Objectif fondamental de la réforme économique, l'autonomie de gestion des entreprises publiques économiques (EPE) n'est, à ce jour, pas effective. Pire encore, les quelques espaces de liberté que les PDG et conseils d'administration des EPE avaient conquis aux premières années de la réforme, leur ont été confisquées par l'administration centrale qui continue à exercer sur ces sociétés une sournoise tutelle. Ce retour de l'injonction administrative ne s'étant pas accompagné comme il aurait été logique par la suppression de la responsabilité civile et pénale à laquelle ils sont astreints, les cadres dirigeants des entreprises publiques ont ainsi perdu une bonne partie de leurs pouvoirs de décision tout en s'exposant aux risques pouvant découler des actes de gestion qu'on les a contraints de prendre. Au regard de la loi, les PDG et les administrateurs d'EPE demeurent en effet responsables de tous les actes de gestion de leurs entreprises, quand bien même les décisions à l'origine des faits incriminés seraient dictées par des instances externes à l'entreprise. Présente dans les textes de loi (code de commerce et code pénal) mais jamais effective dans les faits, l'autonomie des entreprises publiques est en réalité une coquille vide à l'intérieur d'un mode gestion virtuel. Les actionnaires des entreprises publiques (SGP, groupes), sont en effet des propriétaires virtuels qui ne possèdent rien en réalité, puisque leurs capitaux appartiennent à l'Etat qui peut les leur reprendre ou décider d'une autre affectation à tout moment. Les assemblées générales, à la faveur desquelles ils sont censés exercer leurs attributs de propriétaires ne sont en réalité que des tribunes destinées à donner une apparence légale aux injonctions politico-administratives destinées aux entreprises. Il en est de même pour les conseils d'administration (ou de surveillance) qui devaient de par la loi détenir au minimum 20% du capital de leur entreprise, mais qui en réalité ne possèdent rien et auquel il est malgré tout demandé de "jouer aux propriétaires". Leur pouvoir de contrôle est de ce fait quasi nul et leur droit de regard sur le choix des cadres dirigeants, impossible à exercer. Le clientélisme détermine le choix des cadres dirigeants d'EPE et la bonne ou mauvaise marche de l'entreprise dépendront de la qualité des hommes issus de ces hasardeuses cooptations. Et c'est d'ailleurs ce qui explique qu'à chaque changement de gouvernement les entreprises publiques soient frappées de paralysie, les responsables concernés craignant de probables retombées de ces changements sur le déroulement de leurs carrières. Ces changements ayant été fort nombreux (5 chefs d'Etat et 12 chefs de gouvernement en un peu plus de 18 ans) on peut imaginer ce qu'il a dû en coûter aux EPE en termes de perte de temps, de déperdition de cadres et de remise en cause de dynamiques de redressement engagées. La confusion sur les résultats est du reste savamment entretenue du fait que les cadres dirigeants sont bien souvent placés à la tête d'entreprises dont la situation de faillite (actif net négatif) remonte à plusieurs années durant lesquelles de nombreuses équipes dirigeantes se sont succédé au commandement de ces EPE, alors qu'il aurait fallu les confier à des liquidateurs comme le prévoit expressement le code de commerce. Dans ce mode de gestion virtuel, les commissaires aux comptes chargés de veiller à l'utilisation judicieuse des capitaux des EPE et de la prévention des abus de biens sociaux, auront un rôle tout aussi virtuel. De crainte de s'aliéner les responsables qui les ont désignés (présidents de SGP et de groupes) ou ceux qui ont coopté les chefs d'entreprises qu'ils sont chargés de contrôler, ils éviteront d'aller trop loin dans la logique du contrôle. Alors que la loi (code de commerce) leur fait obligation de saisir la justice en cas de malversation prouvée, très rares sont les commissaires aux comptes qui en sont arrivés à ce stade laissant généralement ce soin aux services de sécurité lorsqu'ils en prennent connaissance. Ce système virtuel de gestion et de contrôle des EPE ne prendra fin que lorsque les pouvoirs publics consentiront enfin à régler la question centrale de la propriété de ces entreprises. Pour que les administrateurs et gestionnaires de ces entreprises aient d'authentiques réflexes de propriétaires il est indispensable qu'ils le soient en réalité, en y détenant ne serait-ce qu'une partie du capital. Comme le préconise à juste titre un économiste très au fait des questions de management des entreprises publiques, "il faudrait arriver à interdire à toute personne qui n'y détient pas un minimum de capital d'occuper un poste de responsabilité dans une entreprise ayant statut de société par actions". En effet, telle qu'elle se présente encore aujourd'hui, l'EPE est une société par actions dont l'unique propriétaire est l'Etat. L'Etat étant à la fois tout le monde et personne, la notion de propriété paraît dans ce cas trop vague pour susciter les réflexes du résultat et de la préservation des biens sociaux qui caractérisent la propriété privée. Et c'est précisément de cette absence de propriétaires que découlent tous les dépassements (injonctions administratives, choix clientéliste de responsables, abus de biens sociaux, etc.) qui affectent les entreprises publiques en les empêchant de devenir d'authentiques firmes. Sans la résolution de cette question fondamentale de la propriété, l'autonomie des entreprises d'Etat restera une illusion et l'obligation de résultats, une vue de l'esprit de technocrates coupés des réalités.