C'est sur les Hauts-Plateaux du Sud constantinois, à la fin du mois d'août dernier, que ce qui n'était jusqu'alors qu'une hypothèse souvent raillée est devenue une réalité indéniable. Des observations et des mesures de protection menées depuis 2003 par le Laboratoire de recherche des zones humides de l'université d'Annaba (LRZH) en collaboration avec la station biologique de la Tour du Valat (Camargue, France) et la conservation des forêts d'Oum El Bouaghi ont permis à 8500 flamants roses (Phénicoptérus ruber) de coloniser un îlot de 0,9 ha de la Garaêt ou Sebkhet Ezzemoul, en bordure de la route qui mène de Aïn Kercha à Boulhilet dans la wilaya d'Oum El Bouaghi. 4300 couples fidèles, croit-on savoir, qui partagent toutes les tâches, celle, entre autres, de construire un nid, de faire un œuf, de le couver pendant 30 jours, et d'élever en crèche pendant 12 semaines quelques 5000 poussins qui, à partir de la mi-septembre, ont pris leur envol vers des sites d'hivernage. Avant cela, le statut du flamant rose au Maghreb, particulièrement en Algérie, était flou. Des travaux scientifiques antérieurs, fondés sur des observations rigoureuses qui remontent au début du siècle dernier, rapportent la présence de l'espèce dans de nombreuses zones humides du pays avec une assiduité plus marquée pour les sites des Hauts-Plateaux constantinois et ceux de l'Oranais, elle est, en effet, présente toute l'année dans les sebkhas d'Oran et d'Arzew et à l'embouchure de la Macta. Les groupes observés dépassaient rarement 2000 oiseaux et on estimait à 6000 individus les effectifs totaux de la population algérienne. La nidification n'ayant jamais été prouvée, bien que de nombreux auteurs étaient convaincus de l'existence de sites de reproduction parce que des milieux convenaient parfaitement, l'espèce a été homologuée comme hivernante. Il faut signaler ici que sur toute la planète, il y a moins de 30 sites de reproduction précisera les 6 espèces de flamants réparties entre l'ancien et le nouveau monde. Les effectifs mondiaux des flamants atteignent 4,2 millions d'individus dont 3 pour le flamant nain (Afrique équatoriale et du Sud), 500 000 pour le flamant rose (Méditerranée, Proche-Orient, Asie mineure, Asie centrale et sous-continent indien), 500 000 pour le flamant du Chili (partie sud de l'Amérique du Sud), 100 000 pour le flamant des Andes, 90 000 pour le flamant des caraïbes et 50 000 pour le flamant de James qui ne sont visibles, eux, que sur les lacs de haute altitude, plus de 3000 m, dans la région frontalière entre l'Argentine et le Chili. Guidé par les indications fournies par des autochtones, l'équipe du LRZH d'Annaba, dirigée par le Pr. Boudjemaâ Samraoui, va concentrer ses recherches dans le complexe des zones humides du Sud constantinois, les sebkhas d'Oum El Bouaghi, et dans le nord du grand Erg oriental, la vallée de l'oued Righ. Ainsi, des milliers de flamants ont été observés en automne 2002 dans les lacs salés d'Oum El Bouaghi. A la fin de l'hiver, les chercheurs observent déjà des prémices de la parade nuptiale qui va s'étaler jusqu'en avril 2003. Le premier œuf est découvert sur la berge d'un lac, le 11 juin, et il sera suivi d'une dizaine d'autres jusqu'à la mi juillet. Vers la fin de ce mois, une soixantaine de juvéniles sont observés mais l'incertitude plane sur leur provenance car c'est aussi à cette période qu'arrivent les flamants d'Europe. En mars 2004, une colonie d'une soixantaine de nids avec des œufs dedans est découverte sur un îlot de Garaêt Ezzemoul, un lac salé exploité en partie pour l'extraction du sel. L'îlot est miraculeusement protégé cette année-là par la forte pluviomètrie qui l'a rendu inaccessible aux prédateurs qui mangent les œufs et détruisent les nids. Des riverains affirment que cette colonie est présente chaque année depuis au moins le début du XXe siècle. En juin, l'équipe du LRZN dénombre 8500 flamants sur l'îlot et l'ardeur des parades nuptiales ne laissait aucun doute sur la suite du déroulement de la reproduction. Mais quelle a été leur déception en juillet lorsqu'ils trouvent la colonie déserte, sans doute dérangée et chassée par l'intrusion de pilleurs d'œufs car des informations ont fait état de la vente dans le secteur d'une importante quantité d'œufs. En 2005, toutes les précautions sont alors prises pour protéger l'îlot et sensibiliser les riverains qui sont associés à l'opération. La nidification se déroule normalement jusqu'à son terme et en septembre, 5500 poussins s'envolent de Garaêt Ezzemoul qui devient ainsi l'un des principaux centres de reproduction du bassin méditerranéen. Mais la science ne se contente pas de simples observations, elle est plus exigeante. En 2006, la colonie s'installe et cela malgré des pluies tardives qui ont suscité quelques inquiétudes. Elle donnera 4500 poussins que les chercheurs, qui s'étaient préparés dans cette perspective, vont baguer avec un code algérien pour pouvoir les suivre dans leur périple migratoire avec les informations qui seront communiquées par les réseaux de chercheurs et d'observateurs ornithologiques. Une avancée prodigieuse pour la conservation de l'espèce que vient de réaliser le LRZH d'Annaba. Déjà, en mars 2004, le professeur Boudjemaâ Samraoui a créé la surprise lorsqu'il annonce au congrès panafricain d'ornithologie (Djerba, Tunisie) que ses dénombrements de flamants dans l'oued Righ (Biskra / El Oued) donnent 60 000 individus rien que dans cette région du pays qui se place par la même occasion au rang des zones d'hivernage (quartiers d'hiver) d'importance internationale. La découverte de la colonie de G. Ezzemoul est d'une extrême importance car les sites de nidification dans le bassin méditerranéen se comptent sur les doigts d'une main d'où son importance pour la conservation de l'espèce qui a frôlé la disparition dans les années 1960. Des sites de ce type sont entièrement gérés en Europe. En Camargue, la station biologique de la Tour du Valat a réalisé, en 1970, un îlot artificiel où nichent 10 000 couples. C'est aujourd'hui le site plus important de toute la Méditerranée. L'îlot de 0,9 ha de G. Ezzemoul est, par contre, un site naturel qui accueille près de 6000 couples ! C'est dire l'importance de cette zone humide et l'urgence d'une protection concrète sans laquelle elle connaîtra le même sort que les autres zones humides algériennes qu'on croit avoir définitivement mises à l'abri en les portant sur la liste de la convention Ramsar comme c'est le cas, il faut encore le rappeler et le déplorer, des lacs d'El Kala se trouvent dans un parc national.