Du jamais vu dans les annales judiciaires : un rapport du juge d'instruction cite nommément un ministre impliqué jusqu'au cou dans une grave affaire de corruption dans le scandale de l'autoroute Est-Ouest. Il s'agit de Amar Ghoul, à l'époque ministre des Travaux publics, en charge d'un projet conçu initialement pour 6 milliards de dollars et qui a fini par en engloutir 13. L'homme est accusé, dans le rapport, d'avoir empoché entre 1,5 et 5% de commissions. Le procès de cet énième scandale vient de s'ouvrir. Non seulement ce corrompu de premier ordre n'est pas dans le box des accusés, mais il n'est même pas cité comme témoin. Pis, le ministre s'est permis de faire mettre en prison l'homme qui l'a dénoncé et ce dernier est aujourd'hui avec le groupe des accusés alors que c'est lui qui a révélé la gabegie. Il faut croire que Ghoul bénéficie de protections inouïes. Non seulement il n'a jamais été inquiété, mais il est aujourd'hui ministre des Transports, sans doute pour récompenser sa gestion honteuse de la construction de l'autoroute. Il ne brille guère dans son nouveau poste et la compagnie Air Algérie, qui est sous sa tutelle, ne sort pas des zones de turbulences. Le procès, comme beaucoup d'autres qui l'ont précédé, révèle le véritable visage du système. On s'attaque aux seconds couteaux, mais on ne touche pas les requins qui sont derrière eux. Il dévoile le système Bouteflika dans toute sa laideur. Celui-ci entend gouverner par la corruption avec comme arrière-pensée l'idée que cela fera écran de fumée sur ses propres turpitudes. Depuis qu'il a été installé à El Mouradia, il s'est entouré d'hommes peu recommandables comme Chakib Khelil, Abdelhamid Temmar, Amar Saadani et d'autres encore. Et il les couvrait. Pour la première fois, on a un témoignage direct sur ses pratiques corruptrices. Lors de ce procès, l'accusé Chani a révélé que «Khelladi, l'homme qui a dénoncé l'équipe lui-même, a dit que Amar Ghoul lui a affirmé qu'il n'avait rien à craindre s'il revenait sur ses déclarations, parce que le Président était avec lui et qu'il allait le protéger». On a froid dans le dos lorsqu'on entend un tel témoignage. Ce n'est plus une affaire de gros sous. L'Algérie est peut-être victime d'un plan visant sa destruction et les exécuteurs du projet sont au sommet de l'Etat. Tout ceux qui se taisent deviennent alors des complices. Et la justice n'est pas seulement aux ordres, elle crée le désordre.