L a 23e édition du Maghreb des livres, organisée les 18 et 19 février à l'Hôtel de Ville de Paris, a mis en lumière une nouvelle tendance qui rencontre un grand succès dans le monde littéraire, en l'occurrence la bande dessinée historique. Raconter des séquences et des faits historiques en bulles devient ainsi un genre à part entière, à en croire les intervenants au Café littéraire «Algérie en bulles». La bande dessinée permet l'exploration de l'histoire d'une manière différente. Elle renouvelle la force d'attractivité de la matière historique. «15 000 exemplaires vendus en quelques semaines», avoue Benjamin Stora, co-auteur, avec Sébastien Vassant, d'Histoire dessinée de la guerre d'Algérie. Pour l'historien français, «narrer l'histoire à travers l'image a une dimension pédagogique importante, alors que nous sommes dans une époque où les jeunes ont plutôt une culture visuelle». D'ailleurs, les dessins de l'ouvrage reproduisent des images tirées de documentaires télévisuels. L'autre vertu essentielle de la BD dans ce cadre, est qu'elle met les auteurs dans des postures de recul qui les aident à produire une lecture dépassionnée de l'histoire, particulièrement celle qui concerne le passé colonial de la France en Algérie. «C'est un genre qui permet de traiter des sujets sensibles à la fois avec précaution et fidélité aux faits historiques, sans forcément être partisan d'un camp ou de l'autre», explique le bédéiste Jacques Ferrandez, auteur de nombreux albums qui traitent des relations historiques franco-algériennes : Des hommes dans la guerre d'Algérie, Alger la noire, L'Etranger (adaptation du livre d'Albert Camus), etc. Tout en reconnaissant que les bédéistes rencontrent quelques difficultés à se frotter à des sujets historiques par manque de légitimité, le scénariste de la bande dessinée Kris, alias Christophe Goret, soutient que la BD représente un support moins clivant pour l'écriture de l'histoire. Co-créateur d'Un maillot pour l'Algérie, il précise que cet album a pris le soin de «raconter un épisode de la guerre d'Algérie, où personne n'est tué, où nous ne sommes pas obligés de désigner les bons et les méchants. C'est le cas de ces footballeurs de l'équipe du FLN, qui n'ont fait que suivre leur destin. Il y a même certains d'entre eux qui sont devenus des stars en France après l'indépendance de l'Algérie». Kris explique, en outre, que sa démarche n'a pas été motivée par une volonté exclusive de participer à l'écriture de l'histoire de la guerre d'Algérie, mais plutôt par «une sorte de devoir de rendre à cette équipe le bonheur qu'elle ma procuré durant mon enfance… J'ai grandi dans un quartier populaire de Brest avec beaucoup d'amis algériens. Le tout premier match de toute ma vie que j'ai vu à la télévision, c'est Algérie-Allemagne en 1982. J'avais dix ans, et depuis, l'équipe d'Algérie était restée quelque chose de particulier pour moi». L'artiste breton précise, néanmoins, que la BD historisante doit avoir un certain «intérêt actuel». Quant à Racim Benyahia, jeune bédéiste constantinois, il considère le dessin comme un «moyen d'expression au même titre que la parole et l'écriture». Fan de la BD depuis son tendre âge, il y découvre très vite des «potentialités pédagogiques et ludiques». C'est comme ça que lui venue l'idée de fabriquer sa propre bande dessinée. Le sujet ? Pas si difficile à trouver : «Grâce au livre Ahmed Bey l'Algérien, du réalisateur Nasredine Guenifi, j'ai découvert l'histoire de ce résistant. Je me suis dit qu'on ne parle pas assez de lui, comparé à l'Emir Abdelkader. Pourtant, il a résisté pendant 18 longues années sans fléchir. J'ai décidé donc de réhabiliter sa mémoire et de lui rendre hommage en narrant la Bataille de Constantine de 1836.» Avant de se mettre au crayon, comme chaque bédéiste qui se respecte, Racim a travaillé beaucoup sur cet épisode historique auquel il a «rajouté une touche romancée, mêlant personnages historiques et fictifs, sans trop m'éloigner des faits historiquement établis». Constantine 1836 est un album tout public grâce au choix judicieux de son auteur d'utiliser l'arabe dialectal. Ce qui fait que les dialogues et les dessins placent le lecteur dans le décor constantinois de l'époque.