Présenté lundi soir en avant-première à la salle Ahmed Bey de Constantine, El Boughi, le nouveau long métrage de Ali Aïssaoui, est une sorte de Roméo et Juliette constantinois. Le chant malouf célèbre cette histoire du XIXe siècle dans un qcid connu interprété par Mohamed Tahar El Fergani et d'autres maîtres. Un qcid mélancolique du genre mahdjouz à travers lequel Saad Djaballah, le poète venu de Annaba, évoque son amour ardent pour Nedjma, la jolie fille des palais de la médina de Constantine de la fin de l'époque ottomane. Une passion compliquée entourée de jalousie, d'interdits et de non-dits. El Boughi pourrait être une légende. Aucun travail historique ou anthropologique sérieux n'a été fait en Algérie sur l'amour de Nedjma et de Saâd qui porte toutes les beautés cachées de la tragédie. On ne sait toujours pas si c'est Saâd Djaballah qui avait écrit ce poème. «A l'époque, beaucoup de textes chantés étaient écrits dans les foundouq», précise Saïd Boulemerka, le scénariste. En grande partie, le chant malouf n'est toujours pas écrit. Le scénario a été élaboré à partir de ce qcid avec l'idée de mettre la petite histoire dans la grande et une inspiration visible de «la fable» de Rose et Jack dans Titanic. «J'évoque l'expédition du maréchal Clauzel vers Constantine en novembre 1836. Attaquée repoussée par les troupes d'Ahmed Bey et du Bachamba Ali Benaïssa. Ahmed Bey a mené des combats contre les envahisseurs français jusqu'à 1848. Je raconte une histoire d'amour en temps de guerre. Si je m'étais limité à raconter cette histoire sans évoquer les batailles autour, ça n'aurait pas été intéressant», souligne le scénariste. Or, dans le film, le rôle d'Ahmed Bey, dernier Bey de Constantine, a été curieusement évacué. Ahmed Bey (Hassan Benzerari) n'apparaît qu'une seule fois lors d'un conseil de guerre dans son palais. Le Bachamba Benaïssa (Abdelbassat Benkhelifa) est plus présent alors qu'il était sous les ordres du Bey ! «Ahmed Bey était dans les combats. Nous n'avons pas filmé de scènes de batailles, car cela exige beaucoup de moyens techniques et financiers», a justifié Ali Aïssaoui. Les troupes d'Ahmed Bey avaient affronté, pour rappel, les armées des généraux français Lamoricière, Danrémont, Valée, Rigny, Trézel, Bernelle, Négrier et Galbois. Ils étaient venus en nombre tenter de conquérir M'dinet el hwa (La ville aérienne) après avoir pris Alger. «Les généraux français n'ont pas pu conquérir Constantine avec facilité. C'était un os dans leur gorge. Des hommes ont résisté jusqu'au bout pour la défendre contre l'ennemi», a rappelé Saïd Boulemerka. La résistance populaire dans les rues de Constantine contre les soldats français n'a pas été suffisamment montrée dans le film. Le cinéaste a, de toute évidence, échoué dans sa volonté de mêler l'histoire d'amour à celle de la résistance des Constantinois contre les attaques françaises. Pire, il a donné plus d'importance au drame qui entoure Saâd (Abbas Righi), menacé par le groupe conduit par le prétendant de Nedjma (Sara Laâlama), qu'à la lutte populaire pour repousser les Français. L'interprétation des comédiens, plus proche du théâtre que du cinéma, a dévalorisé presque complètement le film, un long métrage à l'aile déjà cassée par les confusions du scénario d'apparence trop narrative. Abbas Righi, qui passe du chant au cinéma, n'a pas réussi à camper le personnage de Saâd. Malgré ses efforts, Sara Lalama n'a dégagé aucune émotion à l'écran, figée et enfermée dans son rôle. La rencontre dans la rue de Nedjma avec Saâd, chantant le mouachah Jadak et ghythou hama, tient du mélodrame. Le gros plan sur le visage de Nedjma a plutôt desservi la comédienne dans l'incapacité de donner une expression authentique de son «coup de foudre» ! Antar Hellal, dans le personnage du Maltais, apporte une petite touche humoristique. Mais, sans plus. Dans le rôle de H'na, la domestique juive de Nedjma, Sabrina Boukerria, habituée des planches, s'est débrouillée comme elle pouvait pour donner vie à son personnage. Autant pour Djamel Dekkar, dans le rôle de Messaoud, le commerçant juif, mais sans s'éloigner des expressions théâtrales. El Boughi offre plutôt une autre image des juifs de Constantine, intégrés dans la société de l'époque et subissant les drames de la guerre. L'absence de la direction d'acteur est visible dans un film inutilement long (180 minutes). La bande-son est envahissante dans ce long métrage étouffant parfois les dialogues et troublant le propos. Souvent, le recours au chant pour appuyer la démarche dramatique n'a aucune justification. Cela donne une sensation de surdosage dans un film qui, théoriquement, n'est pas musical. El Boughi, qui souffre d'un montage peu soigné, ressemble également à un «drama» de télévision avec des situations surfaites. En témoigne cette image de la Lune entourée de nuages qui revient à chaque fois sans raison. L'infographie n'a pas été d'un grand secours pour le film : la scène des canons tirant sur la ville ressemblait à un cartoon ! Relevons toutefois un effort pour les décors et costumes. «J'ai travaillé sur un scénario trop descriptif qui manquait d'actions. Il fallait créer des situations et les mettre dans leurs contextes. J'ai sollicité Abbas Righi parce qu'il est chanteur. Le chant était pour moi un élément dramatique pour accompagner la narration. Je n'ai pas trouvé un espace pour tourner dans la Souika de Constantine, un lieu en dégradation totale, mal entretenu. Nous avons alors construit les décors de la place de Sidi Djliss et Al Derb avec les voûtes. J'ai tourné aussi dans des décors réels, mais avec difficultés, a souligné le réalisateur. Présent à la projection, Azzeddine Mihoubi, ministre de la Culture, a salué le travail effectué par Ali Aïssaoui et Saïd Boulemerka «à partir de moyens techniques et artistiques locaux». Il a ajouté : «C'était un défi constantinois. Le film regroupe des éléments dramatiques, historiques et artistiques importants. J'ai aimé la langue du film inspirée de la culture populaire. Le contexte historique est respecté. Le public est en attente de ce genre de travaux qui mettent en valeur le patrimoine national», a déclaré Azzedine Mihoubi. El Boughi sera en sortie nationale à partir du mois de mai. Il sera notamment projeté par le réseau de la Cinémathèque algérienne. Il en sera de même, à partir de juin 2016, de Lalla Zbida Ounass de Yahia Mouzahem, présenté mercredi soir en avant-première nationale à la petite salle du complexe Ahmed Bey. Quant à Wast al dar (Le patio) de Sid-Ali Mazif, autre film produit à la faveur de «Constantine, capitale de la culture arabe», il est actuellement projeté à la salle El Mougar, à Alger.