Qu'a-t-il bien pu se passer en Turquie dans la nuit de samedi ? Une rébellion ou une tentative de coup d'Etat ? Très certainement la première hypothèse, puisque c'est l'armée turque qui annonçait hier la fin de la tentative de putsch, et faisait la chasse aux militaires rebelles. Qui sont donc ces derniers, désavoués par leur hiérarchie et même combattus ? Un bien mauvais coup, infligé à l'institution, cette fois par les siens, alors que ses rapports avec le pouvoir politique, sans être conflictuels, ne sont toutefois pas au beau fixe depuis l'avènement au pouvoir, en novembre 2002, de l'AKP, le parti islamiste de la justice et de la prospérité dirigé par l'actuel chef de l'Etat, lui-même en conflit avec l'armée. M. Erdogan n'a pu accéder au poste de député et de Premier ministre que plusieurs mois après la victoire de son parti, sanctionné pour des propos considérés alors comme une attaque contre l'armée. Visiblement, les données ont changé cette fois, et l'armée s'est rangée du côté de la légalité institutionnelle en combattant toute forme de rébellion en son sein. Dès les premières heures du putsch, de nombreux hauts responsables militaires s'étaient désolidarisés publiquement dans la nuit des rebelles, dénonçant «un acte illégal» et appelant les rebelles à regagner leurs casernes. C'est d'ailleurs le chef d'état-major par intérim qui annonçait hier la mise en échec de cette tentative de coup d'Etat, marquée notamment par des affrontements avec avions et hélicoptères donnant lieu à des scènes d'une rare violence faisant réagir aussi bien les Turcs que les pays étrangers, à l'image du secrétaire général de l'OTAN dont la Turquie est membre, saluant «le fort soutien montré par le peuple et tous les partis politiques à la démocratie et au gouvernement démocratiquement élu de Turquie». M. Erdogan n'a d'ailleurs pas manqué de féliciter les Turcs pour être descendus «par millions» dans les rues. Si cette fois, ce sont des militaires et non plus toute l'armée qui se soulève, qui voulait donc s'emparer du pouvoir ? M. Erdogan, cible ces dernières années de nombreuses critiques l'accusant de dérive autoritaire, a très rapidement accusé les soldats rebelles d'être liés à son ennemi juré l'imam Fethullah Gülen, un ancien allié exilé depuis des années aux Etats-Unis. Une hypothèse confortée par la hiérarchie militaire qui s'est engagée hier à «nettoyer l'armée des membres de structures parallèles», dans une référence évidente aux fidèles de Fethullah Gülen. «Je réfute catégoriquement ces accusations», a rétorqué ce dernier. «J'ai souffert de plusieurs coups d'Etat militaires au cours des 50 dernières années et trouve donc particulièrement insultant d'être accusé d'avoir un quelconque lien avec cette tentative.» Fethullah Gülen est à la tête d'un mouvement puissant en Turquie, avec son réseau d'écoles, d'ONG et d'entreprises, et une réelle influence dans les médias, la police et la magistrature. Le chef de l'Etat accuse depuis l'imam d'avoir mis en place un «Etat parallèle» destiné à le renverser. Le président turc a d'ailleurs appelé les Etats-Unis à l'extrader. «Les Etats-Unis, vous devez extrader cette personne», a lancé le chef de l'Etat en référence à Fethullah Gülen, installé en Pennsylvanie, ajoutant qu'«il y a un jeu avec l'armée, et cela est lié à des forces extérieures». En réponse, Washington a demandé des preuves, et proposé son aide dans l'enquête sur le putsch. L'armée turque échappe donc aux accusations. Depuis l'arrivée au pouvoir de M. Erdogan, la hiérarchie militaire a été purgée à plusieurs reprises. L'armée de ce pays a déjà mené trois coups d'Etat (1960, 1971, 1980), mais en 2002, elle ne s'est pas opposée à M. Erdogan, alors même que cinq années plus tôt, soit en 1997, elle mettait fin au premier gouvernement islamiste dirigé alors par Nejmedin Erbakhan. Un changement considérable que l'on constate aujourd'hui. Quelle serait donc la cause de la rébellion de vendredi et qui sont ses auteurs ?