Rachid Halet, une autorité morale et intellectuelle reconnue du FFS, dit se demander si des membres influents de l'appareil du parti ne seraient pas en train «d'exécuter une feuille de route décidée et écrite ailleurs». Risquant la suspension, il décide de se battre. Avis de tempête au Front des forces socialistes. La paix n'aura pas duré longtemps au sein du parti fondé par feu Hocine Aït Ahmed pour replonger dans une nouvelle crise organique aux ressorts politiques. Une énième crise, qui couve depuis quelques mois déjà au boulevard Souidani Boudjemaâ, éclate au grand jour. En cause, cette fois-ci, une divergence frontale entre des membres de l'instance présidentielle et plus précisément des membres de cet organe «soutenus» par une partie du secrétariat national qui se ligue contre celui qui est considéré comme l'éminence grise du parti, le parlementaire de Tizi Ouzou et membre du présidium, Rachid Halet. Il est devenu l'homme à abattre. Le champion d'hier célébré par l'ensemble du parti comme la tête pensante est propulsé de l'autre côté de la barrière et aussitôt conduit devant le tribunal du parti. Il est convoqué aujourd'hui devant la commission de discipline. Désaccords politiques ? Le choix de la date est n'est pas fortuit pour «exécuter» ce cadre du parti issu de la deuxième génération du FFS après celle des fondateurs. C'est à la veille de la réunion du conseil national du parti, devant se tenir ce week-end pour se prononcer sur la participation au pas du FFS aux prochaines élections législatives. Ironie du sort, Rachid Halet, une des figures historiques du parti depuis la période de la clandestinité, est «accusé» de «tenir des déclarations contraires à la ligne politique du FFS» et de ne pas avoir défendu la mémoire de Hocine Aït Ahmed ! Et, accessoirement, on lui reproche ses absences successives aux réunions. C'est un «fallacieux prétexte», affirme le député de Tizi Ouzou, qui a décidé de ne pas répondre à la convocation de la commission de discipline et se dit déterminé à se battre. «On a eu à affronter la Sécurité militaire durant les années de plomb. Je ne suis pas sur la sellette, mais sur un cheval et je suis décidé à me battre pour un retour au fonctionnement régulier des instances du parti», riposte l'ancien détenu politique d'avril 1980. Dans une déclaration à El Watan, M. Halet – une des valeurs sûres du FFS – assure qu'«il est exclu de répondre à la convocation de la commission de discipline. Je tiens à dire que suis membre de l'instance présidentielle du parti et que je le demeure, et ce, quels que soient les attaques et les complots dont je fais l'objet, quelle que soit la décision de la commission de discipline ou de toute autre instance». Sur le plan strictement procédural, Rachid Halet estime que son mandat – élu au congrès – lui donne le droit de ne pas se soumettre à une instance issue du conseil national. «Je suis membre de l'instance présidentielle élu par la volonté du congrès. De ce fait, nous jouissons, en tant que membres de cette instance, d'une légitimité nationale alors que les membres de la commission issus du conseil national jouissent d'une légitimité fédérale», se défend-il. «Personne, aucun groupe de ne peut porter atteinte aux décisions du congrès, nous ne sommes responsables que devant le congrès», ajoute-t-il encore. De toute évidence, «l'affaire Halet» est loin d'être une simple question de discipline. Elle revêt un caractère politique qui serait derrière une tentative de le mettre hors d'état de nuire aux desseins inavoués de certains membres influents au sein de l'appareil du parti. Lesquels ? «Il faut poser la question aux commanditaires des coups de force et aux instigateurs de la tentative de me traduire devant une commission de discipline pour des motifs fallacieux et sans aucune substance», accuse-t-il. «Climat pourri» Connu pour sa pondération, Rachid Halet, dont le parcours politique se confond avec l'histoire du FFS, ne prend pas de gants pour se défendre et surtout démasquer ceux qui seraient à la manœuvre. Il décrit un «climat pourri» au sein de la direction du parti. C'est dire que la situation a atteint son point critique. «Il y a actuellement quelque chose de pourri dans les instances de la direction du parti», pilonne-t-il en désignant les responsables du désastre. «Trois personnes sont fondamentalement responsables du désastre, la bande des trois. Il s'agit de Mohamed Amokrane Cherifi, Ali Laskri et Aziz Baloul (membres du présidium). Ces trois personnes, après avoir commis leur forfait, sont actuellement terrées et silencieuses. Elles veulent faire porter le chapeau à une commission de discipline et, par extension, au conseil national.» Deux instances que M. Halet «espère qu'elles sauront se mettre à la hauteur des enjeux. Sinon, elles porteront une responsabilité gravissime sur l'avenir du parti et sa place dans la société si elles se prononcent conformément aux instructions de la ‘bande des trois'. Ce sera une tache indélébile qu'elles porteront». Rompu depuis de longues années aux batailles politiques, Rachid Halet leur lance le défi de se battre à visage découvert. «Le courage et l'honneur auraient voulu qu'ils viennent m'affronter loyalement au sein du conseil national. Ils ont préféré la procédure organique et à ce propos leur dernière tentative de se constituer en une instance dans l'instance n'est que la dernière étape d'une gestion parallèle du parti», gronde-t-il. Interrogé sur le rôle du premier secrétaire national, Abdelmalek Bouchafaâ, dans cette crise qui risque d'affaiblir davantage le FFS à la veille du scrutin législatif, l'homme, qui été presque à lui seul ces dernières années la boîte à idées du parti, est nuancé à propos de l'élu de Constantine (Bouchafaâ). «Après avoir fait preuve de velléités de résistance, son attitude actuelle me trouble du fait qu'il s'est associé au chœur de tout ceux qui prétendent que le parti va bien, qu'il n'y a rien à signaler, circulez !» reproche-t-il. A la décharge du premier secrétaire national, Rachid Halet estime qu'il a été «sujet à de grandes pressions à l'intérieur comme à l'extérieur du parti, tout comme d'ailleurs la commission de discipline qui a eu à subir notamment M. Laskri de façon constante. J'espère que certains cadres sauront résister pour l'honneur du parti». Les quatre responsables mis en cause étaient injoignables hier. Silence radio. Instruction aurait été donnée de ne pas répondre. Et mieux étayer le clivage politique à l'origine de cette crise que l'appareil du parti tente de «résoudre juridiquement». L'ancien compagnon de Hocine Aït Ahmed depuis la fin des années soixante-dix, devenu visiblement un obstacle à éliminer, est convaincu que le fond du problème est politique. «La question fondamentale est d'ordre politique. C'est l'avenir qui révélera les objectifs et les stratégies de ces messieurs. Comme beaucoup de militants, je m'interroge : sont-ils en train d'exécuter une feuille de route décidée et écrite ailleurs ou agissent-ils pour des intérêts particuliers ? Les deux volets ne s'excluent pas et peuvent être combinés», tranche-t-il. «Les enjeux dépassent les élections législatives» Les législatives en ligne de mire sont manifestement objet de divergence. Vouloir suspendre Rachid Halet à la veille de la tenue du conseil national devant trancher la question de la participation, c'est empêcher un débat franc et contradictoire sur le sujet. Il est fort à parier que l'explication n'aura pas lieu dans ces conditions. Si celui qui est reconnu comme une figure intellectuelle du parti n'a pas un avis définitif sur le scrutin législatif, il estime que le contexte n'est pas le même qui a présidé à celui de 2012. «Je crois que les enjeux dépassent les élections législatives à venir, même si cette échéance a son importance. A ce propos, je tiens à dire que le contexte qui a justifié notre participation en 2012 a totalement changé et doit être soigneusement réévalué», analyse celui qui a joué un rôle central dans l'élaboration du projet politique du FFS, à la veille du congrès et son initiative de «consensus national». Ainsi donc s'ouvre un autre épisode de crise qui est visiblement consubstantielle au FFS, qui est devenu un parti crisogène. De dissidence en dissidence, le parti fondé par Hocine Aït Ahmed et ses compagnons de lutte en 1963, n'a pas cessé de produire des dissensions politiques internes poussant l'essentiel de son encadrement politique historique hors de ses frontières.