Vêtue de blanc, la romancière algérienne, Ahlem Mosteghanemi, ressemblait, dimanche 30 octobre au Palais des expositions des Pins Maritimes, à l'est d'Alger, à une princesse. Le blanc lui va si bien, elle qui a écrit sur le noir ! Cela fait longtemps que l'auteure de Dhakiratou al jassad (Mémoires de la chair) n'a pas marqué de sa présence le Salon international du livre d'Alger (Sila). Elle est revenue par la grande porte pour la 21e édition. Montant les escaliers sur tapis rouge, aux côtés de Hamidou Messaoudi, commissaire du Sila, elle a constaté, quelque peu étonnée, qu'une foule compacte s'est constituée devant l'entrée du pavillon central attendant son arrivée. Elle a passé tout l'après-midi de dimanche à signer et dédicacer ses ouvrages au stand du ministère de la Culture, assise près d'un bouquet de roses, entourée de centaines de fans. Il a fallu la mise en place d'un dispositif de sécurité pour ne pas encombrer les allées du Salon. Debout, les lecteurs ont attendu pendant des heures pour se faire signer un roman de l'écrivaine. Tous ses romans sont des best- sellers dans le monde arabe et ailleurs. «Je suis ravie. Le lecteur algérien aime le livre et son auteur. L'amour des Algériens est beau et effrayant à la fois. Un amour si fort !», a déclaré Ahlem Mosteghanemi aux journalistes qui ont difficilement pu tendre leur micro. Elle a rendu un hommage au petit génie Mohamed Abdallah Farhdjelloud, qui, à 7 ans, a décroché dernièrement le Prix du concours panarabe, Tahadi al Qira'a al aârabi (Arab reading challenge) aux Emirats arabes unis. Selon elle, les Algériens sont capables de beaucoup de réussite, beaucoup de choses. «Il faut juste réunir les conditions», a-t-elle affirmé. Critiquée, jalousée et attaquée par les cercles salonards de la bien-pensance et les détenteurs des «clés» de «la haute» littérature, la romancière est, de loin, la plus populaire des écrivains algériens. Les jeunes étaient ravis de se prendre en photo avec elle. Certains étaient même en pleurs. Chaleureuse, la romancière n'hésitait pas à aller vers la foule, touchant la main à ses fans avec beaucoup de sincérité et de bonheur. A quelques mètres du stand du ministère de la Culture, la salle Sila abritait, dimanche, une conférence de Waciny Laredj, autre écrivain populaire, venu présenter son dernier roman, Les femmes de Casanova, publié aux éditions Enag. Sur son lit de mort, Casanova, qui, à l'origine devait s'appeler Loth dans le roman, réunit ses quatre femmes pour leur faire ses adieux. «L'homme, qui a perdu le pouvoir, peut à peine parler. Il reçoit ses épouses chacune à part. Et chacune d'elle raconte sa propre histoire, lui avoue ce qu'il ne connaissait pas. Les femmes savent que leur époux n'a plus de force, donc se permettent d'être franches, frontales. Casanova était face à quatre Sherazad», a souligné Waciny Laredj. C'est le début d'une trame à travers laquelle Waciny Laredj donne «un visage», voire «un caractère», algérien au séducteur et magicien vénitien. L'œuvre explore les relations femmes-hommes mais également les rapports, parfois conflictuels et ambigus, des femmes entre elles. Waciny Laredj renoue donc avec le roman psycho-social après une longue période «politique» avec notamment ces deux derniers romans, 2084, le dernier arabe et Les cendres de l'Orient. Territoire de l'imaginaire L'auteur canado-haïtien, Dany Laferrière, l'un des grands invités du Sila 2016, a précédé Waciny Laredj à l'estrade Sila. L'auteur de L'Enigme de retour a développé avec beaucoup de modestie sa vision de la littérature et du monde actuel. «Pour savoir d'où vient un écrivain, visitez sa bibliothèque», a-t-il conseillé aux journalistes qui l'entouraient après sa conférence. Entre deux signatures de ses ouvrages, Dany Laferrière, qui semble être bien apprécié par les lectrices, a confié qu'il appartient au territoire de l'imaginaire et qu'il n'aime pas trop qu'on parle d'«exil» à propos de son voyage de Haïti à Montréal, au milieu des années 1970, où il avait travaillé dans une usine avant de connaître la gloire grâce à l'écriture. L'auteur de L'Art presque perdu de ne rien faire adore le contact direct avec les lecteurs. «Des lecteurs qui vous aiment sans vous connaître. Qui vous aiment à travers vos livres. Quel sentiment fabuleux !», a-t-confié. Samedi 29 octobre, l'affluence du public est plus importante que la veille au Sila. Temps ensoleillé, petite brise marine au Palais des expositions des Pins Maritimes (Safex) à l'est d'Alger. Un nouveau projet se prépare, semble-t-il, au niveau de ce palais qui fait face à l'hôtel Hilton. Il est question de construire des tours d'affaires, des hôtels et des parcs à thèmes. Le gouvernement a, aux dernières nouvelles, donné son accord pour le lancement de ce projet, qui sera soutenu par un montage financier. Le pavillon central et les deux pavillons situés autour de la placette devraient être épargnés de la destruction, mais temporairement. Le Sila doit d'ores et déjà «penser» à un autre lieu d'hébergement, à moins de revenir à…l'architecture éphémère. Messaoudi Hamidou a tenu parole. Dès le deuxième jour, une quarantaine de maisons d'édition arabes et algériennes ont été mises en demeure après avoir déposé des ouvrages à même le sol. «Nous ne voulons plus de cette humiliation du livre. Rendez-vous compte, même le Coran est jeté par terre», a estimé le responsable du Salon. Selon le règlement intérieur du Sila, la vente en gros des livres est interdite. Ce samedi 29, la venue du ministre égyptien de la Culture, Hilmi Nemnem, et celle de son homologue algérien, Azzedine Mihoubi, ont créé une petite ambiance devant l'entrée du pavillon central. L'Egypte est le pays invité d'honneur du Sila 2016. Wacincy Laredj dédie son roman Les femmes de Casanova au ministre égyptien. Hilmi Nemnem, qui évoque le renforcement de la coopération culturelle entre les deux pays, annonce que l'Algérie sera le pays invité d'honneur au Salon du livre du Caire en 2018. Azzeddine Mihoubi a annoncé, pour sa part, qu'une discussion est menée pour concrétiser le projet de coproduction de deux films. Il a plaidé pour un échange plus dense entre les maisons d'édition des deux pays et pour la coédition des livres. Chaque jour, le stand égyptien, situé devant l'entrée principale du pavillon central, abrite des débats sur la culture, les arts et l'histoire du pays des Pyramides. Des enregistrements vidéo d'anciennes conférences données au Salon du Caire par les poètes Mahmoud Darwich et Nizzar Kibbani seront projetés au public au niveau du même stand. Génération Haitham El Hadj Ali, président de l'Organisation publique égyptienne du livre et chef de délégation, a parlé des difficultés de l'industrie éditoriale en Egypte. «Nous importons 70% de la matière première, comme les encres et le papier. Cela se répercute directement sur le prix des livres. Mais l'Etat, à travers le projet Maktabat al ousra, soutient le prix des livres jusqu'à 40%», a-t-il souligné, plaidant pour l'édition numérique. Pour lui, la coédition des ouvrages et des revues entre l'Algérie et l'Egypte, par exemple, va régler beaucoup de problèmes. «Cela va faciliter la circulation des livres entre nos deux pays et dépasser les difficultés liées aux procédures douanières, administratives ou de transport», a-t-il confirmé. Dans l'après-midi, Waciny Laredj a animé un débat sur «la littérature algérienne, 3e génération» au niveau de la salle Sila. Devant un public nombreux, de jeunes auteurs, parfois intimidés, ont parlé de leur expérience, se sont réservés sur le générique de «3e génération». «L'écriture n'a pas d'âge», a estimé Hadjer Kouidri. «Je refuse d'écrire toutes sortes de parrainages. Je mets mon père à l'avant dans une assemblée, mais je ne veux pas qu'il domine toute l'assemblée», a souligné Abderrazak Boukkeba. Le critique Lounis Benali a, lui, préféré parler de «renouvellement» dans l'écriture et non pas de «nouvelle écriture». «J'ai du mal à définir mon écriture. C'est aux critiques de le faire», a repris Kaouthar Adimi, qui vient de publier aux éditions Barzakh Des pierres dans ma poche. La journaliste Faïza Mustapha a, elle, signé son nouveau recueil de nouvelles El berrani (L'étranger), paru aux éditions El Fairouz. Le recueil porte également un texte théâtral, Moudoun el cartoun (Les villes en carton). «L'Algérien se sent parfois étranger dans son propre pays», a déploré Faïza Mustapha, qui vit et travaille à Paris. En 2010, elle a publié son premier recueil de nouvelles, Azraq jareh (Bleu blessant). Au stand de l'ANEP, le premier roman de Djawad Rostom Touati, Un empereur nommé désir, prix Ali Mâachi 2016, fait parler les connaisseurs de la littérature. L'écriture du jeune Djawad fait débat. Comme celle d'autres auteurs algériens qui arrivent sur la scène littéraire. «Les jeunes peuvent chercher une place sur cette scène sans exclure les générations qui les ont précédés», a conseillé Waciny Laredj. Tout un débat…