Toute population qui occupe un espace procède spontanément à son organisation, en fonction de paramètres naturels (relief, climat), culturels (traditions, cultes), militaires (défense) et économiques (production, échanges). L'aménagement du territoire consiste à modifier et optimiser cette répartition des individus et de leurs activités dans un souci d'équilibre géographique et d'efficacité économique. Le rôle de l'Etat y est prépondérant. Les opérations de décentralisation et déconcentration sont des opérations de transfert des pouvoirs de l'Etat vers des autorités locales. La déconcentration correspond à un transfert de décision de l'administration centrale vers ses relais locaux ou régionaux alors que la décentralisation correspond à un transfert d'attributions de l'Etat à des collectivités territoriales, juridiquement distinctes de lui. Dans une économie industrialisée, ou qui aspire à le devenir comme la nôtre, la concentration géographique des activités est un processus courant : l'industrie appelle en effet l'industrie. Afin de réduire les coûts de transport, les entreprises s'implantent souvent près des zones de matières premières, sur les grands axes de communications ou près des grands centres urbains. Sur un plan social, cette concentration des activités crée une inégalité géographique devant l'accès à l'emploi, entraînant des migrations qui dépeuplent certaines régions et conduisent d'autres au surpeuplement. Sur un plan politique, elle remet en question la cohésion nationale. Pour éviter de tels risques, il est nécessaire de mettre en place les conditions du développement économique, démarche impliquant un rééquilibrage géographique des activités et le désenclavement des régions les plus isolées et les moins favorisées. Cette politique d'aménagement repose dans les pays industrialisés sur deux grands axes : incitations financières (avantages fiscaux, subventions) et financement d'infrastructures (réseau de transport, services publics, etc.). LA DECONCENTRATION La déconcentration débouche sur une redistribution du pouvoir de décision au sein d'une même institution. Le pouvoir détenu par les autorités administratives les plus élevées dans la hiérarchie interne d'une institution (les ministres) est transféré en partie à des autorités qui leur sont subordonnées (par exemple, les walis). Les attributions de l'autorité qui déconcentre ne sont pas réduites puisque globalement la masse des affaires relevant d'elle reste la même. De nos jours, elle reste très pratiquée, suivant le principe selon lequel la déconcentration doit constituer le droit commun des interventions de l'Etat. Les administrations centrales n'ont vocation à intervenir que dans la mesure où l'exécution de la loi ne peut être déléguée à un échelon territorial quelconque. LES DEUX FORMES DE LA DECENTRALISATION La décentralisation peut revêtir deux formes principales. La première intéresse les collectivités locales et est qualifiée de décentralisation territoriale. Dans ce cas, les habitants de la commune, du département ou de la région règlent leurs affaires administratives par l'intermédiaire de leurs représentants élus (l'assemblée populaire communale et son maire, les APW avec leurs présidents). Toutefois, pour éviter toute dérogation au principe de l'indivisibilité de l'autorité de la République, les collectivités locales sont placées sous la surveillance d'un délégué du gouvernement (le wali) qui est chargé de vérifier a posteriori la légalité de leurs décisions. En cas de besoin, il a pour mission de saisir le juge compétent qui statue sur la légalité des actes contestés. Le développement de la démocratie locale implique la promotion de cette forme de décentralisation. La seconde forme de décentralisation consiste dans la décentralisation technique ou encore fonctionnelle, voire par services. Elle correspond à la formule de l'établissement public (université, hôpital). Généralement rattachées à une collectivité publique dont elles constituent un prolongement, ces personnes morales de droit public, distinctes de l'Etat et des collectivités territoriales, sont soumises au principe de spécialité. Elles ont une vocation spéciale, limitée à la gestion du service qui leur a été confié (pour l'université, il s'agit de l'enseignement supérieur et de la recherche). Bénéficiant d'une autonomie administrative, ces établissements publics disposent d'organes propres (conseil d'administration, directeur), sont dotés d'un budget autonome, peuvent introduire des recours en justice, ou encore recevoir des dons et des legs en relation avec leur spécificité. Ils sont toutefois soumis à un contrôle dit " de tutelle ", exercé par la collectivité de rattachement. S'exerçant sous le contrôle du juge, la tutelle peut ne porter que sur la légalité du comportement de l'autorité décentralisée ou bien encore sur l'opportunité des mesures prises. LE CAS ALGERIEN Au lendemain de la restauration, l'Etat prit l'initiative dans le domaine du développement local en menant une politique volontariste de planification et d'aménagement du territoire. La déconcentration fut privilégiée malgré les revendications des collectivités en faveur de la décentralisation. Ces revendications débouchèrent sur le vote des premiers codes de wilaya et de commune de 1969 qui procédaient à des transferts de compétences à leurs profits (en cours de réforme actuellement). La wilaya s'est vu principalement investie de la planification, de l'aménagement du territoire, des lycées, de la formation professionnelle, de l'action sanitaire et sociale, des transports , des archives, de la voirie départementale ; la commune, des équipements de proximité, des écoles primaires, de l'urbanisme, de la voirie communale. Même si la déconcentration a longtemps été considérée comme un obstacle à la décentralisation, il apparaît aujourd'hui que loin d'être contradictoires, ces deux formes d'administration se complètent au lieu de s'opposer. Aujourd'hui, la tendance dans le monde semble être de développer simultanément déconcentration et décentralisation dans un cadre plus vaste de territoire ramené à la région. ENTRE PLANIFICATION AUTORITAIRE ET POLITIQUE INCITATIVE DE CERTAINES EXPERIENCES ETRANGERES La première tentative a été lancée aux Etats-Unis en 1933 lorsque Roosevelt, dans le cadre de sa politique de New Deal, a créé la Tennessee Valley Authority, organisme chargé de financer l'aménagement industriel des Etats du Sud-Est. En Europe, les politiques d'aménagement menées par les régimes totalitaires deviennent les instruments de leur autorité. En Italie, Mussolini lance dès 1928 de grands travaux pour équiper le Mezzogiorno (1) . En Union soviétique, à la même époque, la planification autoritaire du gouvernement soviétique impose leur localisation à certaines activités. Parmi les démocraties libérales, la Grande-Bretagne est la première à définir une politique incitative d'aménagement régional ; en 1934, en effet, le gouvernement MacDonald décide d'aider les bassins miniers du pays frappés par la crise en y facilitant l'implantation de nouvelles activités et la construction d'infrastructures. La même année est par ailleurs voté au Parlement le Town and Country Planning, projet visant à contrôler et planifier l'urbanisation croissante et la désertification des campagnes. Continuée et amplifiée après la guerre, cette politique est devenue un modèle pour toute l'Europe continentale. LE CAS FRANÇAIS PEUT INSPIRER LE CAS ALGERIEN En France, les politiques d'aménagement du territoire se sont développées après la Seconde Guerre mondiale. Les analyses des démographes et des géographes ont alors mis en évidence la suprématie démographique, économique et culturelle de Paris - en 1947 paraît notamment le livre de Jean-François Gravier, Paris et le désert français - et ont dénoncé l'incapacité des politiques libérales traditionnelles à assurer un développement et une répartition équilibrée des activités humaines sur le territoire national. On distingue traditionnellement deux grandes périodes dans la politique française d'aménagement du territoire : la période dite " jacobine " dans le cadre de laquelle l'Etat joue un rôle prépondérant, et à partir de 1982, la décentralisation. Pendant la première période, la politique d'aménagement du territoire est l'apanage de l'Etat, définie au niveau gouvernemental et appliquée par une organisation administrative pyramidale. Sont ainsi créées une Direction ministérielle de l'aménagement du territoire (1950) et la Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale (1963). Bras séculier de l'Etat, la DATAR va mettre en œuvre une politique d'incitation et d'aide aux entreprises s'implantant dans des zones déterminées, visant ainsi à rétablir les équilibres entre Paris et la province. Elle va également intervenir dans la construction et l'aménagement de projets favorisant le développement de l'industrie lourde dans les régions en retard, afin de provoquer une industrialisation en chaîne. L'échec de cette utopie et la désindustrialisation consécutive au choc pétrolier ont contribué à remettre en question cette politique et le caractère centralisé de l'action de la DATAR. Pendant la seconde période, les lois de décentralisation de 1982 et 1983 et l'accession des Régions au statut de collectivités territoriales marquent un rééquilibrage des compétences en matière d'aménagement du territoire. Par la mise en place de plans Etats - Régions, l'Etat conserve néanmoins un rôle de soutien aux initiatives locales et de coordination générale, afin de garantir la cohérence des choix effectués avec les orientations définies dans le cadre de la planification nationale. La décentralisation s'est, en outre, traduite par la délocalisation vers la province d'un certain nombre d'administrations et d'organismes étatiques ou paraétatiques (transfert du siège de l'Aérospatiale et de Météo France à Toulouse, de l'Ecole nationale d'administration à Strasbourg). Le bilan est toutefois mitigé, l'imbrication des compétences des collectivités locales et nationales et l'instabilité des ressources budgétaires ayant compromis la réalisation d'un certain nombre de plans Etat - Régions. En mars 1995, une recentralisation est opérée par la loi Pasqua, dans le but de privilégier une " organisation du territoire fondée sur la notion de bassins de vie organisés en pays et réseaux de villes ". Depuis 1945, en France, la notion d'aménagement du territoire a donc évolué. La référence au territoire national semble de moins en moins pertinente. Certaines zones transfrontalières sont unies par des liens économiques déterminant leur développement, tandis que les activités économiques s'intègrent désormais dans des espaces supranationaux. À l'inverse, les méthodes traditionnelles d'aménagement de l'espace urbain semblent de plus en plus inadéquates et sont actuellement au centre des débats sur l'aménagement du territoire. L'auteur est : Universitaire (1) Mezzogiorno, région du sud de l'Italie, délimitée au nord par Rome et comprenant la Sicile et la Sardaigne. Comptant environ 20 millions d'habitants, le Mezzogiorno se trouve au centre de la " question méridionale ", notion politico-historique désignant l'inégalité économique, sociale et culturelle avec le nord du pays.