Le dernier mouvement dans les rangs des magistrats cache des non-dits et suscite de nombreuses interrogations. D'abord sur les critères de promotion, mais aussi sur certaines mutations qui s'apparentent à des sanctions. Le mouvement se caractérise aussi par le non-respect de la dualité des juridictions, puisque des magistrats des tribunaux administratifs se retrouvent dans les juridictions de droit commun et vice versa. Le récent mouvement dans les rangs de la magistrature soulève de nombreuses interrogations en raison des anachronismes et des anomalies qui le caractérisent. L'on apprend, par exemple, que les changements à la tête des cours ont permis la nomination de 13 nouveaux chefs et la fin de mission pour 13 autres, dont le sort n'est pas connu. Ils vont donc rejoindre le premier lot d'une dizaine d'autres chefs de cour qui sont dans la même situation depuis près d'une année. Ce qui est unique dans l'histoire de la justice. Avant, les chefs de cour quittant leur poste avant d'atteindre l'âge de la retraite rejoignaient automatiquement la Cour suprême. En France, les chefs de cour ont deux décisions de nomination ; la première en tant que chef de cour et la seconde en tant que magistrat de la cour de cassation. Une mesure qui les protège et les met à l'abri de toute situation d'indisponibilité. Mutations lointaines Le même principe existe en Algérie. Même si le magistrat n'a pas deux décisions de nomination, dès sa mise de fin de fonction en tant que chef de cour, il rejoint systématiquement la Cour suprême. Cependant, depuis le «limogeage» qui ne dit pas son nom de Belkacem Zeghmati, procureur général près la cour d'Alger, le 21 septembre 2015, ce principe n'est plus respecté. Au moins une dizaine de chefs de cour, dont Belkacem Zeghmati, ayant fait l'objet d'une mise de fin de mission, sont sans poste à ce jour, alors qu'ils auraient dû rejoindre la Cour suprême. Cette année encore, 13 autres chefs de cour connaissent le même sort sans que le seul syndicat de la corporation n'intervienne. De nombreux magistrats, avec lesquels nous nous sommes entretenus, savent que la chancellerie s'est retrouvée dans une situation délicate en mettant hors service Belkacem Zeghmati pour avoir géré les affaires de corruption, surtout celles de Sonatrach qui s'est soldée par le lancement de mandats d'arrêt internationaux contre neuf mis en cause, dont Chakib Khelil, ancien ministre de l'Energie, son épouse et ses deux enfants, pour des faits très graves contenus dans des commissions rogatoires parvenues d'Italie, de Suisse, des Emirats arabes unis et de France. Si Zeghmati a été poussé vers la sortie, d'autres magistrats et parquetiers, aussi bien du tribunal de Sidi M'hamed que de la cour d'Alger, qui ont eu à gérer les affaires de corruption, notamment celles de Sonatrach, ont été tout simplement mutés dans des juridictions lointaines et à des postes de moindre importance. C'est le cas du premier procureur général adjoint, Mihoubi. Au lieu d'être promu procureur général comme le veut la tradition, non seulement il a été muté à Boumerdès, une petite juridiction, mais en plus au poste de procureur général adjoint, sans garder son rang premier. Une rétrogradation à peine masquée. Il en est de même pour Belhadj, procureur de Sidi M'hamed, muté en tant que procureur général adjoint près la cour de Bouira, alors qu'il est d'usage que les procureurs de cet important tribunal (à vocation internationale) se retrouvent hissés au rang de chef de cour. Chaque jour, il est obligé de faire la navette entre Alger et Bouira pour rejoindre son poste. Il est à préciser aussi que le juge Kamel Ghezali, un des plus compétents, qui avait géré l'instruction des affaires gênantes, s'est vu muté, il y a plus d'une année, à la cour de Blida en tant que procureur général adjoint, lui qui était président de chambre et, de ce fait, aurait dû bénéficier d'une avancée dans sa carrière en étant promu, comme il est d'usage, à la tête d'une cour. Le juge Antar Menouar, président de chambre à Blida, qui avait jugé Abdelmoumen Khalifa il y a moins de deux ans, a bien grimpé l'échelle puisqu'il a été nommé président de la cour de Ouargla en remplacement de Mokhtar Benharradj, nommé président de la cour d'Alger. Interrogations sur le choix des magistrats En tout état de cause, avec un poste de procureur général adjoint, le juge Ghezali est totalement neutralisé. Tout comme d'ailleurs son confrère, le juge Bakri Boualem, président de chambre à Alger, qui se retrouve, à la faveur du dernier mouvement, conseiller à la cour de Tiaret, alors qu'en pratique il aurait dû avancer dans sa carrière pour se retrouver président de cour, comme cela se fait en général. Est-ce une sanction déguisée ? On n'en sait rien. Toujours est-il que, pour revenir au dernier mouvement, il est important de préciser que le poste de procureur général près la cour d'Alger qu'occupait Lhachemi Brahmi était vacant de fait. Brahmi a été élu par ses pairs à la Cour suprême membre du Conseil constitutionnel au début de la semaine en cours. Ce siège semble plus intéressant pour ce magistrat que celui de procureur général près la cour d'Alger, qu'il occupe pourtant depuis moins d'un an. Est-ce une manière de fuir les pressions et les interférences ? On n'en sait rien, mais le fait est là. Lhachemi Brahmi a été remplacé par Beniketir Benaïssa, conseiller à la Cour suprême qui avait occupé, avant, le même poste mais à Bel Abbès et à Tlemcen. Quant au président de la cour d'Alger, il a été tout simplement mis fin à ses fonctions. Lui aussi n'a pas rejoint la Cour suprême comme il est d'usage. Il devra attendre chez lui, comme tous les autres chefs de cour mis en stand-by depuis près d'une année. C'est Mokhtar Benharradj, ex-président de la cour de Ouargla, qui l'a remplacé. Par ailleurs, ce mouvement, pour la première fois, fait état de nominations au sein et à la tête des tribunaux administratifs. Les mesures viennent à point nommé pour combler un vide dans ces juridictions. Néanmoins, le choix des magistrats soulève de nombreuses interrogations dans la mesure où l'on remarque le non-respect du sacro-saint principe de la dualité des juridictions. En termes clairs, si l'Algérie a opté pour deux ordres judiciaires — l'administratif et le droit commun —, c'est justement pour qu'il y ait un parallélisme des ordres : les juridictions de droit commun relèvent de la Cour suprême et celles du droit administratif du Conseil d'Etat. A ce titre, de nombreux magistrats ont été formés et spécialisés dans chacun de ces ordres pour éviter justement une étanchéité entre les deux et éviter ainsi toute unicité entre eux. Or, ce principe n'a pas été respecté lors de ce mouvement au sein des tribunaux administratifs. Nous constatons, par exemple, que le procureur du tribunal de Laghouat se retrouve commissaire d'Etat près le tribunal administratif d'Oum El Bouaghi, alors que Bezaoucha Abdelhalim, président de chambre et vice-président de la cour de Tizi Ouzou, est nommé en qualité de commissaire d'Etat près le tribunal administratif de Bouira et Amrani Kamel, procureur près le tribunal de Biskra, est muté au tribunal administratif d'El Oued en tant que commissaire d'Etat. Mieux encore, même des magistrats formés pour exercer le droit administratif se retrouvent versés dans l'exercice du droit commun. Ainsi, Zilabdi Houria, juge-conseillère au tribunal administratif d'Alger, a été tout simplement nommée présidente de la cour de Béjaïa. C'est aussi le cas du magistrat Rahim Ahmed, conseiller au Conseil d'Etat, promu au poste de procureur général près la cour de Annaba. Pourquoi de telles permutations alors que la chancellerie a dépensé des sommes colossales dans la spécialisation des magistrats justement pour éviter l'unicité des ordres judiciaires ? En bref, ce mouvement laisse transparaître de nombreux non-dits qui suscitent de lourdes interrogations…