L'université est-elle en voie de devenir une «entreprise comme les autres» ? Elle n'est pas encore au stade de l'autonomie, mais la conjoncture économique actuelle lui impose certaines lignes de conduite, dont la rationalisation des dépenses et le délaissement des spécialités sans ancrage sur la vie économique. Le ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, Tahar Hadjar, multiplie depuis quelque temps les déclarations autour de l'université de demain, drainant des réactions au sein des enseignants et de la communauté estudiantine. Tantôt remettant en question les bourses octroyées aux étudiants et le budget des œuvres sociales, tantôt la formation, très académique, dispensée par les universités, le ministre de tutelle enchaîne les tribunes pour rectifier le tir ou, a contrario, confirmer ses propos. Les œuvres sociales ont été la première cible de Tahar Hadjar. Il y avait à redire sur leurs prestations. Les extrapolations donneront lieu à une information faisant état d'une éventuelle privatisation. Les organisations estudiantines, à leur tête l'Union générale des étudiants libres (UGEL), sont déjà montées au créneau. Leurs réactions ne se sont pas fait attendre, «l'union refuse la privatisation des œuvres universitaires, un dossier qui sera débattu lors de conférences prévues dans plusieurs universités», a indiqué, dimanche dernier, le bureau exécutif de l'UGEL dans un communiqué ayant sanctionné sa réunion périodique. La tutelle a recadré certaines déclarations. Lors de la récente installation de la commission des études du FLN, Hadjar a saisi l'occasion pour apporter ses précisions. Il serait question de propos dénaturés. «Il faudra penser à l'amélioration de la gestion des œuvres sociales pour une optimalisation des dépenses et fournir une meilleure prestation aux étudiants», a-t-il spécifié. Et d'insister sur le financement public de ces œuvres sociales, ce qui implique l'observation d'une gestion rationnelle, la politique d'austérité passera aussi par là, motivée par l'augmentation significative du nombre d'étudiants. Ce dernier a connu une hausse de 12% pour cette rentrée. «La rentrée universitaire 2016-2017 a été marquée par une augmentation de 12% du nombre d'étudiants inscrits par rapport à l'année précédente», a indiqué le ministre, qui s'exprimait, dimanche, devant la commission de l'éducation, de l'enseignement supérieur, de la recherche scientifique, des affaires religieuses du Conseil de la nation (Sénat). Il a précisé que le nombre d'étudiants cette année s'élevait à 1, 613 million inscrits, encadrés par 60 000 enseignants universitaires à travers le territoire national. Les infrastructures devront automatiquement suivre. Déjà que dans plusieurs wilayas, les universités souffrent de surcharge des amphis et salles de cours, de manque de places pédagogiques et d'hébergement, «un manque d'encadrement dans plusieurs spécialités, particulièrement les filières scientifiques, l'absence de contrats de partenariat avec les institutions économiques, la non-application des recommandations de la conférence d'évaluation du système LMD et le retard dans les cours dans plusieurs facultés dans les universités d'Oran, Mostaganem, M'sila, Relizane, Blida et l'Ecole normale supérieure (ENS), particulièrement dans les spécialités des sciences sociales et humaines», a souligné l'UGEL. Le premier responsable du secteur, qui a affirmé que «la conjugaison des efforts d'un nombre de secteurs était nécessaire pour la réussite de la rentrée universitaire», a tenté de rassurer l'ensemble de la communauté universitaire que la déficience structurelle sera rattrapée par son département : «D'ici à la fin de l'année 2016, de nouvelles structures d'une capacité de 100 000 places et 55 000 lits seront réceptionnées.» Pourvu que les projections du MESRS ne soient pas compromises par d'autres effets de la crise. DE LA FORMATION PRATIQUE SURTOUT En décembre 2015, le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique a tenu une conférence sur l'évaluation du système LMD (Licence- Master-Doctorat). Après des mois de débat et trois jours d'âpres échanges entre les différents gestionnaires et représentants de l'université algérienne, la première recommandation qui en a résulté est le maintien du système LMD. Et ce n'était pas faute d'avoir essayé une refonte, car, de l'avis de bon nombre d'enseignants, «le système en question a montré ses limites».Preuve en est, cette confusion dans l'accès au master et au doctorat. Des organisations estudiantines ont d'ailleurs relevé une intransigeance concernant cette question, «il existe un manque de clarté dans les critères permettant aux étudiants du système LMD de participer au concours, le refus de la tutelle de prolonger les délais de débat des thèses de doctorat», selon l'UGEL qui espère voir la tutelle revoir sa copie à cet effet, arguant que «la recherche scientifique ne devrait pas être limitée dans le temps». L'évaluation du système LMD a donné aussi le ton à la mise en place progressivement de mécanismes susceptibles de colmater au fur et à mesure les dysfonctionnements du secteur de l'enseignement supérieur. La présente rentrée est placée sous le sceau de la qualité. «L'année de la qualité, en préparation depuis cinq années, vise à corriger les dysfonctionnements par la mise en place de références nationales et des mécanismes obéissant à des critères nationaux», a laissé entendre Tahar Hadjar, depuis Tipasa où il effectué récemment un déplacement. Il retiendra à l'endroit de l'institution universitaire actuelle : «une formation académique de niveau au lieu de formation pratique spécialisée». Les perspectives, voire les ambitions, de l'université d'Oran, illustrent cette nouvelle vision. L'enseignement supérieur dans la capitale de l'Ouest est appelé à introduire «au moins 30 spécialités en industrie automobile vu la vocation future de la région», a affirmé Hadjar, allusion faite à l'installation du constructeur automobile Renault, talonné par Peugeot et bientôt par d'autres. Faire de l'université un levier pour l'industrie, l'agriculture et toute activité génératrice d'emplois, «les universités et les grandes écoles sont sommées de revoir leurs programmes pédagogiques et spécialités dans une année ou deux et ce projet doit être présenté à la tutelle pour approbation», a informé Tahar Hadjar. Un projet qui permettra de revoir la carte de la formation. Cette dernière devra être en adéquation avec les développements et l'évolution économiques. Ce projet «permet l'avènement d'autres spécialités et la disparition d'autres, pour hisser l'université algérienne au rang des grandes universités et cela a été abordé dans la conférence sur l'évaluation du LMD». L'allusion est-elle faite au dernier classement des universités selon QS World University Rankings, un classement réputé très sérieux et qui place l'université algérienne en queue de peloton dans le monde arabe ? Et au ministre de s'en défendre : «Le classement des universités par des organismes est élaboré selon une logique et des considérations publicitaires», sera sa réponse.