Près de deux décennies de réformes n'ont à l'évidence pas changé grand-chose au mode de désignation des cadres dirigeants des entreprises publiques, resté aussi hasardeux et clientéliste qu'il l'était au temps du système socialiste qui avait fait de ces entreprises des sociétés nationales placées sous tutelle de ministères qui désignaient leurs dirigeants et fixaient leurs objectifs.Au regard de ce que l'on voit chaque jour sur le terrain, force est de constater que la réforme de 1988 qui avait fait de l'autonomie de la gestion un de ses principaux points d'ancrage n'a pas atteint ses objectifs. Aujourd'hui encore, les cadres dirigeants tout comme les administrateurs sont placés à la tête des entreprises publiques non pas parce que leurs curriculum vitae ou des aptitudes particulières les prédestinaient à ces niveaux de responsabilité, mais tout simplement parce qu'ils ont les faveurs des décideurs du moment. Dans le sillage des réformes qui voulaient déconnecter le secteur des entreprises de la sphère politique, les fonds de participation et les holdings publics qui leur ont succédé ont bien tenté de constituer un fichier des cadres duquel on devait puiser en toute objectivité les profils répondant aux exigences des entreprises concernées mais tous les efforts entrepris dans ce sens ont été torpillés par ceux que la transparence dérangeait. En mars 1996, une circulaire du chef du gouvernement Mokdad Sifi avait tenté d'introduire un système de sélection après appel à candidatures mais lui aussi ne résistera pas aux pressions des barons du secteur public. L'annulation de cette directive sera d'ailleurs une des toutes premières décisions que prendra son successeur Ahmed Ouyahia qui souhaitait avoir ses propres hommes aux commandes des grandes entreprises publiques. C'est ce mode de désignation qui prévaut aujourd'hui encore, faisant des chefs d'entreprises publiques non pas des gestionnaires soumis aux seules exigences du résultat mais des responsables dont le déroulement de la carrière ne peut être troublé qu'au cas où les relations avec les hiérarchies qui les ont cooptés venaient à se détériorer. Les gestionnaires du secteur public en sont ainsi arrivés à redouter beaucoup plus les remaniements ministériels qui risqueraient de leur faire perdre leurs soutiens que les résultats de leur gestion. Les PDG qui accumulent plusieurs années de déficits sans jamais être inquiètés parce qu'ils bénéficient de solides appuis sont de ce fait nombreux alors que d'autres, n'ayant pas cette chance, ne font généralement pas long feu quand bien même les résultats de leur gestion plaideraient en leur faveur. Exception faite de quelques miraculés qui ont duré à leurs postes du seul fait de leurs performances managériales force est de constater que l'obligation de résultat dans le secteur public relève du mythe, l'Algérie regorgeant beaucoup plus de gestionnaires écartés en raison de leur indocilité aux chefs que de leur incompétence. De nombreuses voix se sont élevées à juste titre contre ce mode de désignation hasardeux et clientéliste en déplorant notamment l'exclusion de cadres de valeur qui n'ont jamais eu droit au chapitre car non intégrés à des réseaux de clientèles mais, pire encore, le recyclage désastreux de gestionnaires périmés véritables prédateurs du secteur public. Alors que ces derniers se permettent de surfer d'une entreprise à l'autre, ceux qui disposent des bagages intellectuels requis n'arrivent par contre même pas à se faire admettre comme simple administrateur d'une EPE. Le cas de cet ingénieur aujourd'hui installé en France à la tête d'une société filiale d'un grand groupe pétrolier alors qu'il n'a jamais pu accéder à un poste de responsabilité dans son pays est à ce titre édifiant et de tels cas sont malheureusement nombreux. Les espoirs fondés sur la dernière réforme du secteur public qui devait déconnecter l'économique du politique en donnant davantage d'autonomie aux entreprises se sont malheureusement effondrés notamment avec le tournant volontairement dirigiste que lui a imprégné l'ordonnance relative à la gestion des entreprises publiques et à la privatisation promulguée en août 2001. Le clientélisme fait de nouveau rage, les nominations et les révocations des cadres dirigeants, notamment les PDG, se faisant bien souvent sur simples coups de fil adressés aux sociétés de gestion des participations (SGP) assurant l'interface entre le pouvoir politico-administratif et les entreprises d'Etat. Il est à ce titre bien regrettable de constater que le critère d'appartenance à un parti politique constitue bien souvent l'élément dominant dans le choix ou la révocation des chefs d'entreprises publiques et les cooptations ainsi pratiquées n'ont jamais rien apporté de positif au secteur public. Bien au contraire. Subjectivement désignés, les PDG cooptés réagiront de la même manière sur les cadres en place qu'ils évinceront dès leur installation pour les remplacer par leurs propres hommes. Le secteur public économique est de ce fait en perpétuel état d'instabilité.