Depuis que le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, a annoncé il y a quelques mois que la loi fixant l'âge de départ à la retraite à 60 ans entrera en vigueur l'année prochaine, le nombre de dépôts de dossier de retraite anticipée ne cesse de croître. Nous avons pu le constater dans les différentes agences de la Caisse nationale des retraites (CNR) de la capitale et particulièrement à celle située sur le boulevard Colonel Bougara (Alger-Centre). Des centaines de demandeurs viennent par vagues pour demander des renseignements, compléter un dossier ou le déposer en attendant d'en bénéficier. La majorité justifie cette décision par la pénibilité de leur travail, le fait d'avoir le sentiment de ne pas «tenir le coup jusqu'à 60 ans», et d'autres redoutent que l'Etat prolonge l'âge de la retraite au-delà de 60 ans. Le Conseil des ministres qui a examiné en juillet dernier l'avant-projet de loi «rétablissant l'obligation d'un âge minimal» de retraite à 60 ans pour les hommes et 55 ans pour les femmes confirme la constatation d'une forte augmentation des départs en retraite sans condition d'âge ou en retraite proportionnelle. Il faut savoir que pour l'année en cours, 96% des départs à la retraite d'enseignants sont des retraites anticipées, si l'on comptabilise les autres catégories de ce corps, le taux atteint les 93%. C'est l'aveu de Nouria Benghebrit, ministre de l'Education nationale, qui explique les raisons de ce phénomène par «l'amélioration des conditions financières» des enseignants suite à l'augmentation des salaires intervenue depuis 2010. Plusieurs témoignages confirment la tendance «Lorsque j'ai appris que l'Etat allait supprimer la retraite anticipée, j'ai immédiatement commencé à préparer le dossier de départ. Je ne pouvais pas continuer à travailler jusqu'à 60 ans avec un bas salaire mensuel de 35 000 DA. En plus, l'ambiance de travail s'est détériorée. Même si j'étais le chauffeur du directeur d'une entreprise publique de construction basée à Alger, mon salaire n'a pas évolué. Cela m'a totalement démotivé», avoue D. M. Dans ce contexte, poursuit-il, «la retraite anticipée est pour moi une délivrance et un soulagement. En plus, à 50 ans, cela va me permettre de me consacrer à ma santé et à mes deux filles dont une est universitaire». Contrairement à beaucoup d'autres, il n'a pas voulu «replonger dans le travail en tant que chauffeur ou autre pour un ridicule salaire de contractuel. Je me contente de ma pension de retraite au lieu d'être exploité par les sociétés ou des particuliers au détriment de ma santé.» De son côté, un récent retraité de Sonatrach qui a travaillé dans les chantiers du Sud et qui est parti en retraite à 56 ans explique les raisons qui l'y ont poussé : «Comme la plupart des travailleurs de Sonatrach, on a demandé de partir en retraite afin de bénéficier de la prime de départ. Car avec la crise économique qui se fait ressentir suite à la baisse du prix du pétrole, on craignait que les responsables de l'entreprise prennent la décision de revoir le taux de la prime de départ à la baisse. Au-delà du souci de perdre certains avantages sociaux, jamais les travailleurs du Sud n'ont exercé jusqu'à 60 ans. La rumeur a provoqué le départ massif des travailleurs tant au Centre qu'au Sud. Actuellement, d'anciens collègues sont en train de constituer leurs dossiers de retraite avant 2017. C'est la panique à travers les bases de Sonatrach», nous confie A. B., ancien cadre à Sonatrach. L'avant-projet de loi «rétablissant l'obligation d'un âge minimal» de retraite à 60 ans pour les hommes et 55 ans pour les femmes, prévoit des départs anticipés pour les travailleurs «en poste de haute pénibilité» et différés de cinq ans sous condition pour certaines catégories à haute expertise ou déficitaires. Cet avant-projet modifiant et complétant la loi n°83-12 du 2 juillet 1983 relative à la retraite vise essentiellement à préserver l'avenir de la CNR et les intérêts des retraités ; il tient compte aussi des préoccupations exprimées par les représentants des travailleurs. Pour ce qui est du départ à la retraite sans condition d'âge, l'ordonnance 97-13 du 31 mai 1997 reste en vigueur jusqu'à la fin de l'année. La CNR continue, de ce fait, de recevoir et de traiter les dossiers liés à la demande de départ à la retraite proportionnelle et sans condition d'âge. Les départs à la retraite sans condition d'âge ou proportionnelle sont deux dispositifs mis en place dans les années quatre-vingt-dix, à titre exceptionnel et transitoire, alors que le pays était confronté à une importante vague de dissolutions d'entreprises et de compression de personnel. La décision de rétablir le départ à la retraite à 60 ans a fait l'objet de concertation lors de la réunion de la tripartite, en juin dernier, dans «le souci de préserver et consolider le système national de retraite», d'autant plus que les conditions actuelles ne permettent plus le maintien du dispositif de départ à la retraite sans condition d'âge. Sauvegarder le système national de retraite Le maintien de cette disposition entraîne «des conséquences dommageables» aussi bien aux équilibres financiers de la CNR qu'à l'outil de production, qui enregistre chaque année d'importantes déperditions de ses ressources humaines, notamment les plus qualifiées, dans un dispositif qui s'est avéré souvent «inégalitaire», a-t-on précisé lors de la dernière tripartite. Mohamed El Ghazi, ministre du Travail, de l'Emploi et de la Sécurité sociale, avait divulgué récemment que sur les 1,7 million de retraités, 890 000 sont partis en retraite anticipée, soit 52% des moins de 60 ans, auxquels la CNR verse annuellement 405 milliards de dinars. En Algérie, il y a 2,1 d'actifs pour un retraité, alors que la norme internationale est de 5 actifs pour un retraité. Pour les pouvoirs publics, la retraite sans condition d'âge a favorisé le départ en masse de cadres compétents et d'une main-d'œuvre qualifiée des entreprises nationales vers les sociétés étrangères. Le projet de loi propose ainsi «la suppression de ces dispositifs exceptionnels» conçus pour une période transitoire et le retour à la règle de l'âge minimum de la retraite à 60 ans en vigueur depuis 1983. Des mesures, selon le gouvernement, qui «permettent de sauvegarder le système national de retraite basé sur le principe de solidarité intergénérationnelle». Le texte en question propose par ailleurs le droit des travailleurs à poursuivre volontairement leur activité au-delà de l'âge de 60 ans, dans la limite de cinq années. Cette disposition permettra aux travailleurs concernés de valider notamment des années de travail supplémentaires au titre de leur retraite. Mais si les pouvoirs publics ont décidé de recourir à ces mesures, ce n'est pas uniquement à cause de l'effondrement des prix du pétrole. Elles sont justifiées également par les données démographiques nationales, qui montrent une évolution significative de l'espérance de vie à la naissance qui est passée de 62,5 ans en 1983 à 72,5 ans en 2000 et à 77,1 ans en 2015. En outre, le projet de texte intègre des règles spécifiques concernant les travailleurs occupant des postes de travail à haute pénibilité, qui pourront bénéficier de la retraite avant l'âge de 60 ans. Ce projet intègre également des dispositions pour les travailleurs exerçant des professions hautement qualifiées ou des métiers déficitaires qui pourront bénéficier, à leur demande, d'un recul de l'âge de leur retraite. Enfin, le projet de loi prévoit le principe de sources additionnelles de financement des dépenses de retraite, qui pourraient apporter un appoint à la source naturelle de financement de ces dépenses, constituées des cotisations sociales, tout comme il prévoit l'entrée en vigueur de la loi à compter du 1er janvier 2017. «L'assiette de calcul pour la pension de retraite en Algérie est faite sur les 5 dernières années ou les 5 meilleures années, contrairement à d'autres pays où l'assiette des cotisation est de 10 ou 20 années, voire toute la carrière. Elle est déjà très avantageuse et les revalorisations apportent des avantages. Nous n'avons pas de retraite en-dessous du SNMG, il y a une contribution de l'Etat dans ce sens avec un complément différentiel», avait déclaré il y a quelques mois à «L'Invité de la rédaction» de la Chaîne 3, Slimane Melouka, directeur général de la CNR.