Djilali Hadjadj, porte-parole de l'Association algérienne pour la lutte contre la corruption (AACC), revient sur les dernières révélations des Panama Papers. - Que révèle la nouvelle liste des 22 clients algériens du cabinet panaméen ? Cette liste est significative de ceux qui, en Algérie, font dans les pratiques offshore : des personnes ayant fait partie du gouvernement ou leurs proches qui en font toujours partie (Bouchouareb), ou dont leurs pères faisaient partie (Bendjedid, Zerhouni). Ces personnes appartiennent à la nomemklatura, elles sont issues du pouvoir ou de sa périphérie. Elles ont acquis des fortunes en un temps record, dans l'opacité la plus totale, faisant dans l'enrichissement illicite condamné par la loi (celle du 20 février 2006, relative à la prévention et à la lutte contre la corruption). Des fortunes qu'elles protègent en les plaçant dans des centres offshore. Il y a à la fois enrichissement illicite, abus de pouvoir, fuite de capitaux, infraction à la réglementation sur le transfert des devises et évasion fiscale. Et tout cela, uniquement au niveau d'une seule société panaméenne et d'un seul paradis fiscal. Combien d'autres personnes de la même nomenklatura ont-elles placé des sommes énormes dans d'autres paradis fiscaux ? - Les sociétés offshore détenues par l'épouse de Chakib Khelil ont-elles servi à dissimuler des comptes bancaires en Suisse, d'après vous ? Chakib Khelil a beau nier ce qu'il possède comme comptes bancaires à l'étranger et comme biens immobiliers, les faits finissent par le rattraper. Et ce n'est qu'une partie de sa fortune qui a été placée au Panama. Il paye très cher des cabinets d'avocats spécialisés dans la gestion de fortunes pour gérer au mieux ses comptes… Situation cocasse, Chakib Khelil faisait la démonstration, sur une chaîne de télévision algérienne, il y a quelques jours, d'une des techniques qu'il utilise pour faire fructifier au mieux ses placements financiers et surtout pour payer… le moins d'impôts possible : la technique des comptes «saute-mouton», c'est-à-dire d'un pays à un autre, d'une banque à une autre !!! Ce qu'il ne dit pas, c'est que cela sert surtout à casser la traçabilité de ses comptes et donc cela empêche de savoir surtout d'où viennent ces fortunes, comment et par qui ont-elles été alimentées. Toujours sur la même chaîne, en avouant ce qu'il possède à l'étranger, Chakib Khelil reconnaît implicitement : soit qu'il n'a pas du tout fait de déclaration de patrimoine (au début et à la fin de ses fonctions gouvernementales en Algérie), si c'est le cas, il y avait une intention délibérée de dissimuler des avoirs acquis illicitement ; soit il a fait de fausses déclarations de patrimoine !!! Dans les deux cas, cela relève du pénal. Toujours à propos de la déclaration de patrimoine, la loi algérienne du 20 février 2006, même insuffisante, prévoit d'inclure les biens de l'épouse (ou de l'époux) de l'agent public, un ministre en l'occurrence : donc de Mme Chakib Khelil. - Ces nouvelles révélations confirment-elles le rôle prépondérant de l'épouse de Chakib Khelil dans l'affaire Sonatrach ? C'est une grosse partie des sommes placées sur les comptes suisses qui a alimenté les comptes des sociétés offshore au Panama et dans d'autres paradis fiscaux. S'il n'y a pas implication directe de Mme Khelil dans les affaires Sonatrach, l'épouse du ministre, aujourd'hui, n'est pas en mesure de justifier d'où lui vient cet argent. Chakib Khelil s'étant servi du nom de jeune fille de son épouse pour cacher son implication dans l'ouverture et la gestion de ces sociétés offshore. - Viennent-elles compléter le puzzle de l'affaire Sonatrach ? Ces révélations viennent plutôt confirmer les pratiques criminelles du ministre-PDG de Sonatrach nommé Chakib Khelil, pratiques que certains accusés avaient évoquées dans le procès de l'affaire Sonatrach 1. Elles confirment aussi le rôle central de Chakib Khelil dans l'affaire ENI/Saipem-Sonatrach, en cours de procès au tribunal de Milan. Mais il y a plusieurs autres affaires Sonatrach – 2, 3, 4, etc.– pendantes soit auprès de la justice algérienne (Sonatrach 2), de la justice monégasque (affaire dite Unaoil, avril 2016) et de la justice d'autres pays… L'AACC va rendre publique dans les prochains jours une autre affaire où est impliqué Chakib Khelil, en liaison avec des dirigeants d'un pays européen à qui nous fournissons de grandes quantités de gaz. Le «puzzle» des affaires Sonatrach comprend des centaines, voire des milliers de pièces : d'autres enquêtes, voire d'autres Panama Papers complèteront ce «jeu criminel» qui a coûté et qui continue de coûter très cher à l'Algérie. N'oublions pas que ce sont des dizaines et des dizaines de milliards de dollars qui ont été dilapidés par un petit groupe de «décideurs» dont Chakib Khelil n'était (et est toujours) qu'un maillon.