Le rapport de RSF évoque le durcissement des outils de pression judiciaires, économiques et politiques «utilisés par les pouvoirs publics pour rétrécir le champ de la liberté d'informer». Dans un rapport rendu public aujourd'hui à Paris lors d'une conférence de presse, Reporters sans frontières dénonce une «asphyxie progressive des médias algériens», particulièrement depuis le quatrième mandat de Abdelaziz Bouteflika. Intitulée «Algérie : la main invisible du pouvoir sur les médias», l'enquête en question est basée sur un travail de terrain mené par les journalistes de RSF «entre mai et octobre 2016 à Alger, Oran et Tunis» et présente un «panorama non exhaustif de l'évolution de la liberté de la presse en Algérie depuis 2014», tout en détaillant certaines pressions subies par le secteur. Le rapport évoque le durcissement des outils de pression judiciaires, économiques et politiques «utilisés par les pouvoirs publics pour rétrécir le champ de la liberté d'informer». La mort en détention de Mohamed Tamalt, le 11 décembre, a alerté RSF sur le degré d'intolérance atteint par les autorités quand il s'agit de certains sujets considérés comme tabous, tels «la santé du président Bouteflika, les scandales de corruption ou les avoirs luxueux des dirigeants à l'étranger». RSF retrace la chronologie d'un ensemble d'affaires qu'elle considère comme des «atteintes graves» à la liberté de la presse. Les cas de l'arrestation en juin 2016 des deux responsables de KBC/El Khabar, Mehdi Benaissa et Ryad Hartouf, et celle de notre confrère Hassan Bouras, le 28 novembre, sont cités en exemple. Judiciariser le paysage médiatique L'enquête de RSF mentionne l'existence d'une volonté politique de judiciariser à outrance le paysage médiatique algérien. «Le ministère public est à l'origine de la plupart des poursuites engagées contre les journalistes et journalistes-citoyens ces deux dernières années. Le recours au code pénal est systématique, notamment en raison du fait que les infractions liées au droit d'informer – à savoir la diffamation, l'outrage et l'injure – sont prévues dans le code pénal», lit-on dans le rapport. Pourtant, la révision constitutionnelle de février 2016 a dépénalisé le délit de presse ! Quant aux pressions économiques, elles retrouvent leur force dans le monopole de la publicité que détiennent l'Anep et le ministère de la Communication. Cela a causé le verrouillage du marché publicitaire étatique et privé sous prétexte du «cercle vertueux de l'éthique» cher à Hamid Grine, ministre de la Communication. Les organes médiatiques critiques vis-à-vis du pouvoir sont ainsi privés des recettes publicitaires, subissant par conséquent un étouffement financier. Ce fardeau, d'après RSF, a été très «nuisible à la production d'une information indépendante». S'y ajoutent l'utilisation des imprimeries publiques et les dettes comme moyens de pression supplémentaire sur la presse écrite. Dans ce contexte de pressions économiques sur les médias indépendants, des «hommes d'affaires algériens s'intéressent de plus en plus aux médias et notamment aux télévisions, vecteur d'information le plus puissant». RSF craint que cette tendance engendre «la naissance d'une oligarchie médiatique au service d'intérêts économiques ou politiques occultes, d'autant plus inquiétante qu'elle est difficilement quantifiable vu l'absence de transparence au sujet des propriétaires des médias». En plus des pressions judiciaires et économiques, de nombreux médias sont visés par des pressions politiques incessantes. Il s'agit de «ceux qui se sont opposés à la réélection de M. Bouteflika pour un quatrième mandat. C'est notamment le cas pour El Watan et El Khabar. Les pressions se manifestent principalement par des menaces verbales de hauts dirigeants algériens». Menaces En 2015, RSF a recensé «une quinzaine de menaces verbales émanant principalement du ministre de la Communication mais également du Premier ministre ainsi que du président la République». Les pressions politiques se manifestent, par ailleurs, à travers l'intimidation de journalistes indépendants. RSF évoque, à ce sujet, des «campagnes de diffamation» menées essentiellement sur internet par ce qu'elle appelle des «mercenaires 2.0». L'ONG – qui place notre pays au 129e rang sur 180 au Classement mondial 2016 de la liberté de la presse – appelle les autorités algériennes à se ressaisir et à reprendre le processus de réformes entamé en 2011 dans le secteur médiatique avec le nouveau code de l'information, la loi organique de 2012 et la loi sur l'audiovisuel de 2014. Le rapport de RSF recommande essentiellement : l'accélération de la création d'une autorité de régulation pour la presse écrite ; la révision du mode de nomination des membres de l'Autorité de régulation de l'audiovisuel (ARAV) afin de lui garantir plus d'indépendance ; l'abrogation du délit de presse dans le code pénal ; la libération du marché publicitaire, etc. RSF appelle enfin à ouvrir une «enquête indépendante sur les circonstances de la mort de Mohamed Tamalt afin que les responsables soient punis dans les plus brefs délais» et la libération immédiate de Hassan Bouras ainsi que de tous les détenus d'opinion.