Impossible de comprendre la nourriture des Siciliens sans évoquer l'influence des Maures. Loria Maruzza, traductrice et écrivaine, est revenue longuement sur cet héritage lors d'une passionnante conférence tenue lors de la 1re Semaine gastronomique italienne à Alger. C'est une mémoire que les siècles ont peut-être romancée, entre légendes et versions authentiques. L'histoire culinaire n'étant pas une science exacte, se situant au croisement des traditions, des récits familiaux, des altercations religieuses ainsi que d'autres paramètres qui peuvent être déformés par les émotions. Mais à l'heure où les esprits chagrins entonnent l'air du «choc des civilisations», le Centre culturel italien a choisi d'évoquer ce qui nous rassemble. L'héritage maghrébin dans la cuisine italienne a été au cœur des discussions lors de la 1re Semaine gastronomique qui s'est tenue du 21 eu 27 novembre derniers. On y raconta ainsi que de nombreux plats siciliens tirent leur origine de la présence arabe dans le sud de l'Italie. Que ce sont les Maures qui ont introduit la cannelle, les agrumes et les amandes dans la cuisine péninsulaire. L'on affirme même que les pâtes, plat italien par excellence, seraient d'origine maghrébine. Le fait est que de 827 à 1061, la Sicile a été sous domination arabe. Cette période représente une «Ere des lumières» dont les réformes culturelles, sociales et économiques ont eu une influence profonde et durable. Dans un livre co-écrit avec le Français Serge Quadruppani et intitulé Yasmina. Sept histoires et cinquante recettes de Sicile au parfum d'Arabie, Maruzza Loria, traductrice et écrivaine, se saisit de cette histoire pour offrir un savoureux recueil de contes qui s'articule autour de sept recettes influencées par la domination de la dynastie fatimide sur la Sicile. La fiction, inspirée des Mille et Une Nuits et se déroulant au début de sa conquête par les Normands, fait appel à des personnages qui font partie de la tradition sicilienne comme Djéha, ainsi qu'aux saveurs du miel et des agrumes. «J'ai voulu rendre l'atmosphère de la Sicile arabe en m'inspirant du conte de Chehrazad», reconnaît l'auteure. On y trouve notamment des recettes de l'amour maternel, l'amour pour les parents, l'amour pour les animaux (une recette végétarienne, s'entend), l'amour parfait et d'autres encore. «Pour élaborer mon livre, je me suis basée sur des recettes de ma famille et de mes amis et j'ai bien choisi mes recettes. Ce sont pour la plupart des plats encore préparés aujourd'hui», a tenu à préciser Maruzza Loria. Parmi ces recettes, l'on retrouve notamment la soupe de fèves, le couscous aux poissons, le sorbet ou les cheveux d'ange au miel. L'auteure évoque avec passion des vestiges de cette présence arabe dans la culture alimentaire du sud de l'Italie. C'est que l''héritage est très visible. Maria Bataglia, directrice du Centre culturel italien, souligne à ce propos qu'il y a toujours eu des échanges de saveurs et de senteurs entre les deux parties de la Méditerranée. «Nous avons les pâtes et vous avez le couscous, sourit-elle. Et il ne faut pas perdre de vue que l'Algérie fut le grenier de Rome». Loria Maruzza va encore plus loin. Pour elle, ce sont les maghrébins qui ont «inventé» les pâtes. «Celles-ci se conservent très bien, ce qui permettait aux nomades de les stocker plus longtemps. Mais à l'époque, elles devaient mijoter longuement sur le feu pour retrouver leur tendresse. Il y a des traces écrites de voyageurs arabes à propos de la première fabrique de pâtes près de Palerme», précise-t-elle. Dans cette région, il existait, affirme-t-elle, près de 3000 mosquées, dont la plupart ont été transformées en églises.