Rencontre avec Jean Manaud, reporter pour le 18e Festival de photojournalisme. Il nous dit son amour du Sahara… avec son regard.Quand on fait le tour de son exposition, quand on voit ses photos, il y a cet étonnant constat, qu'on ne peut s'empêcher de faire. Le désert qui évoque généralement le vide, le néant, l'immensité, ce désert qui nous fait si peur est finalement peuplé, humain, il a même une histoire, un glorieux passé. Apprivoisé ? Non, juste découvert à nous, yeux de néophytes. Manaud ne pouvait pas échapper au destin. Naissance, il y a 58 ans dans le Sud tunisien, partageant avec ses parents sa vie entre l'Algérie et la Tunisie et des grands-parents algériens. Voilà comment il arrive à cette conclusion : « Tu as un pays pour l'identité officielle, le passeport et tu as le pays du cœur, celui où tu es né. » Il commence la photo en 1977 en Algérie, sur les hommes qui travaillent ce désert puis parcourt le Tchad et le Mali. Exubérant dans sa façon de parler, cet amoureux du désert, regrette qu'il y ait toujours eu ces images d'Epinal, le chameau et le superbe touareg. Le Sahara est bien loin de cela. Le vrai désert on n'y vit pas, on n'y habite pas, on le traverse, on le contourne, dit-il. Voyez toutes ces différentes ethnies qui ont su le comprendre et vivre avec, nous avons les Haoussa, qui se trouvent au Niger, Nigeria et Tchad, les Bambara au Mali, les Touareg en Algérie, les Peul et Wadabé au Niger et au Tchad. Et si on regarde de plus près cette distribution, la première remarque qui frappe c'est ce découpage géographie si net. Dans le Nord, il y a le monde blanc, dans le Sud on y voit le monde noir et entre les deux, l'homme du désert, le Targui, qui se promène d'Agadez, ville d'histoire, célèbre carrefour commercial, édifiée sans plan grâce à l'architecture soudanaise, lieu de passage pour les caravanes à Chingetti, ville mythique construite au XIIe siècle, qui se trouvait sur la voie des grandes caravanes, on y échangeait 3 fois le poids de l'or contre 1 du sel. Oui le Targui se promène de Libye à la Mauritanie, partant chargé de toutes denrées, revenant avec des clandestins. Mais la vie des Targuis a été modifiée au fil du temps et des évolutions. Regardons l'Algérie qui est un superbe pays, mais dont le développement et la sédentarisation ont tué la philosophie des hommes du désert, la situation a évolué et la population touareg a presque disparu. Il y a aussi cette phase oubliée de la colonisation, donc l'école obligatoire obligeait chacune des familles à scolariser un des enfants. Les Touareg ne voulant pas envoyer un des leurs, donnaient un enfant d'esclave, le résultat … le Noir a pris sa revanche. Il y a aussi les deux ou trois grandes sécheresses qui ont poussé les grandes familles à partir dans les grandes villes, laissant les esclaves et les pauvres seuls. Un autre exemple de changement, celui de la polygamie, instaurée par les musulmans, alors que par essence, les Targuis étaient monogames. Et depuis peu, à Kidali dans le nord-est du Mali, l'islamisation arrive à grands pas par le biais des Nigérians et des Pakistanais wahabites qui développent un prosélytisme assez fort puisque les tenues arabes, voiles, etc., prennent le dessus sur les tenues traditionnelles. Puis il y a ces Targuis du FLAA, qui se trouvent dans le Ténéré au Niger, qui en 1991 ont pris les armes pour revendiquer leurs droits, cela a duré jusqu'en 1996. Une fois les droits obtenus, la révolte a cessé et la vie a repris son cours normal. A l'écouter, on comprend vite que ce désert si vide, si immense est bien plus complexe, mais surtout riche, riche de ses hommes, de ses villes et de son histoire.