Pour valoriser les sous-produits, il y a lieu de réfléchir à d'autres connexions horizontales tout en exploitant les nombreuses possibilités d'intégration de la production agricole nationale dans les industries agroalimentaires (IAA), selon Foued Cheriet, maître de conférences en stratégie agroalimentaire et marketing international à Montpellier SupAgro et docteur en sciences de gestion. -La promotion du made in Algeria passe par le développement des filières industrielles porteuses, notamment l'agroalimentaire. Qu'en est-il justement des actions menées dans ce cadre ? Si on devait faire un petit bilan des opérations de promotion des exportations, il faudrait signaler que les actions menées jusque-là restent «anecdotiques», sans ancrage stratégique ni en termes de politique de développement de l'amont et de l'aval des filières, et encore moins sur l'appui des industries annexes. L'Etat semble privilégier des politiques de régulation ad hoc et souvent initiées dans une extrême urgence, à travers notamment des mécanismes de contrôle des flux et des prix, ou par l'octroi de moyens financiers, sous formes de facilitation d'accès bancaires, de crédits ou de subventions. Plus récemment, certains efforts ont été entrepris pour améliorer les performances de certaines filières agricoles. Cette prise de conscience de l'importance du potentiel agricole du pays et de son rôle moteur dans le développement est louable en soi, mais reste confrontée à de nombreuses difficultés d'application sur le terrain. Pour répondre de manière directe à votre question, je ne pense pas que la consommation locale et le développement industriel des filières relèvent uniquement des actions commerciales portées par un marketing territorial maintenant dépassé : l'amélioration de la qualité du produit local vaut mieux que n'importe quelle campagne publicitaire pour le made in Algeria. D'autres éléments nous semblent beaucoup plus importants : la valorisation du terroir local par les signes de qualité et les labels, la gouvernance des filières agroalimentaires, la certification de la qualité, le maintien d'une agriculture familiale, le développement des activités dans les zones sensibles (montagne, steppes, Sud), les programmes autour de questions spécifiques, le développement des industries d'appui, la modernisation des plateformes logistiques, le contrôle de la qualité, les transferts techniques et scientifiques et le développement du potentiel agricole de certaines filières dites stratégiques (légumineuses, céréales, lait et oléagineux)... Tout un programme ! -Quelles sont, selon vous, les limites organisationnelles et managériales des entreprises algériennes à l'exportation dans les filières agroalimentaires ? Depuis quelque temps, et après un quart de siècle de programmes de substitution aux importations, la diversification des exportations algériennes est sur toutes les lèvres. Cette question de la promotion des exportations est certes importante : des mécanismes ont été mis en place et ont pu bénéficier à certains opérateurs. Quelques entreprises ont réussi à pénétrer des marchés de grande importance : les dattes, les produits dérivés des céréales, quelques produits laitiers, etc. Mais il ne faut pas se leurrer : d'abord, l'exportation est un débouché complexe et marginal pour les entreprises algériennes. Ensuite, le potentiel du marché interne est considérable par rapport à celui de l'export. Il offre des perspectives de développement, convoitées par les entreprises étrangères et certains opérateurs de l'importation. Pour revenir à la question des limites des entreprises algériennes, les différentes enquêtes menées auprès des industriels des filières agroalimentaires en Algérie, nous ont permis de constater qu'il n'y avait pas de problème «technique» sur les procédés de fabrication, ni de problème de financement, du moins pour des opérateurs d'une certaine taille. Cependant, une grande désorganisation existe au sein de la gouvernance des filières. On a l'impression qu'il est plus question d'opérations de «com» qui restent à un niveau central que de réelles stratégies de développement du secteur, basées sur des approches concertées et intégrées. Dans une étude où nous avions comparé justement les dispositifs de promotion des exportations dans les pays maghrébins et l'Egypte, nous avons pu constater que les institutions chargées de ces questions en Algérie étaient déconnectées du terrain et des opérateurs, pire encore, elles étaient déconnectées entre elles. -Les exemples de réussite ne sont pas très nombreux. Comment remédier à cette situation ? A l'export, les exemples d'échec ne sont pas très nombreux non plus. Les taux de défaillance des entreprises en Algérie sont largement en deçà de ceux observés dans les pays du nord de la Méditerranée. Les acteurs économiques existent. Ils ont des idées, souvent bonnes, mènent des projets, tentent de s'adapter à un contexte économique souvent hostile, avec notamment un manque de régulation et une prolifération de l'informel. Ils tentent d'innover et de répondre à une demande de produits alimentaires, en croissance continue et à des besoins de consommateurs de plus en plus exigeants. Trois menaces majeures pèsent cependant sur les entreprises agroalimentaires algériennes : deux sont d'ordre institutionnel et concernent la déstructuration de nombreuses filières et la concurrence du secteur informel. La troisième est d'ordre structurel et concerne les faiblesses du tissu industriel dans son ensemble. Malgré ces conditions, il faut noter que la plupart des entreprises engagées sur l'export réussissent, surtout si elles se placent sur des marchés de niches, liés à la qualité ou à l'origine des produits : l'exemple des exportateurs de dattes bio (Bionoor, Biodattes) est édifiant. De création récente, ces deux entreprises arrivent à obtenir des taux de croissance spectaculaires sur les marchés européens notamment. Elles ont même des difficultés à répondre à la demande des centrales d'achat européennes. -Faudrait-il penser à des alliances avec des entreprises étrangères leaders dans le secteur ? Depuis une dizaine d'années, on mène à Montpellier SupAgro des recherches sur les coopérations entre les entreprises agroalimentaires en Méditerranée et sur les filières agricoles et agroalimentaires en Algérie. La plupart des entreprises leaders sont déjà présentes sur le marché algérien, notamment à travers des alliances avec des partenaires locaux. Mais ces alliances avec les grandes entreprises ne sont pas une panacée. Elles comportent aussi certains risques. Elles ne doivent pas être considérées uniquement comme des moyens de répondre à des exigences légales (loi 51/49) ou un vecteur organisationnel pour écouler des produits en fin de vie ailleurs sur le marché algérien plus prospère, mais correspondre à des projets aux sens industriel et économique du terme. Les enquêtes menées auprès des opérateurs du nord et du sud de la Méditerranée témoignent que «l'offre et la demande de coopération» existent de part et d'autre. Il s'agit de les faire rencontrer via des systèmes d'information plus performants : une des contraintes signalée par les industriels au Nord comme au Sud, est qu'ils n'arrivent pas à identifier des partenaires fiables. Il faudrait également penser à l'importance des alliances entre entreprises algériennes, notamment à l'export. Des pays voisins appliquent des systèmes de portage (Tunisie, Egypte) ou d'agrégation (Maroc) pour que de grandes entreprises s'engagent à prendre en charge l'exportation des excédents de petits opérateurs, soit sous une marque ombrelle collective, ou encore par une prise en charge commune des coûts logistique et de transport et une mutualisation des démarches et des risques. La création de «pools» d'exportateurs par filière, gérés par des acteurs industriels clés est une solution économiquement envisageable et techniquement réalisable. -Quelle est votre lecture de la déconnexion entre le monde agricole et le monde industriel et cette nécessité de créer une passerelle entre les deux de manière à réduire les importations et absorber la production dans certaines filières excédentaires ? L'intégration verticale (amont ou aval) est une des grandes questions de la gouvernance des filières agroalimentaires. Certains industriels (viande, lait, oléagineux) l'ont déjà compris. Par exemple, Danone Algérie pour fournir le lait frais nécessaire à son produit Danao, a entrepris un vaste programme de contractualisation des éleveurs de la vallée de la Soummam avec la mise en place de moyens logistiques de collecte et de stockage. De nombreuses possibilités d'intégration existent mais semblent sous exploitées, notamment en céréaliculture/élevage bovins et aviculture. D'autres connexions horizontales sont à envisager pour valoriser les sous-produits. Ces mouvements d'intégration et de regroupement devront s'intensifier avec l'accroissement de la taille des acteurs, mais ne pourraient aboutir à des choix stratégiques sans l'intervention efficace des autorités publiques : organisation des filières, logistique, gestion de l'information et des stocks, etc.