Il n'y a nul besoin de s'adonner à une exégèse sociologique, de recourir à des analyses fines et pointues du vécu quotidien pour constater une perte progressive des valeurs culturelles, familiales qui fondent les rapports sociaux. Dans une cité qui a trop longtemps pâti ou capitulé devant les caprices, les tergiversations, les louvoiements de ceux-là mêmes qui président à sa destinée œuvrent à sa dépersonnalisation. Et le mot n'est pas exagéré. En effet, comment, par exemple, expliquer cette soudaine et mystérieuse nostalgie qui semble hanter l'esprit, l'âme de beaucoup d'Algérois. Le mythe d'un passé glorieux, faste, prospère est cultivé avec conviction, foi et sincérité. Le sentiment est d'autant plus étrange quand on connaît la réalité sociale de la ville durant les périodes d'assujettissement colonial. Tout compte fait, le mythe tient lieu d'exutoire, de refuge et de refus d'un présent que l'on a du mal à accepter, à tolérer. Par ailleurs, la prolifération des antennes paraboliques impose crescendo des valeurs glanées ailleurs. Des modes, des comportements et des attitudes qui rappellent Paris, Londres, Le Caire. Un état d'esprit vacillant entre l'Orient et l'Occident selon les humeurs, les goûts, les destins personnels. Il suffit d'observer les accoutrements pour s'en convaincre. C'est la rançon à payer lorsqu'on s'ingénie à jouer aux apprentis-sorciers, aux démiurges. Il n'y a pas de démesure ni hérésie à rappeler qu'Alger a trop négligé ses valeurs intrinsèques, ses virtualités et son potentiel culturel pour succomber au chant des sirènes, aux charmes évanescents d'un ailleurs idyllique ou d'un autrefois hyperenjolivé. L'enjeu est d'en sortir.