Décidément, la tendance antilibérale en Amérique latine est bien plus forte que prévu. Un nouveau pays de ce sous-continent s'apprête à passer à gauche. Un virage emprunté en toute connaissance de cause, après ce qui semble être l'échec de la période libérale, plutôt, et pas une simple incursion. Il s'agit du Nicaragua où le retour des Sandinistes, ceux qui avaient libéré ce petit pays de la dictature de Somoza. Et c'est le chef de l'ancien Front sandiniste de libération nationale (FSLN), l'ancien chef de guerre devenu président, Daniel Ortega qui pourrait être le prochain président de ce pays. Celui que l'on présente comme la « bête noire » des Etats-Unis et l'ami du Venezuela — deux qualités ou deux défauts, c'est selon — se rapprochait de la victoire au premier tour de l'élection présidentielle nicaraguayenne après l'annonce, lundi soir, des résultats de 61,8% des bureaux de vote par le Conseil suprême électoral (CSE). Après avoir renversé le dictateur Anastasio Somoza en 1979, Daniel Ortega a dirigé le Nicaragua jusqu'en 1990, face à une rébellion armée financée par les Etats-Unis. Battu à l'élection de 1990, il a perdu par la suite deux scrutins face à des candidats de droite. Avec 38,58%, l'avance de Daniel Ortega s'est légèrement réduite sur Eduardo Montealegre de l'Alliance libérale nicaraguayenne (ALN, droite) crédité de 30,94% des voix. Arrive en troisième position Jose Rizo du Parti libéral constitutionnaliste (PLC, droite) avec 22,93%, puis Edmundo Jarquin du Mouvement de rénovation sandiniste (MRS) avec 7,25% et Eden Pastora, un compagnon de lutte d'Ortega mais devenu chef énigmatique de l'Alliance pour le changement (AC) avec 0,28%. Le leader sandiniste, qui doit obtenir pour être élu au premier tour au moins 35% des voix avec au moins 5 points d'avance sur le deuxième, retrouverait ainsi son siège de président du Nicaragua perdu il y 16 ans, en profitant de la division de la droite au premier tour de la présidentielle. Daniel Ortega, muet depuis dimanche, a appelé à la « patience » et a voulu rassurer en citant le secteur privé. « Le Nicaragua veut améliorer ses relations avec toute la communauté internationale », a-t-il déclaré après un entretien avec l'ex-président américain Jimmy Carter qui participe à l'observation des élections. Lors d'une projection globale lundi matin, le groupe d'observateurs indépendants Ethique et Transparence créditait Daniel Ortega de 38,4% des suffrages, devant Eduardo Montealegre avec 29,52% et Jose Rizo avec 24,15%. « Nous nous préparons à un second tour », a assuré lundi Eduardo Montealegre, évoquant des irrégularités. Il propose de vérifier vote par vote et urne par urne le scrutin, une méthode qui rappelle le slogan d'Andres Manuel Lopez Obrador, le candidat de gauche battu au Mexique. Le secrétaire général de l'Organisation des Etats américains (OEA), José Miguel Insulza, s'est déclaré lundi « satisfait » du déroulement du scrutin, estimant qu'il avait été « conforme au droit ». Le chef de la mission de l'Union européenne, Claudio Fava, a qualifié le scrutin de « transparent ». « Il n'y a pas eu de fraude », a-t-il estimé. Une polémique s'est ouverte avec l'ambassade des Etats-Unis à Managua, accusée de vouloir remettre en cause le résultat. Le département d'Etat a lui aussi demandé d'attendre le résultat final avant de se prononcer. Comme dans la plupart des élections récentes en Amérique latine (Bolivie, Equateur, Pérou, Mexique), la lutte d'influence entre les Etats-Unis et les régimes vénézuélien et cubain s'est inscrite en toile de fond de l'élection nicaraguayenne. Au Nicaragua, elle a pris la forme d'une part d'un chantage sur l'aide américaine et d'autre part d'une promesse de pétrole vénézuélien à bas prix. L'ambassadeur américain, Paul Trivelli, qui a dit qu'une victoire de Daniel Ortega marquerait l'introduction du « modèle Chavez » au Nicaragua, a tenté en vain de réunifier la droite nicaraguayenne pendant des mois. Les Etats-Unis sont passés pendant la campagne au chantage sur l'assistance économique et le contrôle des centaines de millions de dollars envoyés par les Nicaraguayens émigrés. Les Nicaraguayens, qui ont voté massivement et dans le calme, devaient aussi renouveler leur Parlement et élire 20 députés au Parlement centre-américain. Mais n'y a-t-il que cela pour expliquer le vent de changement. Il est trop profond pour se contenter d'une explication aussi simple. Le libéralisme a fait beaucoup de ravages dans une région qui a servi parfois de laboratoire d'expérimentation de théories économiques qui n'ont profité qu'au grand capital.