Alors que de nombreux gouvernements ont rapidement ordonné l'ouverture d'enquêtes, en Algérie, la justice est murée dans un silence de marbre, comme si Abdessalem Bouchouareb, éclaboussé par le scandale Panama Papers, ne faisait pas partie du gouvernement. Pourtant, le Consortium international de journalistes d'investigation (ICIJ), qui a enquêté sur le cabinet d'avocats panaméen qui aide ses clients à placer leurs fortunes dans des comptes offshore pour éviter le fisc, a bel et bien cité le nom de Abdessalem Bouchouareb qui, en 2015, alors qu'il était ministre, a créé une société avec 700 000 euros. La question que se posent de nombreux Algériens n'est pas de savoir si cette société active ou pas ; ils veulent être éclairés sur l'origine des fonds et les circonstances dans lesquelles ils ont été transférés, sachant que l'usine de chips que détient Bouchouareb se trouve en Algérie et non à l'étranger. Mieux, la réglementation algérienne interdit tout transfert de fonds pour investir à l'extérieur du pays ou y détenir des comptes, notamment en tant que ministre, personnalité politiquement exposée. Tout comme lui, Amar Saadani, secrétaire général du FLN, n'a toujours pas expliqué à l'opinion publique l'origine des fonds avec lesquels il a créé sa société immobilière en France et acheté des appartements dans des quartiers chics de la capitale française. Pourtant, Saadani, natif de Moulares, en Tunisie, était jusqu'aux années 1990 un simple pompiste de Naftal, à El Oued, devenu subitement, à la fin des années 2000 — après le scandale de la Générale des concessions agricoles (GCA), qui a englouti des milliards de dinars et où son nom a été cité —, propriétaire d'une immense villa dans le quartier huppé Le Paradou, à Hydra, mais aussi d'autres biens à l'étranger, en son nom et au nom de ses enfants. Lorsque ces acquisitions douteuses ont fait la une des presses occidentale et algérienne, aucune autorité n'a daigné l'interroger sur l'origine des richesses de ce chef de parti dont on ne connaît pas d'héritage familial ou de gain à la loterie. Le silence des autorités a été encore plus troublant lors du procès de l'affaire autoroute Est-Ouest. Un des accusés, Mohamed Khelladi, qui était, comble de l'ironie, à l'origine de l'éclatement de ce scandale, a révélé avec force détails les mécanismes de la corruption dans les marchés de réalisation de ce projet du siècle, en impliquant Amar Ghoul, alors ministre des Travaux publics. Ex-responsable des nouveaux projets à l'Agence nationale des autoroutes (Ana), Khelladi avait affirmé que cette autoroute a coûté 11 milliards de dollars, auxquels il faut ajouter 5 milliards partis dans des opérations de corruption. Il savait ce qu'il disait. Il avait mené sa propre enquête pour démêler l'écheveau de ce dossier en allant jusqu'en Chine. Selon lui, «les pots-de-vin et les commissions versés aux dirigeants algériens et leurs intermédiaires étaient répartis entre l'homme d'affaires algéro-luxembourgeois Mohamed Chani (4%), Pierre Falcone et Mohamed Bedjaoui (ancien ministre des Affaires étrangères) 10% et Amar Ghoul,25 % (...). Ce dernier a rétrocédé 1,25% de ce montant à un certain Tayeb Kouidri», actuellement en fuite, installé à Genève. Publiquement mis en cause, Amar Ghoul n'a pas été inquiété, la justice est restée muette devant ces révélations et Mohamed Khelladi a été condamné à une peine de 10 ans par le tribunal criminel d'Alger. L'affaire Sonatrach, après avoir été ficelée par la justice algérienne puis italienne, se transforme en un mégascandale aux ramifications internationales. Ce qui a suscité la réaction du président de la République, le 24 février 2013, anniversaire de la nationalisation des hydrocarbures. Bouteflika s'était déclaré «révolté» par les scandales de corruption touchant la gestion de Sonatrach, précisant qu'il ne pouvait «les laisser passer sous silence». Quelques mois plus tard, le parquet d'Alger, après avoir obtenu d'importantes informations de Suisse, d'Italie et d'autres pays, lance une autre affaire, Sonatrach 2, dans laquelle le ministre de l'Energie est nommément cité. Au moment où le juge le convoque pour l'entendre, il s'envole vers les Etats-Unis avec son épouse et ses deux enfants. Des mandats d'arrêt internationaux sont lancés contre lui et les membres de sa famille. A la fin de la même année, le mandat d'arrêt est annulé, mais aucune information sur la procédure judiciaire — qui concerne, faut-il le rappeler, cinq autres personnalités — n'est donnée. Moins de trois ans après, Khelil revient avec les honneurs sans qu'aucune explication soit donnée par la justice. Purement judiciaire, cette affaire est traitée politiquement par les plus hautes autorités qui poussent le ridicule jusqu'à lui organiser un véritable show médiatique dans une… zaouïa. Totalement muette, la justice algérienne a raté encore une fois une occasion de défendre sa crédibilité. Elle se contente de faire le dos rond, même lorsqu'un ministre de la République comme Abdessalem Bouchouareb est cité nommément dans une affaire de fuite de capitaux. Des réactions aussi scandaleuses qu'inquiétantes qui poussent à se demander si la justice est au service de la loi ou des hommes du Président.