Selon l'universitaire Le Cour Grandmaion, Emmanuel Macron doit prendre l'engagement, s'il est élu président de la République en mai, d'inscrire le colonialisme comme un crime, comme il l'a fait en tant que candidat à Alger. Que peut-on dire après les termes forts d'Emmanuel Macron à Alger sur la colonisation «crime contre l'humanité» ? Pour toutes celles et tous ceux qui travaillent sur l'empire français, la découverte n'est pas bouleversante. De tels propos ont cependant le mérite de rappeler que la conquête de l'empire colonial sous la IIIe République, puis sa défense impitoyable sous la IVe et au début de la Ve République se sont effectivement soldées par de nombreux crimes de guerre et crimes contre l'humanité. Massacres et déportations massives des civils, torture généralisée, exécutions sommaires et disparitions forcées. N'oublions pas le recours au travail forcé imposé aux hommes, aux femmes et aux mineurs qui a fait des dizaines de milliers de victimes en Afrique occidentale française, en Afrique équatoriale française et en Indochine, notamment. Quant à la Libération, en 1945, si elle a été fêtée dans la joie et l'allégresse en métropole et par les colons en Algérie et ailleurs, chacun sait, ou devrait savoir, que cette date coïncide à Sétif, Guelma et Kherrata avec de terribles massacres qui se sont prolongés pendant plusieurs mois. Bilan : entre 35 000 et 40 000 victimes «indigènes», comme on disait à l'époque. Crimes de guerre ? Assurément. Crimes contre l'humanité ? Egalement car il s'agit d'un crime d'Etat qui a impliqué l'ensemble des forces armées françaises : armée de terre, armée de l'air et marine, et qui a donc été exécuté en vertu d'un plan concerté. Quant aux «indigènes», ils ont bien été massacrés pour des raisons tout à la fois politiques et ethnico-raciales. Aux démagogues français qui vantent, scandaleusement, la colonisation, rappelons que les conflits coloniaux, entre le 8 mai 1945 et le 19 mars 1962, ont fait plus de morts – environ 1 million – que le nombre total de victimes françaises au cours de la Seconde Guerre mondiale. Emmanuel Macron n'a-t-il pas avancé tout de même que «la France a importé les droits de l'homme en Algérie, mais qu'elle a simplement oublié de les lire» ? Emmanuel Macron fait preuve d'une ignorance stupéfiante lorsqu'il déclare cela. Une preuve que la formation des élites françaises, relativement à la période coloniale, est fort lacunaire. L'Ecole nationale d'administration (ENA) devrait au plus vite faire appel à des spécialistes pour éviter la réitération de telles erreurs. Rappelons que jusqu'en 1945, nonobstant certaines exceptions, la condition des «indigènes», en Algérie et ailleurs, n'est pas celle de «citoyens français» mais de «sujets français» privés des droits et libertés élémentaires : pas de droit de vote, pas de liberté de réunion, ni d'association et pas de liberté de la presse. A cela s'ajoutent des dispositions d'exception : responsabilité collective et internement administratif — et enfin le sinistrement célèbre Code de l'indigénat, aussi appelé «Code matraque» par les «indigènes». La levée de boucliers en France contre Macron révèle-t-elle un état réel de l'opinion à ce sujet ? Marine Le Pen et François Fillon se sont jetés sur les déclarations d'Emmanuel Macron comme la vérole sur le bas clergé. Quelle aubaine ! Cela permet à l'une et à l'autre de faire oublier, momentanément en tout cas, leurs turpitudes personnelles et familiales, et l'usage pour le moins singulier qu'ils font de l'argent public. Sur le fond, tous deux poursuivent leur entreprise de réhabilitation du passé colonial français à des fins sordidement électoralistes. Et pour François Fillon plus encore en raison des affaires que l'on sait. Est-il nécessaire d'évoluer sur une définition plus juste de ce qu'a été la colonisation, ou faut-il, comme certains le disent, tourner la page sans analyser l'histoire ? Tourner les pages de l'histoire ? Encore faudrait-il que cette histoire coloniale et les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité commis à l'époque soient reconnus par les plus hautes autorités de l'Etat, sans quoi, c'est ajouter à ces crimes l'outrage aux victimes, à leurs descendants et aux héritiers de l'immigration coloniale et post-coloniale qui vivent en France. Désormais, la seule façon de leur rendre justice, c'est de reconnaître ce qui a été perpétré par l'Etat français. Si Macron croit à ce qu'il dit, il doit prendre l'engagement, en cas de victoire à l'élection présidentielle, de faire une telle déclaration et, en attendant, inscrire cela dans son programme ou dans ce qui en tient lieu. Vous aviez lancé une pétition internationale sur ce thème il y a peu ; pourquoi et quel accueil a-t-elle reçu ? Lancé par Patrick Farbiaz, de Sortir du colonialisme, M'hamed Kaki, président de l'Association Les Oranges, Louis-Georges Tin, président du Cran et moi-même, cet Appel demande, entre autres, la reconnaissance des crimes coloniaux commis par la France. C'est désormais un Appel national et international, signé par de nombreuses personnalités politiques, associatives, universitaires et artistiques françaises, algériennes, maliennes, sénégalaises, congolaises et rwandaises, notamment. Dans les mois qui viennent, nous comptons nous adresser aux candidats à l'élection présidentielle puis aux candidats aux élections législatives. D'ores et déjà, je m'adresse à Emmanuel Macron pour qu'il signe cet Appel avec lequel il devrait être pleinement d'accord. *O. Le Cour Grandmaison, universitaire. Dernier ouvrage paru, L'Empire des hygiénistes. Vivre aux colonies (Fayard, 2014, Editions Apic Alger, 2015).