Les intervenants s'accordent à dire que le Front Polisario a gagné sa bataille juridique face au Maroc. En plus d'y être peu médiatisée, la cause du Sahara occidental n'a visiblement pas la cote en France. Le député PS des Bouches-du-Rhône et également président du groupe d'amitié France-Algérie, Patrick Mennucci — qui a coorganisé, mardi dernier, à l'Assemblée nationale, avec l'association des Amis de la RASD, une conférence internationale sur le conflit du Sahara occidental — s'est plaint de pressions qui, cependant, ne l'ont pas directement visé ; elles sont surtout exercées sur l'Assemblée française et son président, Claude Bartolone, que l'on a essayé, a-t-il dit, de dissuader d'abriter un tel événement. M. Bartolone a refusé de céder. Cette anecdote donne un aperçu, si besoin est, du poids des «amis» du Maroc en France. Elle lève aussi le voile sur les difficultés rencontrées par les sympathisants français de la cause sahraouie pour sensibiliser l'opinion française sur les enjeux du conflit vieux de près d'un demi-siècle. N'ayant pas froid aux yeux et se sentant en terrain conquis, certains partisans du «Sahara marocain» se sont d'ailleurs présentés à la salle Victor-Hugo de l'immeuble Chaban-Delmas, où ont eu lieu les travaux de cette conférence pour apporter, ont-ils dit, une «note critique» aux débats. Cette intrusion n'a toutefois aucunement déteint sur le cours des événements. Bien au contraire, ces amateurs de «débats contradictoires», venus plaider la cause de la «marocanité du Sahara» et exiger à l'occasion que l'Algérie et la France «s'occupent de leurs oignons» ont été renvoyés de façon magistrale à leurs livres d'histoire et aux résolutions de l'ONU pertinentes par Gianfranco Fattorini, représentant permanent de l'Association américaine des juristes auprès de l'ONU, et Pierre Galand, président de la Coordination européenne de soutien au peuple sahraoui. A court d'arguments, ils ont fini par se faire discrets. Mise au point magistrale En elle-même, la conférence — à laquelle ont également participé le représentant de l'Union africaine (UA) auprès de l'Union européenne (UE), l'ambassadeur Ajay K. Bramdeo, l'avocat du Front Polisario, Gilles Devers, Vincent Chapaux, maître de conférences au centre de droit international de l'université libre de Bruxelles, ainsi que de nombreux autres invités — est intéressante en ce sens qu'elle a permis de traiter le conflit du Sahara occidental sous différents aspects. Elle a donné la possibilité aux présents de mieux comprendre la nature des obstacles sur lesquels bute le règlement de la question sahraouie. Néanmoins, nombreux ont été les intervenants ayant abordé le conflit sous l'angle du droit et plus précisément du droit international. Dans tous les cas, les intervenants s'accordent sur le fait que le Front Polisario a gagné haut la main le gros des âpres batailles juridiques qui l'ont opposé au Maroc ces 40 dernières années. Et ce sont justement ces batailles gagnées qui ont conduit, en décembre dernier, la Cour européenne de justice (CEJ) à passer à la trappe l'accord agricole et de pêche qui liait jusque-là le Maroc et l'Union européenne. C'est l'idée défendue autant par Me Gilles Devers, l'avocat du Front Polisario, que par M. Chapaux de l'université de Bruxelles dans sa conférence intitulée «Rien ne change mais tout est différent : 40 ans d'application du droit international au Sahara occidental». La plupart des interventions ont un autre point commun : elles mettent en exergue «le rôle de la France» dans l'attitude de défiance qu'affiche le Maroc à l'égard de la communauté internationale et du droit international. Ainsi qu'il fallait s'y attendre, les premières critiques sont venues du représentant du Front Polisario en France, Oubi Bouchraya, qui a insisté sur l'idée que le soutien accordé par la France au Maroc «sape» les efforts déployés par la communauté internationale pour régler le conflit du Sahara occidental conformément aux résolutions de l'ONU. A l'occasion, M. Bouchraya appelle d'ailleurs la France à changer d'attitude, avant de l'inviter à s'impliquer dans la dynamique de règlement du conflit (lire ci-dessous notre entretien avec Oubi Bouchraya). La France, le Sahara occidental et le Maroc Bien que reconnaissant que «la responsabilité de la France en tant qu'ancien pays colonisateur dans cette partie du monde est tout à fait décisive», Patrick Mennucci — qui a rappelé au passage son «soutien au droit du peuple sahraoui à l'autodétermination» — a toutefois indiqué qu'il ne croit pas que la levée de boucliers au Maroc, ayant suivi la visite de Ban Ki-moon dans les territoires sahraouis libérés en mars dernier, «ait un rapport avec la position française». «Je pense que le Maroc est assez grand pour assumer ce qui a été fait». «La responsabilité de la situation incombe avant tout au Maroc et non à la France», a-t-il ajouté. Au-delà, M. Mennucci a invité aussi les présents à saisir «la difficulté que peut avoir la France dans sa relation avec le Maroc qui est considéré comme un partenaire très important dans la région». Le président du groupe d'amitié France-Algérie a terminé son allocution en confiant qu'il y a des personnalités, en France, qui aident à faire avancer les positions de l'ONU sur le Sahara occidental. De son côté, Gianfranco Fattorini, qui a traité dans son intervention de «L'application du droit international dans les différentes instances de l'ONU et du rôle de la France au Conseil de sécurité », a certes reconnu que la responsabilité du drame des Sahraouis incombe d'abord au gouvernement marocain. Cependant, il a indiqué qu'en «cajolant moins le Maroc», la France pourrait faire progresser le processus de règlement du conflit sahraoui. « Quand la France veut agir, elle agit», a-t-il martelé. M. Fattorini a estimé, en outre, que «la France sortirait grandie si elle jouait un rôle plus actif». «Laisser le Maroc agir de la sorte participe à l'affaiblissement de l'ONU et à l'aggravation du désarroi et du désespoir de la jeunesse sahraouie qui pourrait être amenée à faire des choix qui ne seront pas nécessairement les meilleurs», a-t-il conclu non sans suggérer de «commencer à réfléchir à utiliser d'autres instruments dont dispose le Conseil de sécurité pour déverrouiller la situation».