Parmi les édifices les plus touchés à Mihoub, le lycée Belgherbi Saïd, l'unique établissement d'enseignement secondaire de la commune. Inauguré il y a trois ans, le lycée compte 661 élèves issus principalement des circonscriptions de Mihoub et de Maghraoua, selon le directeur de l'établissement, Ahmed Hamdaoui. 282 élèves dudit lycée sont candidats au bac. «Ils ont été répartis sur deux centres d'examen à El Azizia», indique M. Hamdaoui. Les candidats sinistrés sont ainsi contraints de réviser sous des abris de fortune. Ils subissent à ce titre une double épreuve : celle du bac et celle du séisme. Certains ont dû jeter l'éponge tant les conditions sont surréalistes. «Il aurait fallu tenir compte des circonstances exceptionnelles dans lesquelles se déroulent les épreuves pour leur offrir une seconde chance», plaide un enseignant. Il n'y a pas que le dernier séisme qui a compromis leurs chances. Tout le troisième trimestre a été pour eux un véritable calvaire vu l'état du lycée. Outre les effets du tremblement de terre du 29 mai, il faut savoir que l'établissement a subi des dégâts très lourds provoqués par les secousses antérieures, tout particulièrement le séisme du 10 avril 2016, de magnitude 5, qui avait frappé la région. «Le lycée a dû être fermé après le séisme d'avril dernier. Le principal bloc pédagogique a subi des dommages importants», indique le directeur. Même si rien n'a été épargné pour assurer aux élèves la continuité des cours, la préparation du baccalauréat dans ces conditions s'avérait difficile. «Autant dire que tout le troisième trimestre a été sacrifié alors que c'est le plus important», fait remarquer un professeur, lui-même sinistré. M. Hamdaoui n'a de cesse d'inspecter les lieux. Il n'a pas un moment de répit. Le directeur du lycée nous fait une visite guidée dans les locaux de l'établissement dévasté. Un énorme trou est visible d'emblée dans la façade d'une nouvelle bâtisse réceptionnée le 1er mars dernier, qui comprend un dortoir de 300 lits et un réfectoire. «Nous avons à peine organisé une réception dans le nouveau réfectoire, le 24 mai, à l'occasion de la fin de l'année et le voilà déjà hors service», soupire notre guide. Le bloc pédagogique principal qui compte 9 classes, a été fortement secoué, à telle enseigne qu'aucun mur, aucune salle de cours ne sont épargnés par les fissures. Des blocs, des briques et des gravats jonchent les couloirs. Les tables et les chaises sont empilées à l'extérieur. Sur la porte de certaines classes est tracé au rouge le signe «X» synonyme de danger. La dernière leçon d'anglais… Détail émouvant : sur le tableau d'une classe, un exercice d'anglais daté du… 10 avril justement. «Rewrite the sentences using so that», peut-on lire sur le tableau. C'était le dernier cours d'anglais abrité par cette salle avant le cataclysme. Sur le mur d'une autre classe, ce slogan enthousiaste : «Yes we can, bac 2016». Un autre écriteau surplombant le tableau est tout aussi euphorique : «Bac 2016, on va réussir Inch'Allah». Des rêves que l'on n'espère pas voir brisés même si le décor est triste. «Ils auront l'occasion de repasser le bac et de réaliser leurs rêves, ce qui compte avant tout, c'est la vie», relativise le sémillant directeur dans un sourire pédagogique et tellement humain. Outre le lycée, un bâtiment abritant des logements de fonction (dont celui de M. Hamdaoui) est sévèrement touché. Il est décrété inhabitable. «Nous aussi on vibre de peur. Je loge à présent dans la vieille chaumière paternelle, qui est elle-même touchée. Hier (dimanche), on a passé la nuit à la belle étoile, sous une bâche en plastique», confie M. Hamdaoui, avant de lancer, retenant stoïquement son émotion : «On a échappé au pire.» Mohamed Boukhit, gardien du lycée, a bénéficié d'un logement de fonction dans ce même petit immeuble. Il nous fait visiter son appartement situé au rez-de-chaussée : les dégâts sont, là encore, innombrables. Et ce n'est pas tout : Mohamed nous apprend qu'il vient d'être mis à la retraite. «Je perds doublement mon logement : le séisme l'a détruit et la mise à la retraite forcée m'en a définitivement retiré le droit de jouissance. Qu'est-ce que je vais devenir ? Où vais-je habiter ? J'ai 57 ans, j'ai attendu d'avoir ce logement pour me marier. Ma femme est chez ses parents à Aïn Defla avec les enfants. Je ne sais pas ce que je vais devenir ! » répète-t-il, catastrophé. Le surveillant général Raki Saïd s'écrie, de son côté, dans un élan d'indignation : «Où sont les responsables ? Est-ce que nous sommes des Algériens comme tout le monde ou bien des citoyens de deuxième classe qu'on convoque juste pour les élections ? On ne demande pas l'aumône. Si on est citoyens comme les autres, choufou fina, donnez-nous juste un peu de considération.» «Sommes-nous une simple statistique ?» M. Hamdaoui regrette que l'on soit chiche de gestes de solidarité envers Médéa et ses chaumières montagneuses lourdement éprouvées tantôt par le terrorisme, tantôt par la misère ordinaire et maintenant par les assauts telluriques. «L'Algérie a exprimé des gestes de solidarité même vis-à-vis de l'extérieur, du Soudan à l'Asie, serait-elle avare de générosité envers ces tréfonds oubliés ?» s'interroge-t-il. «Le geste solidaire ne doit pas être calculé. Pourquoi rechigne-t-on à distribuer de simples tentes ? On voit bien dans quelles conditions vivent les gens.» Et de plaider : «La population, ici, a besoin d'assistance, il faut lui venir en aide, la soutenir. Les gens sont en détresse, il leur faut de l'assistance psychologique.» A moins que… Avec beaucoup d'esprit, Ahmed Hamdaoui convoque ces mots de Staline : «La mort d'un homme, c'est une tragédie ; la disparition de millions de gens, ce n'est qu'une statistique.» «A moins que nous ne soyons pour eux qu'une statistique», reprend Si Ahmed. «Si on n'est pas une statistique et qu'on a pris réellement la mesure du désastre, alors, qu'on montre au moins un peu d'égards pour ces gens. Ils ont droit à la vie !»