- Quelle est la place du soufisme en Algérie ? Peut-on imaginer qu'une union des confréries puisse être efficace contre le radicalisme ? L'islam, à l'origine, est une spiritualité séculaire. Mais force est de constater que cet islam originel a été détourné juste après le décès du Prophète Mohamed au profit d'un projet politico-religieux auquel on a donné le nom de «califat». Depuis, l'islam spirituel originel est devenu marginal et persécuté par les pouvoirs en place et les foukahas, alliés historiques de ces pouvoirs. De nombreux soufis ont été excommuniés et exécutés par les pouvoirs à la suite de fetwas décrétées par les foukaha. Ce fut le cas de Hadjar Ibn Adi, Halladj, Souhrawardi, Nassimi ou Djami. C'est le wahhabisme, représentant par excellence du discours des foukahas, qui est en grande partie responsable du terrorisme durant les années 1990 qui a engendré plus de 200 000 morts. Le soufisme, représentant de l'islam algérien par excellence, n'a jamais cautionné ni légitimé la violence, sauf contre les envahisseurs étrangers. Une union des confréries pourrait être efficace contre le radicalisme, mais à condition qu'elle ne soit pas une union de vitrine ou fictive, mais une union réelle, effective et active sur le terrain. Mais pour le moment on n'en est pas là. J'ai toujours appelé à une union de ce genre. Je pense que les confréries, en Algérie, ne sont pas encore arrivées à ce niveau d'interactivité avec la réalité vécue. - Depuis plusieurs semaines, les autorités algériennes répètent qu'elles veulent être le porte-parole d'un islam de paix. Est-ce que l'Algérie peut effectivement avoir ce rôle ? L'islam algérien a de tout temps été un islam de paix — et là je parle de l'islam populaire spirituel adopté depuis des siècles par la majorité des Algériens. Je ne parle pas de l'islam wahhabite qui nous a été importé d'Orient par le courant salafiste représenté, dès les années 1920, par l'Association des Oulémas et les mouvements politiques islamistes d'après l'indépendance dont elle a été l'initiatrice. En effet, les soufis, les chouyoukh des confréries, ont largement contribué à stopper le bain de sang perpétré par les islamistes radicaux et à ramener la paix en Algérie. Si le discours officiel prétend parler d'un islam de paix, il faudrait que cela se répercute au moins sur les programmes scolaires. Nos écoles continuent à enseigner, dans les programmes d'éducation religieuse, la violence, la xénophobie et la haine de l'autre. Je pense que c'est là que doit commencer l'islam de paix prôné par le discours officiel. - Aujourd'hui, les confréries soufies sont présentes dans certains pays du continent africain, comme le Mali ou le Sénégal. Pourtant, ce sont des pays où le terrorisme qui dit s'appuyer sur l'islam est important. Est-ce juste de penser que le soufisme peut avoir un impact ? L'islam est arrivé partout en Afrique grâce au travail des confréries soufies, et ce, depuis plusieurs siècles. Mais il se trouve qu'avec la décolonisation et la pauvreté des Etats africains, les Saoudiens ont trouvé un terrain vierge et facile pour propager le wahhabisme à coups de pétrodollars. Et c'est comme ça que sont nées des organisations comme Boko Haram ou les shebab. L'islam africain est essentiellement soufi, mais les confréries ne peuvent pas à elles seules éradiquer la pauvreté et la précarité, il faut le concours des pouvoirs politiques. En effet, la Tidjania par exemple, a contribué activement à trouver une solution à plusieurs conflits sanglants en Afrique. Les confréries en Afrique doivent être dotées des moyens. Encore faut-il que les pouvoirs africains ne soient pas de mèche avec le wahhabisme. Or,c'est le cas de plusieurs organisations officielles à travers le monde. Il n'est pas facile de résister aux pétrodollars.