Les éditions Khettab, basées à Boudouaou, proposent aux lecteurs de revisiter l'histoire et le patrimoine culturel de l'Algérie à travers deux ouvrages intéressants, Mohamed Iguerbouchène, une œuvre intemporelle, du Dr Mouloud Ounnoughène, en langue française, et Ittaftaren n Beleid yura af leqbayel n zzman n zik, en tamazight, de Beleid At Aeli. Deux personnages contemporains car nés à deux ans d'intervalle. Commençons donc par l'aîné, à savoir Mohamed Iguerbouchène, premier Algérien à atteindre la musique universelle malgré tous les handicaps que pouvait cumuler un enfant des Aghribs en Kabylie, né en 1907, soit en pleine période coloniale, bien loin des lampions et des conservatoires de musique, avec seulement les sonorités que lui proposait Dame Nature dans son infinie générosité. Mais avant d'arriver à la vie et l'œuvre de cet homme d'exception, son biographe, le Dr Ounnoughène, nous replonge dans la vie artistique de l'époque. Il fait œuvre d'historien de la culture et avance que l'Algérie était une sorte de laboratoire du métissage musical. En effet, dans la première partie, sans doute trop longue par rapport au sujet principal (une cinquantaine de pages), l'auteur nous propose de parcourir le monde et de relever les différents mouvements d'influence qui marquent la musique et notamment la musique algérienne qui a inspiré plusieurs grands musiciens, dont Camille Saint-Saëns. Il évoque ainsi le genre Achwiq qui a captivé les mélomanes du monde, citant le musicologue Francisco Salvador Daniel qui avait conclu que «le système musical du Maghreb avait des similitudes avec celui des Grecs». Et, c'est dans ce contexte de métissage, de rencontre et d'interaction avec la musique universelle qu'Iguerbouchène va se manifester. A six ans quand il rentre à l'école, son instituteur, Janin, donnait aussi des cours de musique. N'ayant pas beaucoup de moyens, ses élèves apprirent la flûte. Le déménagement de la famille du petit Mohamed à Alger va le conduire à rencontrer un certain Ross qui l'avait écouté lors d'une audition. Dénicheur de talents, le noble Ecossais propose au père d'emmener l'enfant avec lui et de le prendre en charge pour se perfectionner. A Londres, c'est sous la direction de Levinson qu'il devint un virtuose du piano. Cela lui permit de voyager en Europe et de trouver sa voie en composant de la musique. Ainsi, il créa, entre autres, La Rhapsodie algérienne (1953), puis se dirigea vers les musiques de films pour s'insérer dans l'âge d'or du cinéma : Pépé le Moko, Ombres sur le Rif... En 1955, après avoir sillonné le monde, Iguerbouchène revient en Algérie pour mettre son savoir musical au service de son pays. A la veille de l'indépendance, il dirige l'Opéra d'Alger. Il transmet son savoir à la jeune génération et eut comme disciple Ahmed Malek connu pour avoir signé les plus belles musiques du cinéma algérien. L'évocation de Mohamed Iguebouchène à travers cette biographie contribue à mettre en lumière un personnage immense. Son auteur a visiblement effectué des recherches approfondies, comme le montrent les nombreuses informations et anecdotes rapportées. Mais il n'a peut-être pas mis la même application à rédiger son ouvrage. L'autre figure de proue de la littérature amazighe et un de ses précurseurs, c'est-à-dire Beleid at Aeli est né le 25 novembre 1909 à Bouira. Il fait des études à Paris et s'intéresse à la lecture, la musique et l'art. L'éditeur justifie la republication des cahiers de ce pionnier par «l'ajout d'un certain nombre de documents inédits» dont plusieurs poèmes et récits. Par ailleurs, les écrits de Beleid ont bénéficié d'une nouvelle transcription en tamazight. Ce travail d'édition dénote que les anciens écrits doivent toujours être soumis à un examen critique et mis aux normes des nouvelles avancées en matière de génétique des textes. Les écrits de Beleid comportent neuf cahiers, tous rédigés entre mai 1945 et fin décembre 1946. Les dates que portent ses écrits ne sont pas inutiles car elles renseignent les lecteurs sur des événements biographiques. En effet, Beleid avait participé au débarquement des Alliés en Corse en 1943, ce qui fit de lui un acteur de la Deuxième Guerre mondiale. Ses écrits peuvent être considérés ainsi comme une cure post-traumatique au sortir d'un conflit militaire majeur. Le lecteur trouvera dans ces cahiers de nombreux contes qui sont restés dans la mémoire collective comme Tamacahut ueqqa yessawalen (Le conte du grain magique) et plusieurs écrits sous forme de portraits consacrés aux femmes de son village et qu'il a intitulés Ssut taddart qu'on peut traduire par «Les voix du village». On peut supposer que ce cahier a probablement inspiré Mouloud Feraoun dans Jours de Kabylie. N'oublions pas de citer le cahier n°8 qui ne contient que des poèmes et montre encore la prédominance de la tradition orale dans la société kabyle de l'époque. Ces deux ouvrages des éditions Khettab contribuent à sauvegarder une mémoire en péril et remettent au goût du jour des grandes figures de la culture algérienne qu'on a tendance à oublier. Dr Mouloud Ounnoughène, «Mohamed Iguerbouchène, une œuvre intemporelle», Dar Khettab, 2015/ Beleid At Aeli, «Ittaftaren n Beleid yura af leqbayel n zzman n zik», en tamazight, Dar Khettab, 2015.