Qualifiée d'« arnaque», par des experts en économie et les professionnels du secteur du commerce, l'opération de soldes de la saison hivernale n'a pas été du goût de la plupart des Algériens, exceptés ceux qui «ne comptent pas leur argent» et qui sont prêts à acheter les produits quel que soit leur prix. Certains commerçants ont carrément opté pour des procédés malsains afin de faire écouler leur marchandise : augmenter le prix réel du produit et faire croire aux clients qu'ils ont appliqué des réductions de 50%. D'autres ont fait passer les produits de deuxième ou de troisième choix pour des produits de premier choix. Restent les produits des marques mondialement connues. Ces derniers ont connu une grande affluence de la part d'une certaine classe de la société. A l'entrée des magasins, notamment ceux de l'habillement et de la chaussure, des affiches annoncent des soldes à 50%. «Grands soldes», affiche un magasin de la chaussure produite en Europe à la rue Hassiba Ben Bouali. Une fois à l'intérieur, le client est déçu. «Les prix des soldes sont les mêmes que ceux d'avant. Le commerçant a fait augmenter les prix en moyenne de 2000 DA pour chaque article pour faire croire qu'il applique des réductions», regrette une dame, qui s'apprête à sortir. Idem pour les autres clients attirés au départ par une affiche géante accrochée à l'entrée du magasin. Après avoir fait le tour de cette boutique, les clients sortent les mains vides. Ce n'est pas le grand rush des magasins européens en période de soldes. «C'est de la fraude qui vise à induire le consommateur en erreur. Cette culture commerciale (soldes ndlr) n'est pas encore instaurée dans notre société», dénonce Mustapha Zebdi, président de l'Apoce (Association de la protection et de l'orientation des consommateurs). Ce dernier est persuadé que le terme «soldes» est tellement attirant que certains commerçants l'utilisent sans vouloir réellement solder leurs produits. «Personne n'est obligé de solder», note M. Zebdi, qui appelle les consommateurs à visiter plusieurs boutiques pour se rendre compte du prix réel d'un produit avant de l'acheter. Notre interlocuteur fait remarquer tout de même que les vrais soldes sont pratiqués par les grandes marques dans la mesure où les commerçants concernés sont obligés de respecter le cahier des charges de la maison mère. Ainsi, une grande affluence sur ces produits a été constatée au niveau des centres commerciaux abritant ces marques mondiales. Ces dernières ont enregistré un afflux, notamment durant les premiers jours, bien que les produits soldés étaient cédés à des prix élevés. «Certains commerçants se comportent comme des contrebandiers» «Les soldes tels qu'ils sont pratiqués en Algérie sont destinés à une certaine clientèle qui ne compte pas sont argent. Ce sont des gens qui gagnent beaucoup d'argent mais qui ne voyagent pas. Le gros de la société vit de la spéculation», affirme Ferhat Aït Ali, expert en économie, qui qualifie l'opération des soldes de «gigantesque arnaque». Cet expert atteste que des produits ont été soldés au double de leur prix, alors qu'«on ne peut pas augmenter au-delà de 30% la marge bénéficiaire par rapport aux prix d'importation», assure-t-il. De l'avis de cet économiste, les prix des marchandises importées, notamment les grandes marques, sont doublés par rapport aux prix appliqués dans le pays d'origine. Ainsi, «les changements de collection et les produits déstockés en Europe sont vendus à des prix doubles en Algérie au moment où dans leur pays d'origine des réductions sont appliquées jusqu'à 70%», note M. Aït Ali, qui cite à titre d'exemple le prix de la chemise de marque connu mondialement. Cette chemise «se vend à 80 euros en Europe, tandis qu'en Algérie la même se vend à 22 000 DA», dénonce-t-il. Il décortique la logique commerciale qui règne sur le marché algérien : «Les commerçants qui font le change au niveau des banques étatiques cèdent leurs produits au prix du square Port-Saïd. Ils se comportent comme des contrebandiers.» Et d'enchaîner : «Aucun produit n'est vendu à son prix réel.» Cet économiste estime que le gouvernement ne peut pas contrôler ce «vol qualifié», dans la mesure où «si l'Etat doit contrôler, il n'exerce son contrôle que sur les produits subventionnés ou ceux de large consommation. Il ne peut pas protéger le pouvoir d'achat de celui qui achète un article à l'équivalent du SMIG», estime M. Aït Ali. En conclusion, ce dernier est persuadé que l'opération de soldes, qui sert à booster la consommation voire la production d'une manière générale, est tuée par l'informel. «Des producteurs des années 1990 sont devenus des spéculateurs» Au sujet de la production nationale, l'économiste assure que «les usines sont massacrées par l'importation, leurs marges bénéficiaires sont très limitées entre 20 et 30%. Ces marges couvrent à peine les charges». «Les producteurs nationaux ne peuvent pas réduire au-delà des prix appliqués durant toute l'année. C'est pour cette raison qu'ils ne s'impliquent pas dans les opérations de soldes», explique M. Aït Ali qui révèle que les producteurs des années 1990 sont devenus des spéculateurs. Et ajouter : «L'informel engendre la spéculation et cette dernière casse la dynamique de la production. Il ne reste plus rien à réguler.» Le président de l'Association nationale des commerçants et artisans (ANCA), Hadj Tahar Boulenouar, abonde dans le même sens, affirmant que l'informel casse l'opération des soldes. «Il n'y a que 2 ou 3% des commerces qui sont concernés par les soldes», estime ce représentant des commerçants, qui ajoute : «Sur ce pourcentage, il y a des commerçants qui font de vrais soldes, comme il y a ceux qui ne font qu'arnaquer les clients.» En ce qui concerne ces opérations d'«arnaque», certains commerçants soldent des produits de «deuxième ou de troisième choix au prix du premier choix, d'autres annoncent des soldes mais à l'intérieur du magasin les anciens prix sont maintenus», révèle le président de l'ANCA. Et cela a contrario de l'objectif économique des soldes qui est de permettre aux commerçants de renouveler leurs stocks et aux entreprises de booster la production. M. Boulenouar rappelle les normes régissant les soldes dans d'autres pays, estimant que ce sont les opérateurs économiques qui doivent préparer ces soldes 2 à 3 mois à l'avance, en appliquant des réductions sur certaines gammes de produits pour permettre aux commerçants à leur tour de baisser les prix. Mais en Algérie «les soldes sont en train d'encourager l'importation. 90% des produits soldés proviennent de l'importation», dénonce-t-il, pointant du doigt le «faible rôle des opérateurs économiques nationaux» dans la mesure où les soldes dans d'autres pays touchent pratiquement à tous les produits. Tandis qu'en Algérie, ils se limitent au secteur de l'habillement et de la chaussure.