Expert en fiscalité, Samir Sayah nous donne, dans cet entretien, un éclairage sur les comptes et les sociétés offshore révélés par le scandale Panama Papers. Il explique comment ces procédés sont utilisés dans les pays qui font des avantages fiscaux leurs principaux revenus. - L'affaire Panama Papers a mis au-devant de la scène le recours aux paradis fiscaux, aux sociétés et comptes offshore. Peut-on avoir un éclairage sur ce monde, notamment à quoi servent ces paradis et ces comptes ? Il est utile de rappeler que les structurations juridiques et fiscales qui sont révélées par cette affaire sont en réalité la constatation d'une possible dérive dans l'utilisation d'un système tout à fait légal et conforme au droit international. Bon nombre de sociétés internationales et notamment les banques possèdent et utilisent des filiales dans des pays à faible exposition fiscale. Le but recherché par ces groupes internationaux était une meilleure efficacité fiscale dans un environnement international très compétitif. En effet, quand vous êtes une société américaine ou française, vous êtes confrontée à des concurrents qui viennent de pays plus compétitifs en matière sociale et fiscale. Ces entreprises occidentales ont décidé de délocaliser leur main-d'œuvre dans les pays où la protection sociale est plus faible. Elles ont également suivi le même raisonnement pour leurs bénéfices. Elles ont donc choisi de délocaliser leurs profits dans des pays extrêmement attractifs en matière fiscale. Ces structurations ont été également déployées par les banques internationales pour le compte de leurs clients fortunés. Il n'y avait pas de raison pour un entrepreneur, quel qui fut, de se priver d'une optimisation de ses revenus. La dérive a commencé, de mon point de vue, quand le but de ces structurations a été dévoyé pour éluder toute imposition et occulter l'origine des fonds. Si ces pratiques ne constituent qu'une minorité des montages, cela est suffisant pour alimenter le fantasme collectif autour d'un supposé système mondial de fraude fiscale. La réalité est que les pays occidentaux sont aujourd'hui en manque cruel de recettes fiscales. Ils cherchent donc à remettre en question un système qui a permis au Panama, aux îles Vierges mais aussi à des pays moins exotiques comme la Suisse ou le Luxembourg de prospérer grâce à leur efficacité fiscale. - Ne sommes-nous pas plutôt devant des affaires de blanchiment d'argent et non pas de fuite de capitaux ? Dans la plupart des cas mentionnés, il s'agit de soupçon de fraude fiscale. Depuis longtemps, les trafiquants ont compris qu'il fallait payer des impôts et, plutôt dans les grands pays occidentaux, pour bénéficier de leur protection. Ils se cachent dans la lumière et bénéficient ainsi de la forme la plus moderne, de nos jours, de blanchiment d'argent. - Sommes-nous concernés par ces instruments ? Le recours par des Algériens à de tels instruments devrait être faible pour une raison relativement simple : nous sommes, malheureusement, en dehors du système financier mondial. Notre monnaie comme notre économie fonctionnent en circuit quasi fermé. Il est donc difficile de délocaliser à l'étranger quoi que ce soit, encore moins ses avoirs.La Banque d'Algérie a mis en place, depuis plusieurs décennies, une réglementation des changes qui lui permet de contrôler tous les flux financiers entrant et sortant d'Algérie. Bien entendu, il reste la part de l'informel et les circuits financiers parallèles. Cependant, il me semble aujourd'hui peu concevable qu'une quelconque banque internationale, y compris au Panama, accepte de recevoir des fonds en cash. Du cash qui aurait nécessairement dû passer physiquement toutes les frontières internationales au départ d'Algérie. En effet, la lutte contre le trafic de stupéfiants et le terrorisme a réduit de manière drastique l'utilisation du cash et les banques refusent ce type de versement de peur d'être en infraction avec les règles internationales de lutte contre le blanchiment d'argent. - Que prévoit la réglementation algérienne en matière de fuite de capitaux ? Je ne suis pas certain que nous puissions parler, dans le cas de l'Algérie, de problème de fuite de capitaux ne serait-ce que parce que la plupart des Algériens n'ont pas accès aux réserves en devises. Si nous admettons que le but n'est pas de faire fuir des dinars vers l'étranger, mais des devises, il faudrait auparavant y avoir accès. Or, la Banque d'Algérie veille au grain et le fait même avec trop de zèle ! La véritable problématique de l'Algérie n'est pas la fuite des capitaux, mais plutôt son attractivité et sa capacité à attirer des capitaux étrangers. Aujourd'hui, peu d'investisseurs font confiance à notre système économique et financier. Même nos compatriotes à l'étranger hésitent à investir dans leur pays. Finalement, c'est cette réglementation des changes hermétique qui permet d'éviter la fuite des capitaux, qui est l'obstacle majeur au développement des investissements directs étrangers. - Un ministre algérien a été cité dans ce scandale. La loi permet-elle que des Algériens, plus précisément des membres du gouvernement, puissent détenir des fonds à l'étranger ? La réglementation des changes algérienne, notamment l'article 8 du règlement 07-01, prévoit que «la constitution d'avoirs monétaires, financiers et immobiliers à l'étranger par les résidents à partir de leurs activités en Algérie est interdite». Une lecture attentive de ce texte fait apparaître clairement que la nationalité algérienne n'est pas un critère pertinent. De plus, la notion de résidence en matière de contrôle des changes est différente de la notion fiscale ou civile. En d'autres termes, vous pouvez être un Algérien redevable de l'impôt en Algérie sans être pour autant soumis à l'interdiction de détenir des fonds à l'étranger et cela, quelle que soit votre fonction. Seul un examen détaillé de la situation juridique de la personne concernée peut permettre de statuer sur la question. - Certains disent que cette réglementation fiscale est très permissive étant donné l'absence d'un impôt sur la fortune, comme cela existe en Europe et aux Etats-Unis. Est-ce votre avis ? Cette affirmation me semble tronquée. D'une part parce que l'Algérie dispose d'un impôt équivalent à l'ISF français qui est l'impôt sur le patrimoine et, d'autre part, la plupart des personnes soupçonnées dans ces révélations sont des ressortissants de pays réputés pour leur rigueur en matière fiscale (Américains et Français compris). Il y a d'ailleurs que peu d'Algériens concernés à ce jour. - Est-ce qu'une simple déclaration de patrimoine suffit pour démasquer les fraudeurs ? Bien entendu non. La déclaration de patrimoine est peu respectée dans tous les pays sans que cela donne lieu à de véritables sanctions.