Le phénomène massif des fuites est très grave Il y a environ une année, dans les colonnes d'El Watan, j'avais plaidé vigoureusement pour un soutien total aux réformes engagées par la ministre de l'Education nationale, Nouria Benghebrit, afin de réhabiliter une école algérienne en charpie. J'avais loué son courage, sa détermination, sa profonde connaissance des dossiers face aux courants ultraconservateurs et obscurantistes qui cherchaient à s'opposer à sa politique. Les fuites qui viennent d'entacher la session 2016 du baccalauréat et qui ont conduit la ministre à organiser une deuxième session partielle de cet examen, démontrent à l'envi qu'au-delà de l'école, c'est l'ensemble des tissus sociaux de notre pays qui sont contaminés par la corruption, l'esprit mafieux et plus globalement par la primauté de comportements anomiques qui désespèrent de l'éclosion, un jour, d'un Etat de droit en Algérie. Mutatis, mutandis, on observe une dérive comparable dans le secteur hospitalo-universitaire où l'accès au résidanat est subordonné, dans certaines facultés, au payement par l'impétrant d'une somme variant entre 600 000 DA et un million de dinars à un intermédiaire agissant pour le compte de tel ou tel mandarin. Le remarquable professeur Nasreddine Djidjelli qui s'impose de plus en plus comme une conscience morale dans la société civile, gagnerait à prendre la tête d'une croisade conte ce fléau que vient justement de dénoncer l'ancien chef de gouvernement Ahmed Benbitour (El Watan des 11 et 12 juin 2016). Quoi qu'il en soit, Nouria Benghebrit a eu raison d'affirmer que celles et ceux qui ont délibérément organisé ces fuites visent à déstabiliser non seulement l'institution scolaire mais, à travers elle, l'Etat tout entier. Ils délivrent aux générations montantes le message le plus malsain qui soit et leur inculquent qu'il n'est de morale digne de ce nom que relative et contingente. S'il est vrai que notre pays reste relativement désarmé face à la montée de la cybercriminalité, malgré les efforts gigantesques déployés par les services de police, de gendarmerie et de sécurité, seule une enquête judiciaire minutieuse, pourra mettre au jour la chaîne de commandement qui a rendu possible cette infamie avec ses commanditaires, ses inspirateurs occultes, ses manipulateurs et ses exécutants. On ose croire que des sanctions, à la mesure de la gravité des faits commis, seront prononcées contre toutes les personnes dont la culpabilité aura été reconnue, quel que soit leur rang social ou, le cas échéant, leur position dans l'appareil de l'Etat et qu'il n'y aura pas seulement mise en cause de quelques lampistes. La volonté de Mme Benghebrit de réformer l'école gêne les partisans du statu quo Personne ne peut mettre en doute la volonté de Mme Benghebrit d'œuvrer à la refondation de l'école algérienne qui est probablement l'institution la plus malade de la société. Le temps presse, car notre pays décroche dangereusement des standards internationaux établis par l'Unesco et autres organismes, de réputation mondiale, chargés d'évaluer les performances des systèmes éducatifs. Le mérite de Mme Benghebrit est d'autant plus grand qu'on ne peut pas dire qu'elle ait bénéficié d'un fervent soutien de la part de l'encadrement de son ministère dont certains éléments ont pu circonvenir parents d'élèves, enseignants, élèves et même certains syndicats sur la nature des changements impulsés par la ministre. A cet égard, le constat désabusé dressé par le sage patron du Snapest, Meziane Meriane, sur les impérities commises à l'occasion de la préparation et de l'organisation du Bac 2016, est fondé. Il pointe, par là, le doigt sur des personnes qui cherchent à saper la politique de Mme Benghebrit qui se veut pourtant aux antipodes du laxisme, de la complaisance et de la démagogie qui furent la marque de fabrique de l'ensemble des ministres qui l'ont précédée depuis l'avènement de Chadli au pouvoir, en 1979. Le secrétaire général du RCD est également dans le vrai en stigmatisant les ennemis de l'école algérienne, prenant bien soin d'épargner la première responsable du secteur. Il est également important de louer le rôle, éminemment positif, joué par la presse indépendante, qui a su rendre compte des fuites du Bac avec un sens de l'objectivité et un professionnalisme exemplaire, a tenu à rappeler l'actuel Directeur de cabinet du président de la République, pourtant régulièrement épinglé par les journalistes de ce quotidien). Si Mme Benghebrit avait été désignée à la tête de ministère de l'éducation, dès 1999, notre Ecole aurait certainement eu aujourd'hui un autre visage. Ce n'est qu'en 2014 que le président de la République, alerté de toutes parts, par l'incurie de notre système éducatif, décide de lui confier le sort de nos enfants, convaincu que cette femme d'autorité (et non pas cette femme autoritaire), de courage, de patience, imbue de patriotisme, toute vouée au service du pays (il s'agit d'une tradition familiale) saura sauver l'école algérienne. Il a été reproché à Mme Benghebrit une faible capacité d'écoute aux doléances des parties prenantes au sort de l'Ecole. Ce grief est controuvé. La ministre de l'éducation n'a eu de cesse, au contraire, que d'associer dans sa vaste réforme, les syndicats, les cadres de son ministère, les chefs d'établissements, les parents d'élèves. Elle ne pouvait accepter, cependant, de s'aligner sur les partisans du statu quo et ceux qui lui opposent, à ce jour, une fin de non recevoir à la mise en œuvre de réformes réclamées, de façon récurrente, par l'Unesco. Celles-ci sont, de toute évidence, rendues indispensables par l'évolution des méthodes pédagogiques dans le monde, afin de préparer les élèves et les lycéens à la quatrième révolution industrielle dont les trajectoires sont déjà portées en germe par l'économie numérique. Par ailleurs, contrairement aux outrances lancées à la cantonade par certains irresponsables, Mme Benghebrit n'a jamais été hostile à l'enseignement de la langue arabe. Tout au contraire, elle entend faire de la langue nationale un outil de savoir et de connaissance, ce qui passe inéluctablement par la mise à l'écart des pseudo-programmes pédagogiques qui prétendent la promouvoir, alors qu'en réalité, ils ne font qu'en avilir le contenu. Quant à la réhabilitation de la langue française, Mme Benghebrit ne peut tout de même pas être la seule responsable de l'éducation, dans le monde, à vouloir sauvegarder le monolinguisme, et ce, au moment où les parents d'élèves (toutes catégories sociales confondues) réclament à cor et à cri, la maîtrise par leurs enfants d'au moins une langue étrangère, quelle qu'elle soit, pourvu qu'elle leur donne accès à l'universel. Celles et ceux qui plaident en coulisses pour la généralisation de la langue anglaise comme langue étrangère (alors que la langue française est, dans des centaines d'écoles et de collèges, à travers le pays, diabolisée, parce qu'étant la langue de l'ancien colonisateur) savent parfaitement que cet objectif est hors d'atteinte, notre administration étant encore largement francophone, nos ressources humaines limitées dans ce domaine et le temps nécessaire à une reconversion linguistique radicale incroyablement long, alors que l'Algérie ne fait qu'accumuler les retards dans la mise à niveau de son système éducatif. Il est fondamental que Mme Benghebrit poursuive sa mission En Algérie, pour des raisons historiques dans lesquelles nous ne pouvons entrer ici, le consensus social est très minime sur tous les sujets. C'est la preuve que notre pays ne constitue pas encore une nation et que l'Etat peine à s'affirmer. Sur l'éducation nationale, ou bien l'Algérie s'engage résolument dans la voie des réformes dans le sillage de la dynamique instaurée par Mme Benghebrit il y a deux ans, ou bien elle rejoindra la cohorte des pays défaillants en situation d'incurabilité. Le président de la République a été bien inspiré, dans un souci d'objectivité et d'équité, de maintenir Mme Benghebrit au gouvernement. Mais c'est l'ensemble des institutions de l'Etat qui doit se mobiliser derrière la ministre de l'Education nationale, car l'école est l'affaire de toute la société et implique toutes les élites du pays (politiques, économiques sociales et culturelles). Il y va de l'intérêt de l'Algérie et de celui de millions de nos enfants par trop malmenés jusqu'ici par un système indigent et inepte.