Une pétition circule sur le Net, rassemblant plus de 26000 signatures, pour demander à l'Etat français de restituer les têtes de certains de nos héros qui moisissent depuis plus d'un siècle et demi dans l'Hexagone, qui ont été pendant longtemps exposées comme des bêtes de foire et qui se trouvent, aujourd'hui, dans des boîtes, enfermées dans le bahut de lhHistoire. Comment ont-elles traversé la Méditerranée et pourquoi se retrouvent-elles loin de leur dépouille ? Plus de cent soixante ans après leur expatriation, elles attendent, toujours, leur retour à la terre de leurs ancêtres, cette terre qu'ils ont vaillamment défendue, jusqu'à la mort, contre les colonisateurs. Voici quelques témoignages, datant du dix-neuvième siècle, qui relatent, avec une nonchalance inouïe, des crimes de guerre que l'Eglise aurait dû fermement désapprouver et impitoyablement réprimer. Mais rien n'a été fait, ni par l'Etat de «la Révolution française», ni par l'Eglise, qui canonisait les hommes. Tout simplement parce que, peut-être, les victimes n'étaient ni françaises, ni chrétiennes, et que, «n'ayant pas d'âme» et «n'étant pas des êtres humains» (comme on le disait pour les Noirs à l'époque), elles ne pouvaient, donc, pas être considérées comme telles ! Citons, ici, deux exemples, seulement, et pas parmi les plus cruels. Le docteur V. Reboud écrit au président de la Société historique algérienne ceci : «La tête de Bou Zéïan qui fut, d'après M. Féraud, coupée et fichée au bout d'une baïonnette à la fin du siège de Zaâtcha, a été conservée, comme celle de Bou Bar'la et du chérif tué dans un combat livré sous les murs de Tébessa par le lieutenant Japy ; elle fait partie des collections anthropologiques du muséum de Paris. C'est moi qui les ai envoyées à ce riche établissement. Chacune d'elles est accompagnée d'une étiquette, longue bande de parchemin, portant le nom du chérif décapité, la date de sa mort, le cachet du bureau politique de Constantine et la signature de M. de Neveu ou de M. Gresley. » (Revue africaine, 1886). Rappelons que Bouziane (et non Bou Zéîan), au nom de l'Emir Abdelkader, remplit à Biskra les fonctions de Cheikh, avant la nomination, par les Français, en 1837, de Bouaziz Bengana. Les Zaâtcha, avec à leur tête Bouziane, résistèrent aux Français. Le 26 novembre 1849, deuxième expédition contre les Zaâtcha et leur défaite. Herbillon fit fusiller Bouziane. Son corps fut décapité comme ceux de son fils et de Si Moussa. Bou Baghla (et non Bou Bar'la) fut tué le 26 décembre 1854, dans la vallée de l'oued Sahel et son corps fut décapité. Revenons à l'«éminent» docteur V. Reboud, venu de sa France natale «civiliser» les «indigènes» d'Algérie, qui collectionnait… les têtes humaines. Il en avait une vingtaine, provenant, pour la plupart de Coudiat-Ati (dont celles de nos trois héros : Bouziane, Bou Baghla et le chérif de Tébessa tué par le lieutenant Japy). Même les os des cadavres n'ont pas été épargnés. Déterrés, ils pouvaient encore servir. Rien ne se perd, tout se transforme. M. Segaud, docteur en médecine à Marseille déclarait, le 2 mars 1833, dans une citation reprise par Amédée Desjobert dans un ouvrage sur la question : «J'ai appris par la voix publique que, parmi les os qui servent à la fabrication du charbon animal, il s'en trouve qui appartiennent à l'espèce humaine. A bord de la bombarde La Bonne Joséphine, venant d'Alger et chargée d'os, j'ai reconnu plusieurs os faisant partie de la charpente humaine. J'y ai vu des crânes, des cubitus et des fémurs de la classe adulte récemment déterrés et n'étant pas entièrement privés des parties charnues.» Le respect des morts n'est-il pas recommandé aussi bien dans le Coran que dans la Bible (comme dans toutes les religions du monde) ? Quel sentiment pousserait un être humain, civilisé et partisan des droits de l'homme», de surcroît, après avoir tué un autre être humain qu'il considérait comme son ennemi, à le décapiter, à disposer de son corps et à s'amuser avec ses membres en les brandissant au bout d'une baïonnette en signe de victoire ? Evidemment, on ne peut pas ne pas penser à l'affaire (plus récente) de Tibhirine, mais là, il s'agit de terroristes sans foi ni loi, dont le monde entier condamne les actes barbares. Pour Boubaghla, Bouziane et leurs compagnons d'armes, c'étaient des guerriers et la guerre a son «code d'honneur» : l'ennemi, une fois tué, devient un corps qu'il faut respecter.