Pour son deuxième roman en langue française, Sarah Haidar signe une ode à la liberté sous forme de roman poétique et violent. La morsure du coquelicot (Apic, 2016) s'aventure sur un terrain glissant. Le sujet du roman, si l'on peut vraiment parler de «sujet» et de «roman» pour ce récit hautement poétique, est la lutte d'une milice rebelle contre l'Etat. L'auteur trace une galerie de portraits de maquisards venus de Kabylie, du Sahara et d'ailleurs pour défendre un idéal commun de liberté. Cette armée clandestine réunirait tous les courants «sauf les barbus et les allumés de la patrie». Vous l'aurez deviné, le roman porte un réquisitoire des errements du nationalisme. Multipliant les références au Printemps berbère, à cet avril de sang qui revient en leitmotiv, le récit met à nu le monstre froid que peut devenir l'Etat et ses serviteurs : «Ils ont crié et tué pour un Lieu que personne ne connaît et dont on ne retient que quelques infimes fibres sentimentales héritées des grands- pères ; cette globalité mythique qu'ils célèbrent tous, perchés sur des idées glorieuses, accrochés au fantasme de leur propre immunité contre la géologie…», apostrophe un des personnages. En fait de géologie, il s'agit d'un attachement viscéral à la terre qui ne saurait se confondre avec une glorification ethnique ou une manie de «chercheurs d'os». C'est un sentiment bien plus simple : «J'accepte et j'aime cette appartenance fortuite.» Ce sentiment nourrit le récit non pas seulement en tant que thématique mais aussi et surtout dans une sorte de poétique de la terre qui jaillit au détour de la narration. La rêverie terrestre, comme l'a démontré Bachelard dans sa longue étude des rêveries élémentaires, est double. C'est l'apaisante terre mère couvant de silencieuses germinations mais aussi la terre en furie portant le métal dont sont faits les armes. Les deux dimensions sont bel et bien présentes et Sarah Haidar ne craint pas de s'aventurer dans une poétique de la violence. Est-ce pour autant une incitation à la violence ? Evidemment non puisqu'il s'agit d'une œuvre de fiction. L'auteur, comme l'affirme son personnage, mène une sorte de course contre le réel pour lui échapper en l'exacerbant. «Il faut écrire vite, imaginer trop, dessiner croquis et esquisses sans s'arrêter, crier des poèmes improbables, souffler dans des corps inédits… Il ne faut pas les laisser voler mon histoire.» Voilà qui sonne comme un manifeste littéraire. Un programme que poursuit Sarah Haidar d'un roman à l'autre. Si Virgules en trombe (Apic, 2013) était un «presque roman» sur la quête d'un idéal littéraire, La morsure du coquelicot semble une tentative de le réaliser.