Depuis l'indépendance, le principe de l'équilibre économique régional fut prôné avec une remarquable constance. A aucun moment le principe n'a été remis en cause comme élément fondateur de la doctrine économique nationale. Ce choix est profondément enraciné dans les valeurs de la société algérienne. Pour cela, peu de personnes s'aventureraient à le remettre en cause. Mais en économie, comme dans beaucoup d'autres sciences, il est beaucoup plus facile d'émettre des principes que de les matérialiser, car beaucoup de questions pratiques se poseraient alors sur la mobilisation des ressources, le processus de décision, l'agencement des tâches, et le reste. Nous n'allons pas aborder les théories du développement régional (Perroux, Schumpeter et d'autres ont fourni des visions qui demeurent des références en la matière). Notons que pour les économistes libéraux, les mécanismes de marché sont à même de mieux architecturer un équilibre régional que l'Etat. Les populations se déplaceraient alors volontairement là où les opportunités économiques sont les plus importantes. Les investissements privés massifs iront vers des régions à haut potentiel et permettront de mettre en valeur les ressources les plus productives. Les ressources humaines opèreront un mouvement vers ces régions. Si l'Etat intervenait, il orienterait les ressources vers des usages moins productifs pour fixer des populations dans des zones moins productives. Il y aurait un gaspillage de ressources. Les citoyens aussi perdraient. Ils seraient fixés dans des régions peu productives avec les tech-nologies du moment. Mais la vaste majorité des économistes recommanderait des actions volontaristes de l'Etat pour atténuer les différences de développement régional. Mécanismes de diffusion de l'équité régionale L'équilibre régional, comme il convenait de le nommer, fut la pierre angulaire de notre système de planification pour plus de vingt-cinq ans (1965 à 1990). Durant l'ère de la planification centralisée, l'essai de réalisation d'un équilibre régional reposait sur les épaules des planifica-teurs. Comme l'orientation des ressources était centralement décidée, l'Etat avait une grande marge de manœuvre pour réaliser les équilibres régionaux. Malgré cela, la réalité économique impose que des pôles de développement surgissent là où le potentiel existe. Les aciéries de la zone d'Annaba, le pôle d'Arzew… ne pouvaient que se développer plus vite que le reste du pays. P our les régions moins nanties, on ne pouvait qu'essayer de booster l'agriculture locale avec des résultats mitigés. Par contre, il y a un domaine où l'équilibre régional est plus facile à opérer : les investissements sociaux. La construction d'écoles, d'hôpitaux, d'administration, d'infrastructures, etc. La construction de ces équipements est plus facile à mieux répartir que les activités économiques. Le pays a fait de meilleurs efforts de répartition dans ces domaines, même si l'inévitable déséquilibre existe encore. Il y a deux points à considérer dans la politique d'équilibre régional. Le premier serait le coût de cet équilibre. Jusqu'où peut-on aller pour matérialiser cet équilibre et sommes-nous préparés à l'assumer ? On peut, par exemple, subventionner plus d'électricité pour les hauts-Plateaux et les petits hameaux du Sud. Mais peut-on le faire pour tous les produits : pommes de terre, conserves, billets d'avion, etc. Il y a des choix à faire. On ne peut consacrer des ressources illimitées pour matérialiser ce principe. Le second point concernerait la répartition de la population au sein des territoires. Ce sujet a été maintes fois débattu et un document perfectible mais important fut élaboré (le SNAT). La politique d'équilibre régionale devrait s'intégrer au sein d'un plan d'occupation et de valorisation des sols. Le gouvernement et les experts sont d'accord pour dire qu'on ne peut plus continuer à faire vivre 85% de la population sur 10% du territoire alors que des activités économiques rentables peuvent se développer au sein de ces zones non occupées. On peut évoquer l'agriculture dans les Hauts-Plateaux et le Sud, le tourisme, la petite et moyenne industrie, etc. Quelques conditions de réussite Aucun analyste ni aucun gouvernement ne peuvent prétendre gommer toutes les inégalités qui peuvent exister. Aucun pays n'a réussi à le faire, même durant les expériences des ex-pays de l'Est et de la Chine communiste. Il y a seulement des expériences qui ont réussi à lisser ces inégalités (Allemagne, pays scandinaves, etc.). Mais on note certaines caractéristiques d'un équilibre régional réussi. En premier lieu, une gestion plus décentralisée des activités écono-miques réussirait mieux. Nous sommes restés figés sur l'ère de l'économie planifiée et nous essayons de régler la plupart des problèmes par un Etat central submergé. Or, l'équilibre régional donne de bien meilleurs résultats avec un processus décentralisé. Bien sûr qu'une décentralisation poussée nécessite une bonne préparation. Surtout des qualifications humaines ! Ici, la fameuse formule de Confucius s'applique effectivement : «Si tu veux aider un homme un jour, donne-lui un poisson ; si tu veux l'aider pour toujours, apprend-lui à pêcher». Les qualifications humaines se trouvent donc au centre des réussites des politiques d'équilibres régionales. En ce sens, la diffusion d'universités et de centres universitaires à travers le territoire serait le début d'une solution efficace, à certaines conditions : hisser la qualité des formations aux standards internationaux. Pour le moment, une telle vision qualitative fait défaut. Subventionner pour établir des péréquations de prix (vols aériens, produits et services de première nécessité) se justifierait pour une période transitoire. Mais le vrai enracinement d'un développement régional et local consiste à former des ressources humaines de qualité, les fixer dans ces territoires et leur donner l'autorité et les ressources pour développer leurs régions. Un équilibre régional réussi ne peut exister sans réaliser un équilibre humain. Pour cela, il faut intégrer le cadre de vie dans l'équation de l'équité régionale. Le tourisme, la culture et la récréologie développés localement seront un facteur-clé de succès. Il est normal que ce soient les projets économiques qui vont structurer la vie sociale de ces zones. Actuellement, différents partenariats se nouent au niveau des hauts-Plateaux et du Sud avec des étrangers (Américains, hollandais, français, etc.). C'est un développement encourageant. Nous avons beaucoup d'espaces économiques productifs à récupérer. Il faut que le mouvement soit amplifié, démultiplié et que les pouvoirs publics donnent un signal fort, comme délocaliser la capitale politique et administrative. Ceci dit, il reste un nombre important de points à clarifier, comme l'insertion de l'équilibre régional dans la stratégie de développement national, les modalités de mise en œuvre, les indicateurs de contrôle, etc. On peut gérer tout cela en mode projet avec toutes les complexités qui en découlent. Mais cela en vaut la peine. La question d'équité est autant une question économique qu'éthique.