ailleurs, son patron, Khodja, membre du conseil interprofessionnel oléicole, parle de son entreprise comme on raconterait une histoire de famille. Avec complicité et affection : «Nous produisons de l'huile d'olive extra vierge d'excellente qualité. Nous nous sommes diversifiés dans plusieurs gammes de produits, à l'image des olives de table, des figues sèches, des câpres, des cornichons, des piments verts, des jardinières de légumes…», énumère-t-il. Chaque année, l'entreprise produit près de 100 000 litres d'huile d'olive et 500 tonnes d'olives de table. Après avoir pressé les olives, les ouvrières doivent mettre l'huile en bouteilles, avant qu'un service marketing n'imagine une belle étiquette, puis s'occupe de la mise en vente de ses produits. Dans un pays qui importe une grande majorité de ses produits alimentaires, être exportateur est très original. Mais se spécialiser dans les produits du terroir, alors qu'aucun label n'existe en Algérie, a beaucoup de mérite. C'est le pari de sa société créée en 2006. Depuis son lancement, l'entreprise a exporté 100 tonnes d'huile d'olive. Cette année, elle compte encore exporter 50 tonnes d'huile d'olive et autant en olives de table. Mais le chemin de l'exportation est parsemé d'embûches. Sur les très exigeants marchés internationaux, l'huile algérienne se bat pour être compétitive. Même si l'huile d'olive importée est taxée à 17% de TVA et à 30% de droits de douanes, sur les étals, elle se retrouve au même prix que l'huile produite localement. Et encore, la concurrence était encore plus rude avant que le gouvernement ne rectifie le tir en décidant de porter à 1511 le nombre d'articles interdits à l'importation dans le cadre de la ZALE (Zone arabe de libre-échange). Fort heureusement, l'huile d'olive en fait partie. Cette «liste négative» était de 1141 produits, en janvier 2010, sur un total de 6000 produits classés dans la nomenclature. «Il y a nécessité absolue de prendre des mesures incitatives pour réduire les coûts de production en Algérie», insiste M.Khodja. Faible aide à l'export Autre élément, alors que les exportateurs des dattes bénéficient de 80% d'aide consentis par le Fonds de soutien et de la promotion des exportations (FSPE), pour couvrir les frais de transport et des expositions dans les foires internationales, les exportateurs de l'huile d'olive, eux, ne peuvent prétendre qu'à une aide de 25% seulement du coût total de leurs frais liés à la promotion de l'exportation, relève M. Khodja. Son partenaire, M. Hamdi, co-gérant de JAIA, une société d'export, filiale française de droit algérien, évoque une mesure protectionniste française pour le moins bizarre : «La France a instauré une taxe parafiscale à l'importation qui n'est appliquée que pour le produit algérien. Nous payons 17 centimes d'euro par litre d'huile introduit en France. Pourtant, les produits en provenance d'autres pays ne sont pas concernés par cette taxe», relate M. Hamdi. Pourtant, en dépit de ces contraintes, le succès de l'exportation fait des émules. Plusieurs exportateurs se sont convertis aux produits du terroir. La création d'un label national est un vieux projet et tarde à voir le jour. «Les produits du terroir sont un bon créneau en l'Algérie qui a encore des modes de production traditionnels», explique M. Khodja, qui est également membre fondateur de la fédération algérienne de l'olive, créée l'an dernier, à Akbou. Pour remédier à la dislocation de la filière, 35 producteurs de Seddouk se sont constitués en un groupement pour la labellisation de la variété Aseradj. «Un label c'est un sol, un climat une variété et un savoir-faire», explique M. Khodja. «Nous avons constitué un dossier de candidature. Nous attendons depuis cinq ans. Le processus de labellisation est au stade final», s'impatiente ce chef d'entreprise. La région de Seddouk est, en effet, réputée pour la variété de ses olives appelée aseradj ou Adjeraz. Une variété autochtone, sélectionnée depuis plusieurs centenaires avant de finir par bien s'adapter au milieu. Innovation «Cette variété présente un double avantage, on extrait son huile. En cas, de surproduction ou de mévente, on procède à la conservation des olives dites de table», a affirmé M. Khodja. «Nous produisons 20 tonnes de d'olives de table par jour», dit-il. Aujourd'hui, Khodja & CO est la parfaite illustration du cocktail gagnant des PME à Béjaïa, une entreprise familiale, avec une transmission assurée et une spécialisation dans un marché agroalimentaire à forte valeur ajoutée, dont les produits sont vendus à l'étranger. Mais pour en arriver là, l'entreprise a dû relever un sacré pari. Comment rester compétitif, avec des produits chers, face à la forte concurrence ? Comme tant d'autres PME, elle a relevé ce défi non pas en rognant sur les salaires, mais en misant sur l'innovation pour augmenter la productivité. Un plan de 40 millions de dinars d'investissement qui seront consentis en fonds propres, a été mis en branle pour l'acquisition de nouveaux équipements. Un plan d'investissement qui viendra en appoint au programme de mise à niveau promis par l'Etat. Un programme d'innovation-recherche a été aussi soumis à la direction de la recherche scientifique pour bénéficier d'un financement dans le cadre du Plan national de la recherche (PNR). L'objectif est de lancer de nouveaux produits, à l'image de nouvelles recettes de pâtes d'olives très savoureuses. Aussi, cerise sur le gâteau, l'entreprise compte se certifier ISO 22000, norme visant à mettre en place un système de management de la sécurité des denrées alimentaires. Cette PME est ainsi emblématique de la réussite du ce tissu d'entreprises de petite taille qui fait la force de l'économie locale. Un succès fait d'histoire et d'innovation.