La guerre ! C'est une chose trop grave pour la confier à des militaires.» (Georges Clémenceau). Des raisons d'un congrès Les responsables de la Révolution, à l'origine du déclenchement de la guerre de Libération nationale, avaient jugé utile de tenir un congrès afin de faire le point sur la situation, évaluer le chemin parcouru depuis novembre 1954, arrêter un même modèle d'organisation de la lutte pour la libération nationale, unifier les rangs du FLN et de l'ALN, opérer un découpage territorial du pays et, enfin, jeter les jalons d'un Etat algérien moderne pour l'après-guerre. Il est vrai que depuis le 1er novembre 1954, l'organisation des maquis se faisait d'une façon empirique. Chaque responsable prenait librement des initiatives pour organiser, juger, sanctionner, exécuter... Qu'il s'agisse de fixer les amendes ou les contributions financières, d'organiser les villages en y installant les OPA, voire même de prononcer des condamnations à la peine de mort, chacun y allait selon son intime conviction. Au début, les groupes de moudjahidine agissaient dans le plus grand secret, presque dans la clandestinité, étant donné que les douars traversés n'étaient pas préparés pour les recevoir, ou n'étaient pas encore structurés. Les effectifs de ces groupes variaient entre 20 à 100, voire 150 combattants ; ils allaient à la conquête des territoires pour les organiser, à la manière des conquistadors. Ce faisant, ils ne s'arrêtaient que lorsqu'ils firent jonction avec les combattants des régions voisines. Si l'année 1955 était consacrée à l'implantation de l'organisation, à un début d'assainissement des villages des indicateurs et autres agents de l'administration coloniale, à des sabotages, à quelques embuscades ou accrochages... l'année suivante fut celle des grandes actions militaires, des embuscades meurtrières contre l'ennemi, un déploiement intense des groupes de moudjahidine au grand jour, et parfois à l'exhibition de ses forces devant la population. Il fallait imposer un code de conduite conformément aux préceptes de l'islam et d'amener, de gré ou de force, la population à se mettre dans le giron de la Révolution. La terreur fut souvent utilisée, à l'image de toutes les autres révolutions. Il était primordial d'obtenir une adhésion massive de la population à la Révolution ; cette adhésion était souvent spontanée, mais il fallait qu'elle accepte, dans son ensemble, de se reconnaître dans la guerre de Libération, qu'elle se rende compte que tout ce qui se faisait était dans son intérêt. Il s'agissait de l'amener à prendre conscience de la nécessité de faire clairement et consciemment son choix et d'être convaincue que la guerre contre l'occupant était inévitable pour recouvrer l'indépendance du pays. Deux années avant le déclenchement du 1er novembre 1954, M. Naeglen, alors gouverneur général de l'Algérie, ne déclarait-il pas que : «Pour ceux qui veulent l'indépendance de l'Algérie, qu'ils sachent qu'elle est dans la bouche du canon !» Malheureusement, il y a eu des attentistes, des hésitants et même des opposants au déclenchement de la lutte armée parmi lesquels, les militants du MNA. Par ailleurs, la répression de l'armée française était omniprésente pour décourager les gens de toute collaboration avec l'ALN. Il y eut des massacres collectifs, des bombardements, des villages brûlés, détruits et évacués pour inaugurer la politique de la terre brûlée. Il était évident que devant une telle répression, les gens fussent gagnés par la peur de s'engager pour la Révolution ; il arrive parfois qu'ils désobéissent aux consignes du FLN et de l'ALN ; c'est alors qu'intervenait la justice impitoyable des moudjahidine. Tous ceux qui ne déféraient pas aux consignes du FLN/ALN sont exécutés ; les traîtres et les collaborateurs furent durement châtiés ; ceux qui fréquentaient les postes militaires subissaient le même sort, parfois, même les indécis, les neutres ou les hésitants s'exposaient à des sanctions. Dans les maquis, il y avait une devise selon laquelle : «Celui qui n'est pas avec nous est contre nous.» Après cette période de deux années et pour mettre fin à cet empirisme, les hauts responsables qui dirigeaient la lutte armée avaient jugé qu'il était temps d'organiser une rencontre nationale de tous les chefs des maquis et des responsables de la délégation extérieure du FLN pour faire le point sur le chemin parcouru et passer à la phase de l'organisation et de l'unification des maquis. Du lieu du congrès Dès les débuts de l'année 1956, l'idée de la tenue d'un congrès était déjà bien mûrie. On aurait même avancé le Nord constantinois comme lieu de sa tenue. Nous croyons savoir qu'il n'a pas eu de suite à ce choix. Par contre, le choix alternatif ayant porté sur la Kabylie a reçu l'unanimité pour abriter cette première rencontre nationale des chefs des maquis et à l'Intérieur des maquis. Le premier lieu convoité fut la Qualaâ des Beni Abbas. Outre son caractère de forteresse stratégique, il s'agissait d'en faire un usage symbolique, tout en rendant hommage à El Mokrani et Boumezrag d'où ils sont originaires, ainsi qu'à Cheikh Ahaddad pour avoir organisé l'insurrection de 1871 contre les envahisseurs français. Une telle initiative visait ainsi à montrer au peuple algérien et au monde entier le transfert du flambeau de la lutte armée, entre la génération de 1871 à celle de Novembre 1954. De toute façon, il était clair que les insurrections armées n'avaient jamais cessé, au point où un historien français nous révéla que chaque génération avait sa révolte ; il avançait alors 36 insurrections de 1830 à 1954, ceci pour justifier que le peuple algérien ne s'était jamais soumis à la domination coloniale française. Les préparatifs avaient bien commencé. C'est ainsi qu'un détachement de moudjahidine fut chargé de convoyer une mule chargée des projets de documents du congrès au lieu désigné. Malheureusement, en cours de route, elle tomba dans une embuscade. Et le chargement fut récupéré par l'ennemi. On disait alors que la mule «traîtresse» s'était dirigée directement vers un poste militaire ! C'était un camouflet pour les organisateurs puisque l'ennemi a pris connaissance des projets de documents du congrès avant les congressistes eux-mêmes. Du coup, il n'était donc plus question de tenir la réunion comme prévu. Et aussitôt, les responsables de la région de la vallée de la Soummam, qui se dirigeaient vers la Qalaa, rebroussèrent chemin et se rendirent à Ouzellaguen, lieu de repli. Amirouche Aït Hamouda et Krim Belkacem arrêtèrent immédiatement la décision de tenir leur conclave à Ifri. La sécurité, condition essentielle pour un déroulement normal du congrès Le problème le plus important pour la tenue de ce congrès était d'assurer les conditions de sécurité maximale. Mais qui pouvait garantir la sécurité des congressistes ? Quel est le lieu qui permettrait de mettre à l'abri tous ces chefs qui devaient arriver de toutes les régions d'Algérie et de l'extérieur ? Aucun endroit ne pouvait réunir toutes les conditions de sécurité, comme il ne se trouvera aucun responsable qui pouvait se targuer de mettre à l'abri les congressistes d'une éventuelle attaque ennemie, Abane Ramdane, conscient de ce problème, avait déclaré à la fin du congrès : «Qu'il fallait être fou pour organiser un tel congrès en ces lieu !» Il mesurait ainsi tous les dangers, tous les risques auxquels s'exposaient ces chefs. En effet, il aurait été terrible pour la Révolution que le lieu fût envahi par les soldats ennemis et que des chefs d'une telle importance soient tués. Alors les maquis auraient été amputés de plusieurs hauts responsables et la Révolution aurait été ébréchée ! Elle aurait même été sérieusement ébranlée. C'était pour toutes ces raisons qu'il ne fallait absolument pas se tromper sur le choix du lieu du congrès, ni sur l'organisation de sa sécurité. Pourquoi Ifri précisément ? Nous nous interrogions justement sur le choix d'Ifri qui ne présentait pas des avantages particuliers, par rapport au reste de la région. Encaissé entre les Aït Oughlis à l'est et les Chellata à l'ouest, le douar Ouzellaguen est adossé à un flanc de montagne. Il y avait surtout une oliveraie dense et un chapelet de villages, qui constituent un atout plutôt non négligeable. Pour un chef de l'ALN soucieux de la sécurité de ces responsables de haut niveau, il n'hésitera pas à opter pour l'Akfadou ou le Djurdjura où il ne pouvait avoir de fuites ou de mauvaises surprises. Mais la population d'Ouzellaguen est connue pour sa fidélité à l'ALN et son engagement, au point qu'il n'avait point de harkis ni de goumiers. Même si elle subissait des massacres et des représailles quotidiennes de l'armée coloniale, elle continuait à lutter, à braver les soldats français, sans courber l'échine, ni se dérober devant le devoir. Il n'y avait point de harkis ni de goumiers et même pas un poste militaire, sinon celui d'Ighzer Amokrane, en aval, qui se contentait de surveiller les alentours par des patrouilles. Parfois, il envoyait à l'aveuglette quelques obus afin de faire du bruit et peut-être pour rappeler sa présence ! Deux avions «Morane» balayait quotidiennement le douar, en tirant à la mitrailleuse sur les troupeaux et les bergers qui se hasardaient à aller jusqu'au plateau de Ouanari, une immense prairie en altitude convoitée pour la transhumance et que l'ennemi a décidé de considérer comme zone interdite depuis le début de la guerre. Chaque jour, ces deux avions volaient en raz-motte et tiraient sur tout ce qui bougeait. Combien de bêtes furent-elles ainsi massacrées ! Des centaines qui faisaient partie du troupeau collectif, constitué par le rassemblement des ovins et bovins des villages, appelé communément Akdhar, furent impitoyablement décimés. Ce qui pouvait également rassurer les participants, c'est la présence d'une armée de 3000 hommes sous le commandement de Si Amirouche. L'organisation de la sécurité lors du Congrès de la Soummam Dans les maquis, les responsables, comme Si Amirouche, Hamaï Kaci, Mira Abderahmane et d'autres non moins méritants, étaient emballés et emportés par la mission sacrée que leur ont confiée leurs chefs qui furent à l'origine du déclenchement de la guerre de Libération. Passionnés par le combat contre le colonialisme, ils étaient emportés par cette fougue du devoir à accomplir. Il fallait organiser et assurer la sécurité des congressistes. Pour cela, Si Amirouche et ses adjoints étaient bien placés pour le faire. D'ailleurs, le congrès s'est terminé dans de bonnes conditions, à la satisfaction de tous les présents. Article du journal satirique Le Canard enchaîné paru le 26 septembre 1956. Le journaliste ironise sur le traitement de cette information par la presse française. Il s'agit des documents retrouvés sur la mule qui «s'est rendue à l'ennemi» en juillet 1954, au moment où les délégations se rendant au congrès tombèrent dans une embuscade à Allaghan, alors qu'elles s'apprêtaient à traverser la RN26 pour se rendre à El Kelaa des Aït Abbas, village choisi initialement pour abriter ce conclave des responsables des maquis. Comment nourrir tous ces hommes, sans attirer l'attention de l'ennemi ? Le problème de la nourriture de 3000 combattants s'était posé d'une façon cruciale. En effet, comment parvenir à subvenir aux besoins de nourriture d'effectifs aussi importants, jamais déployés jusque-là, sans attirer l'attention de l'ennemi ou simplement de curieux malveillants ou de quelque indicateur ? Certains dirent que le nombre de tels effectifs est équivalent à celui de la population du douar ! Il aurait été trop flagrant de commander et de ramener jusqu'au douar 3000 pains par jour ! Ce serait se trahir tout simplement, d'autant plus qu'il fallait accaparer toutes les fournées de l'unique boulangerie de la ville ! C'était pratiquement impossible, sans risquer d'attirer l'attention des agents ennemis et de se faire dévoiler aussitôt.Pour pallier ce problème, des convois d'acheminement de ravitaillement furent organisés à dos de mulets depuis les douars environnants. Il y eut ainsi le même repas pour tout le monde : couscous et galette auxquels, il faut ajouter les fruits et légumes des jardins potagers des villageois. La solution était toute trouvée, puisque les quantités de semoule ne seraient pas importantes. Et puis, chaque famille devait préparer sa part de couscous ou de galette en puisant de ses propres réserves, en attendant de se faire rembourser par le responsable de l'intendance de l'ALN. Connaissant la sobriété des moudjahidine et l'ingéniosité des femmes de la région, les repas seront prêts au bout de quelques dizaines de minutes. C'est ainsi que tout au long de cette période, d'une dizaine de jours, les moudjahidine et les moussebline se sont restaurés sans problème, grâce à la solidarité des villageois et l'arrivée des denrées alimentaires depuis les douars voisins. Ce qui est miraculeux, c'est que 3000 hommes avaient séjourné à Ouzellaguen pendant la durée du congrès, à une heure de marche du camp militaire d'Ighzer Amokrane, sans qu'il y eut la moindre alerte et surtout sans que l'ennemi eut le moindre soupçon ! Et ce fut à la satisfaction de tout le monde que le congrès prit fin et avec la réussite que nous lui connaissons. Chaque délégation reprit le chemin du retour, avec la satisfaction du devoir accompli et surtout, avec, dans ses bagages, la charte de la Soummam qui deviendra désormais un code de conduite pour tous les responsables de l'ALN et du FLN. La Wilaya III tira alors la fierté d'avoir réussi le défi en organisant le congrès dans de très bonnes conditions et d'avoir réalisé un fait unique dans l'histoire de la guerre de Libération nationale, à savoir la rencontre de tous les chefs des maquis sur les lieux des combats. Malheureusement, une telle initiative ne se reproduira plus, du moins sur le sol national. Pour des raisons évidentes de sécurité, de telles réunions se tiendront désormais à l'extérieur, au grand regret des chefs des maquis ! Les participants au congres A l'origine, cette rencontre devait regrouper tous les chefs de l'ALN et du FLN de l'Intérieur comme de l'Extérieur. Il s'agissait de mettre un terme à l'improvisation, à l'anarchie et à l'initiative personnelle de chaque responsable. Il fallait élaborer cette charte de la Soummam pour mettre les choses au point. Malheureusement, la délégation de l'extérieur, pour des raisons inconnues n'a pu participer. N'avaient pris part au congrès que les délégations de l'Intérieur, à l'exception de la délégation de la Wilaya I (Aurès-Nemenchas) en raison de ce que l'on a su plus tard, la mort au champ d'honneur de son chef Mustapha Ben Boulaïd. Etaient donc présents au congrès : - Larbi Ben M'hidi, représentant l'Oranie, président de séance ; - Abane Ramdane, représentant du FLN, secrétaire de séance ; - Zighout Youcef, représentant le Nord constantinois - Lakhdar Bentobbal, adjoint de Zighout dans le Nord constantinois ; - Krim Belkacem, représentant la Kabylie ; - Amar Ouamrane, représentant l'Algérois ; Ali Mellah, dit Si Chérif, représentant le Sud, s'était excusé, mais avait envoyé son rapport à la réunion. Il sera assassiné le 31 mars 1957 par Cherif Bensaïdi qui s'avérera un agent français infiltré dans les rangs de l'ALN. La rencontre fut, certes, des plus solennelles, mais aussi des plus fraternelles. Nous observons aujourd'hui, à travers les nombreuses photos qui pérennisèrent cette grande rencontre entre les chefs des maquis tels que Krim Belkacem, Zighout Youcef, Larbi Ben M'hidi, Abane Ramdane, Lakhdar Bentobal, Abid Hadj Lakhdar et Benaouda... comment ces illustres chefs dépassèrent leurs petits malentendus dans l'intérêt suprême de la guerre de Libération nationale et montrèrent au monde entier l'image d'une Révolution en marche. De Didouche Mourad tombé en 1955, le colonel Ducourneau dira : «Il est un vrai chef» ; de Zighout Youcef qui lui succéda, le colonel Mayer écrivait «qu'il était un seigneur !» De tels éloges venant de l'ennemi prouvent, s'il en est besoin, de l'aura de nos chefs. L'absence injustifiée de la délégation extérieure Aucun responsable de la Délégation extérieure du FLN n'était donc présent à cette rencontre majeure. Pourtant, selon un participant au congrès, l'invitation leur fut adressée en bonne et due forme, et ce, depuis avril 1956. Bien mieux, chacun d'eux aurait été destinataire d'une invitation personnelle. Il semble qu'ils n'aient pas voulu tronquer leurs costumes cravates contre des tenues de combat. En tout état de cause, ce fut le seul congrès qui eut connu cohésion, unité et désintéressement quant aux postes de responsabilité. Un tel succès serait dû, selon certains historiens, à l'absence «de politiciens connus pour leurs intrigues». Plus tard, parmi les rares opposants aux décisions du congrès, à savoir Ahmed Ben Bella et Ahmed Mahsas, anciens membres de la délégation à l'extérieur, confirmeront cette vision. L'importance des décisions du congrès Les décisions du congrès de la Soummam étaient d'une importance vitale pour la réorganisation et la poursuite de la guerre de Libération. Elles furent regroupées en un document historique qui prit le titre de «Charte de la Soummam» ; on l'appelle parfois «Plate-forme de la Soummam». Sans aller dans le détail des mesures prises, il me semble utile d'en extraire l'essentiel. Auparavant, il convient d'énumérer les principaux objectifs concernant les deux plans interne et externe. 1– Sur le plan interne, il fallait : - assainir l'aspect politique par la remise du mouvement national révolutionnaire dans sa véritable voie et par l'anéantissement de tous les vestiges de corruption et de réformisme, causes de sa régression actuelle ; - Rassembler et organiser toutes les énergies saines du peuple algérien et les mettre à contribution pour liquider le système colonial ; 2– Sur le plan externe, il fallait : - internationaliser le problème algérien ; - contribuer à la réalisation de l'unité nord-africaine dans son cadre naturel arabo- musulman ; - affirmer, dans le respect de la Charte des Nations unies, notre sympathie agissante à l'égard de toutes nations qui appuieraient notre action libératrice. Quant aux décisions du congrès, elles sont nombreuses, importantes et assez détaillées. Nous nous contenterons de reprendre l'essentiel d'entre elles, notamment celles relatives aux rapports entre l'ALN et le FLN, aux rapports entre l'Intérieur et l'Extérieur, à l'organisation de l'ALN, au découpage territorial, à l'institution d'un pouvoir collégial, à l'organisation de la justice et au respect du principe de la séparation des pouvoirs... 1 – Les rapports entre l'ALN et le FLN Il y aurait, dans l'esprit de certains une confusion entre l'ALN et le FLN. En vérité, les limites sont claires : l'ALN est composée d'unités combattantes, comme les bataillons de choc, les compagnies de région, les sections de secteur et les commandos. Le FLN englobe toute l'organisation politique des maquis, les renseignements et liaisons, l'intendance, les services auxiliaires, comme le service de presse, les services de santé, l'UGTA... L'organisation politique existe à chaque niveau, ainsi qu'il suit : - Le commissaire politique de fraction ; - Le sergent-chef politique pour le secteur ; - L'aspirant politique pour la région ; - Le lieutenant politique pour la Zone ; - Le commandant politique pour la Wilaya. Le principe de la primauté du politique sur le militaire est inclus dans la charte, ce qui n'était pas du goût, surtout des colonels de l'extérieur. D'ailleurs, ce principe fut retiré lors du congrès du Caire tenu en août 1957. Ceci dit, ce qui était important, c'est la polyvalence des responsables à tous les niveaux, en ce sens qu'un chef militaire peut occuper des fonctions politiques, d'intendance, etc., et vice versa. 2 – Les rapports Intérieur- Extérieur. Ces rapports devaient obéir au principe de la primauté de l'Intérieur sur l'Extérieur. Il était logique pour ceux qui affrontaient quotidiennement l'ennemi sur les champs de bataille d'avoir la priorité et l'opportunité dans le pouvoir de décision. En fait, depuis la construction de la maudite «ligne Maurice», renforcée par la «ligne Challe», les convois d'armes étaient bloqués aux frontières Est et Ouest. Progressivement, une véritable armée bien entraînée et fortement équipée s'est constituée à ces frontières. C'est la célèbre «armée des frontières» qui prendra le pouvoir par la force au lendemain de l'indépendance. Désormais, ce qui était à l'origine, une simple «Délégation du FLN à l'extérieur» s'était trouvée renforcée par cette armée des frontières. Au début, deux états-majors, un à l'Est, «l'état-major de l'Est», et l'autre à l'Ouest, «l'état-major de l'Ouest», furent institués. Peu avant la fin de la guerre, ils ont été réunis pour former le non moins célèbre «état-major général (EMG)». Cette nouvelle institution, l'EMG, dirigée par le défunt colonel Boumediène, détient de fait le pouvoir face au GPRA. Le principe de la primauté de l'Intérieur sur l'Extérieur a également connu, comme le principe précédent, sa disgrâce. Et ce sont, en grande partie, ceux-là même qui les avaient votés à Ifri, qui les renièrent au Caire. Ainsi, Abane Ramdane, qui était avec Ben M'hidi, à l'origine de la naissance de ses deux principes, s'est trouvé isolé politiquement, relégué au second plan, puis éliminé physiquement. La mort, auparavant, de Larbi Ben M'hidi qui le soutenait et le suppléait, présageait déjà son élimination des commandes de la Révolution, en attendant sa liquidation physique. 3 – Le découpage territorial Le territoire national fut divisé en six wilayas. Les limites territoriales sont fixées par les routes nationales. Chaque Wilaya est divisée en Zones ; chaque Zone est divisée en Régions ; chaque Région est divisée en Secteurs. Pour rappel, le découpage territorial était comme suit : - Wilaya I (Aurès-Nemenchas) ; - Wilaya II ( Nord constantinois) ; - Wilaya III (Kabylie) ; - Wilaya IV (Algérois) ; - Wilaya V (Oranie) ; - Wilaya VI (Sahara). 4 – L'organisation fonctionnelle de l'ALN Parallèlement au découpage territorial, la composition et la hiérarchie de l'ALN ont été réorganisées. Ainsi fut formée la pyramide des unités combattantes dont la plus petite est le groupe (faoudj) composé de onze djounoud, puis la section (fassila) composée de trente-cinq hommes, la compagnie (katiba) composée de cent-vingt hommes et le bataillon (failek) composé de 350 hommes. Pour compléter cette ossature, des grades furent également institués pour les responsables de chacune de ces unités, ainsi que pour les responsables politico-militaires. Ces grades s'échelonnent de caporal (djoundi El Ouel), jusqu'au colonel (Sagh Ethani ), le grade de général étant exclu. 5 – Institution d'un pouvoir collégial Une particularité importante de cette organisation est qu'il est mis à la tête de chacune de ces structures un pouvoir collégial composé d'un chef politico-militaire, d'un adjoint politique, d'un adjoint militaire et d'un adjoint chargé des renseignements et liaisons. A chaque niveau (secteur, région, zone et wilaya), le chef politico-militaire doit partager son pouvoir avec ses trois adjoints chargés, le premier du politique, le deuxième du militaire et le troisième des renseignements et liaisons. Toutes les décisions sont prises collégialement en comité de Wilaya, de Zone, de Région ou de Secteur. Cette innovation organisationnelle a permis d'éviter des erreurs, ou tout au moins de les limiter, de bannir le pouvoir personnel et d'imposer les règles démocratiques même au sein d'une armée de libération activant dans les maquis ! 6 – L'organisation de la justice Il y eut la création des tribunaux de l'ALN au niveau des secteurs et des zones. Désormais, aucun officier, quel que soit son grade, n'a le droit de prononcer une condamnation à mort aussi bien pour les civils que pour les militaires. Les tribunaux en question s'en chargeront ; l'exécution de la sentence se fera soit par balle, soit par pendaison. En plus, les mutilations, les égorgements sont formellement interdits ; les accusés ont le droit à la défense par le choix d'un avocat. Enfin, l'exécution des prisonniers de guerre est formellement interdite. 7 – Le respect du principe de la séparation des pouvoirs A l'image des pays démocratiques, le principe de la séparation des pouvoirs fut pris en compte. Il y eut la création du CNRA (Conseil national de la Révolution algérienne) qui joue le rôle du Parlement et le CCE (Conseil de coordination et d'exécution) qui joue le rôle du pouvoir exécutif. D'autres sujets non moins importants furent abordés. Il s‘agit de la trahison des messalistes, du rôle de chaque communauté en Algérie, de la politique extérieure du FLN, du rôle des trois pays nord-africains, des conditions préalables à toute négociation avec le pouvoir français. En conclusion, la charte de la Soummam est devenue un code de conduite de la Révolution pour tous les moudjahidine. Elle a unifié les rangs au sein du FLN et de l'ALN et a créé une organisation identique des maquis à l'échelon national. Le rôle de chaque responsable y est expliqué, la conduite à tenir devant tous les problèmes y est décrite. C'est en ce sens que le congrès de la Soummam fut un congrès unificateur des rangs et de l'organisation en général. La charte qui en est issue a surtout confirmé l'idéologie du FLN/ALN et jeté les bases de l'Etat algérien d'après-l'indépendance.
Djoudi ATTOUMI. Ancien officier de l'ALN - Ecrivain