Les consommateurs commencent l'année avec des hausses qui touchent une panoplie de produits, alors que la loi de finances 2017 est claire à ce sujet. Comment expliquez-vous la généralisation des augmentaions ? Sont-elles toutes justifiées ? Quand on touche à la TVA et aux prix des carburants, il faut s'attendre à une hausse généralisée des prix. Il n'est nul besoin d'être expert pour le comprendre. Exceptés les produits subventionnés (qui continueront à l'être), tous les autres connaîtront une hausse plus ou moins significative de leurs prix. Cette situation rappelle l'enracinement des pratiques illégales dans le commerce. N'y a-t-il pas une défaillance de l'Etat en matière de régulation et de contrôle ? C'est une vieille rengaine que de dire que la hausse des prix est due à une défaillance de l'Etat en matière de contrôle. Aujourd'hui, les prix sont, pour l'essentiel, libres et il serait illusoire de croire que l'Etat peut en contrôler le niveau. L'expérience de l'économie administrée montre que le contrôle des prix n'est qu'illusion. La défaillance de l'Etat, car défaillance il y a, est à rechercher plutôt du côté de la politique générale en matière des prix. Si la libéralisation opérée au début de la décennie 90' a considérablement élargi — en institutionnalisant la liberté des prix — le champ de l'échange marchand, il n'en demeure pas moins vrai que de ce champ demeurent aujourd'hui encore exclues de larges gammes de produits et de services dont les prix continuent d'être administrativement fixés ou réglementés. Il en est particulièrement ainsi du logement, de la santé et d'autres services, ainsi que de l'essentiel des produits alimentaires. La liste des produits et services, dont les prix sont administrés, est tellement large que, présentement, c'est tout l'équilibre général des prix qui s'en trouve altéré. Le rôle régulateur des prix est de fait remis en cause. En réalité, l'étendue de la sphère de l'échange marchand est en fonction de la disponibilité de la rente externe : l'extension de l'échange marchand durant la décennie 90' fait suite au tarissement de la rente durant cette période, tarissement qui a entraîné la suppression des différentes subventions allouées pour maintenir les prix administrés. Avec le redressement durable des prix du pétrole durant les années 2000, l'Etat a retrouvé les moyens financiers qui lui ont permis de renouer avec son statut de distributeur. Cette tendance s'est nettement renforcée depuis 2011. Pour l'année 2017, pas moins de 10 milliards de dollars seront mobilisés pour subventionner les prix ! Par delà les considérations liées à la nécessité de veiller à la stabilité sociale et politique du pays, nécessité qui s'est particulièrement fait sentir depuis le début de ce qu'on a convenu d'appeler «le printemps arabe», la politique de l'Etat en matière des prix a toujours eu un fondement éminemment idéologique : le populisme. Idéologie qui refuse de voir la société à travers les intérêts qui la divisent, le populisme voudrait soustraire au marché (et donc aux prix) le rôle de réguler les échanges, car le marché est perçu comme source d'exclusions et d'antagonismes. C'est là une de ses caractéristiques essentielles. Mais ce faisant, il remplace des exclusions par d'autres, et plus grave encore, il «institutionnalise» les comportements de recherche de rentes dans toutes les couches de la société (l'exemple de l'accès au logement est très significatif à cet égard). Y a-t-il moyen d'intervenir sur les marges bénéficiaires ou de plafonner les prix, à défaut de pouvoir les fixer ? Les prix sont porteurs d'une logique marchande. Cette dernière ne peut être dépassée par l'agencement et/ou le blocage des prix (comme cela se faisait à une certaine époque) sans exposer l'activité économique à des déséquilibres sectoriels se manifestant essentiellement par des rentes. Combattre la rente par des mesures administratives est contreproductif. C'est la concurrence, et elle seule, qui peut mettre fin aux situations de rente. Sur le marché, il y a des spéculateurs qui font grimper les prix. Quelles solutions peut-il y avoir contre des acteurs non identifiés mais qui pèsent dans l'équation ? Au risque de me répéter, on ne combat pas la rente par des mesures administratives. La rente se combat par l'instauration effective de la concurrence. Le rôle de l'Etat est de veiller justement au respect des règles de la concurrence, dont la plus importante est le libre accès au marché. Le gouvernement a choisi de parer à la crise en augmentant la pression fiscale avec son impact sur les prix. Une révision du système fiscal ne s'impose-t-elle pas ? Pour le moment, la crise se manifeste par une aggravation de la contrainte budgétaire de l'Etat, suite à la baisse drastique des ressources provenant de la fiscalité pétrolière. Les mesures d'ajustement opérées jusque-là s'apparentent à un traitement comptable : augmentation des ressources (fiscalité ordinaire), réduction des dépenses. Si la situation sur le marché pétrolier ne s'améliore pas, la crise prendra, à coup sûr, une autre dimension. La trajectoire économique future du pays est plus que jamais incertaine. Quoi qu'il en soit, la crise actuelle nécessite des ajustements forcément douloureux sur le plan social et l'augmentation de la pression fiscale n'en est qu'un début. Le véritable problème est, on ne le répétera jamais assez, dans l'absence d'une volonté politique de rupture avec la rente. Le personnel politique actuellement au pouvoir ne veut manifestement pas de cette rupture. D'où cette politique de fuite en avant qui, à n'en pas douter, rendra le prochain et inéluctable ajustement structurel porteur de périls et de sérieuses menaces sur la cohésion nationale. Pour revenir à votre question, je dirais que ce n'est pas seulement le système fiscal qui doit être révisé (celui-ci comporte énormément d'injustices), mais tout l'édifice institutionnel sur lequel la reproduction matérielle de la société est fondée. La crise actuelle interpelle l'ensemble des acteurs sociaux. Elle soulève l'urgence et la nécessité pour le pays de mettre en œuvre un nouveau régime de croissance dont le financement ne dépendrait plus des revenus issus de la rente externe. Elle exige de ce fait la construction d'un compromis social crédible qui implique l'ensemble des forces politiques, économiques et sociales et qui définit les arbitrages et les choix, forcément douloureux, constitutifs du projet économique et social dont la collectivité a objectivement besoin. Force est malheureusement d'observer que jusque-ici notre société s'est montrée incapable de se doter d'un tel compromis, les tentations politiques d'une instrumentalisation de la rente l'ayant toujours emporté sur les exigences économiques d'un redressement durable.