Tounes Aït Ali reste fidèle à sa «ligne éditoriale» : défendre la cause de la femme coûte que coûte. A la place du discours que les temps effacent, la comédienne et metteur en scène offre des pièces de théâtre pour explorer les thèmes liés à la situation de la femme dans la société algérienne d'aujourd'hui. Dans Thalth al khali (No man's land), présentée jeudi 7 avril à la Maison de la culture de Sétif, Tounes Aït Ali raconte, à partir d'un texte écrit par Mohamed Chouat, le destin de trois femmes qui se retrouvent dans un territoire inconnu, lointain et où elles parlent de leurs douleurs et dévoilent leurs rêves. Il y a d'abord Khamsa (Houria Bahloul), la femme rebelle, qui ne croit plus à l'institution qu'est le mariage, après avoir perdu son fiancé durant les années du terrorisme en Algérie. Frileux, le théâtre algérien continue d'éviter les thématiques liées aux années de terreur et de violences en Algérie. Il y a ensuite El Djoher (Ryma Attal), la femme amoureuse, qui attend de retrouver «le cavalier de ses rêves», happé par les vapeurs de la lâcheté. L'attente est douloureuse. Et il y a Khadra (Amal Delhoum), la femme brisée, qui a tout vu dans sa vie, qui a souffert avec un époux ayant pris une autre femme encouragé par sa fortune. Khadra tente de recoller les morceaux, El Djoher baigne dans ses rêveries et Khamsa trouve la force dans le rejet d'un ordre oppresseur. Des visions qui suscitent inévitablement le conflit, l'échange vif, les rancœurs et les réconciliations. «Réveillez vous !» crie Khamsa à l'adresse d'El Djoher et Khadra. Symboliquement, un procès est fait à chacune des trois femmes. Occasion pour elles de se défendre face à un tribunal virtuel, qui pourrait être impitoyable. Un tribunal qui envoie l'amour en délibérations. Jusqu'à la fin des mondes ? On ne le sait pas. La scénographie imaginée par Chawki Khouathra évoque la potence avec des silhouettes de femmes accrochées à des cordes en arrière-scène. De ce monde des morts, émergent Khadra, Khamsa et El Djoher, traînant des caisses roulantes qui ressemblent à des valises ou, peut-être, à des paquets portant les lourdeurs de l'existence. Elles se protègent de la pluie avec des parapluies transparents. La pluie purifie et donne espoir. L'eau, la vie, la possibilité d'un autre destin, tout cela est évoqué dans la mise en scène contemporaine de Tounes Aït Ali. Le tout est servi avec la musique soignée de Hocine Smati, qui s'est réellement cassé la tête pour densifier le spectacle en puisant dans les sonorités diwane, jazz et oriental. L'idée de la metteur en scène était d'appuyer l'interprétation des trois comédiennes par une musique psychologique parlante. D'où le chant amazigh de Soussem ! (Tais-toi), ordre parfois donné aux femmes pour ne pas exprimer leur avis, dire leur mal. L'oppression commence toujours par l'interdiction de la parole. La chorégraphie légère de Toufik Kara a complété l'expression scénique sans déteindre sur la cohérence du jeu. Le chorégraphe semble avoir bien compris l'univers dramatique de la pièce. L'éclairage n'a pas été envahissant, juste ce qu'il faut avec l'évacuation du plein feu et la mise en valeur des profondeurs. Les trois comédiennes sont habillées de noir, comme pour suggérer le destin commun, ou plutôt la souffrance partagée, unifiée. «Le noir des costumes donne la même couleur des cadavres accrochés aux cordes à l'arrière-scène. Comme si nous avions décroché trois femmes en les ramenant vers nous pour qu'elles racontent leurs histoires. Nous voulions rester dans l'énergie du noir suspendu», a relevé Tounes Aït Ali. Qu'en est-il du quatrième personnage ? «Je n'ai pas voulu faire sortir l'homme. Cet homme n'avait rien à faire sur scène puisqu'on parle déjà de lui. Il s'agit de trois témoignages de femmes qui donnent leur définition de la vie. Nous ne donnons pas de leçons», a-t-elle ajouté, se défendant d'avoir voulu régler ses comptes avec les hommes. «Hommes et femmes se complètent. Ainsi est faite la vie», a repris Ryma Attal, débarrassée des habits de son personnage.