L'homme d'affaires estime que sauver les emplois et défendre toutes les libertés dans le sens le plus large et en particulier la liberté d'expression est «un devoir citoyen». Le premier homme d'affaires algérien, le PDG du groupe Cevital, Issad Rebrab, fait le point. Il met à nu l'environnement économique malsain en Algérie et défend la transaction conclue avec les actionnaires du groupe de presse El Khabar. Cette fois, c'est dans un entretien accordé au quotidien français Le Monde que le premier opérateur privé du pays dénonce la chasse aux sorcières menée contre «les hommes libres et indépendants» en Algérie. Issad Rebrab évoque d'abord le rachat d'El Khabar que le ministère de la Communication tente actuellement d'annuler en saisissant la justice. «Les journalistes et les actionnaires nous ont sollicités parce qu'ils étaient en difficulté, étant donné que certains cercles du pouvoir leur ont coupé la publicité des organismes publics. El Khabar, qui est un média indépendant, nous a demandé d'entrer dans le capital du journal pour sauver ses emplois, mais aussi son indépendance. Etant donné que je suis un entrepreneur citoyen, j'ai répondu favorablement», explique-t-il. Selon lui, sauver les emplois et défendre toutes les libertés dans le sens le plus large et en particulier la liberté d'expression est «un devoir citoyen». «Moi-même, en tant que personne, j'ai investi dans le journal Liberté dans les moments les plus difficiles des années 1990 pour promouvoir la démocratie, la liberté d'expression et la liberté d'entreprendre», rappelle-t-il. Issad Rebrab affirme, dans la foulée, qu'il n'arrive pas à comprendre l'action du ministère de la Communication : «Nous avons respecté scrupuleusement les lois et la réglementation algériennes concernant cette acquisition. L'acte a été approuvé non seulement par nos juristes, mais aussi par le notaire qui a enregistré la vente : s'il y avait eu un problème juridique, il n'aurait pas pu établir l'acte, encore moins le publier. Du point de vue du droit, nous sommes sereins. Si la justice est réellement appliquée, nous n'avons aucun problème. Si elle est instrumentalisée, c'est une autre affaire… Pour ce que j'en comprends, on veut en réalité limiter la liberté d'expression, la liberté de la presse, comme on a aussi limité la liberté d'entreprendre.» «On veut tout museler» L'homme d'affaires aborde également le blocage des investissements de son groupe en Algérie et les contraintes auxquelles font face des investisseurs nationaux. «Nous avons aussi des projets industriels que nous n'avons pas pu réaliser parce que nous n'avons pas eu l'autorisation du Conseil national des investissements (CNI) qui limite le seuil des investissements à 15 millions d'euros actuellement (initialement à 5 millions), alors que nous sommes dans un pays qui a besoin de création d'emplois et qui a le potentiel pour avoir une croissance à deux chiffres», affirme-t-il, en insistant sur la nécessité de diversifier l'économie nationale. Mettant l'accent sur les capacités de son groupe à contribuer à cet effort de diversification de l'économie, Issad Rebrab évoque des statistiques prouvant que l'Algérie pourrait se retrouver dans une situation délicate dans les prochaines années : «Je me soucie beaucoup pour mon pays. Dans moins de cinq ans, il y aura 10 millions de nouveaux demandeurs d'emploi. En 2025, l'Algérie comptera 50 millions d'habitants. Nous allons consommer de plus en plus d'électricité, près de 5% de plus par an de gaz et de carburant. Nous ne pourrons plus exporter ce que nous vendons aujourd'hui.» Niant toute implication dans le débat autour du 4e mandat du président Bouteflika, il déplore les bâtons mis dans les roues «des investisseurs qui ne sont pas proches du pouvoir» actuel. Et d'asséner : «Aujourd'hui, on a l'impression qu'on veut tout museler, tout contrôler, alors que le rôle de l'Etat est d'encourager, réguler et redistribuer la richesse, mais pas de la freiner.» Le patron de Cevital se montre également prudent et refuse de s'impliquer dans le débat autour de la capacité du chef de l'Etat à gouverner. «Je lis comme tout le monde ce qu'écrit la presse, mais je ne suis pas dans le sérail pour l'infirmer ou le confirmer», déclare-t-il. Par la même occasion, Issad Rebrab explique le sens de ses précédentes déclarations dans lesquelles il avait dénoncé «l'antikabylisme». «Ce n'est pas tout à fait cela. D'ailleurs, le directeur de cabinet de la présidence de la République est Kabyle. Et dans le domaine économique, il y a des Kabyles — dont le président du Forum des chefs d'entreprise — qui sont dans le sérail. Ce n'est pas un problème de régionalisme, c'est plutôt une affaire de soumission : le pouvoir n'aime pas et ne supporte pas les hommes indépendants et libres», dit-il en se définissant comme «un électron libre, un homme indépendant». «Je pense que je paye les conséquences de ma liberté», lâche-t-il.