Le 21 février, la Journée de la langue maternelle a été célébrée dans le monde entier et l'Algérie n'a pas été en reste avec l'organisation d'une journée d'étude dans la capitale. En effet, la Bibliothèque nationale d'El Hamma a abrité une rencontre coorganisée par le Haut- Commissariat à l'amazighité et le Conseil supérieur de la langue arabe. Un partenariat inédit et riche en symboliques. Proclamé par la conférence générale de l'Unesco, Journée internationale de la langue maternelle en novembre 1999, le 21 février est mondialement célébré chaque année depuis 2000. Différentes activités sont programmées afin de promouvoir la diversité linguistique et culturelle ainsi que le multilinguisme. La date du 21 février a été choisie en hommage aux étudiants tués par la police à Dacca (aujourd'hui capitale du Bangladesh) alors qu'ils manifestaient pour que leur langue maternelle, le bengali, soit déclarée deuxième langue nationale du Pakistan auquel le Bangladesh était rattaché jusqu'en 1971. Une thématique qui parle aux Algériens avec le long et douloureux combat pour la reconnaissance du tamazight, aujourd'hui langue nationale et officielle aux côtés de l'arabe. Ce statut augure d'un nouveau rapport, plus apaisé, entre des langues longtemps marquées par la rivalité, voire l'animosité et l'instrumentalisation politique. C'est ce qu'assure en tout cas Si El Hachemi Assad, secrétaire général du Haut- Commissariat à l'amazighité. Rappelant le message de la directrice de l'Unesco à l'occasion de cette célébration des langues maternelles (voir encadré), M. Assad a appelé à une réconciliation des langues en Algérie. «Le HCA célèbre la Journée mondiale de la langue maternelle depuis 2013 mais cette année on a décidé d'associer le Conseil supérieur de la langue arabe, nous explique-t-il. C'est une collaboration qui s'inscrit dans le sillage de la traduction des dispositions de la Constitution. Tamazight est langue nationale et officielle, il faut le traduire avec les institutions de l'Etat. C'est dans ce sens que nous établissons des passerelles avec le Conseil supérieur de la langue arabe. Le choix du 21 février, Journée mondiale de la langue maternelle, est une façon de mettre en avant la symbolique de la cohabitation des langues. La variété linguistique est une réalité que vivent les Algériens au quotidien dans toutes les régions du pays.». Salah Belaïd, président du Conseil supérieur de la langue arabe, a lui-même ouvert son allocution par quelques mots en tamazight. Il s'est réjouit du multilinguisme pratiqué en Algérie «depuis nos ancêtres qui ont adopté l'islam et la langue arabe». Il a assuré par ailleurs que la promotion de la langue maternelle assure l'équilibre des individus et la cohésion de la nation, ajoutant que les langues ne sont pas un problème mais au contraire un riche sujet d'étude. Rappelons que le Conseil supérieur de la langue arabe a pour mission d'œuvrer à l'épanouissement de la langue arabe et à la généralisation de son utilisation dans tous les domaines, notamment scientifique et technologique, ainsi qu'à l'encouragement de la traduction vers l'arabe. Son partenariat avec le HCA devrait également se concrétiser par des traductions d'œuvres littéraires de l'arabe vers tamazight et inversement. Le HCA a d'ores et déjà organisé des ateliers de traduction à Taghit et Illizi afin de poser les balises de ce type de projets. «Dans le cadre de nos rapports avec le Conseil supérieur de la langue arabe, nous nous intéressons également au lexique en usage dans les administrations, nous apprend M. Assad. Le HCA est appelé à proposer un lexique pour l'amazighization de l'environnement auprès des administrations. Cela se fait avec une équipe de spécialistes et d'universitaires.» Durant cette journée d'étude et de célébration, il a souvent été question de la triade «Islam-arabe-amazighité» établie par la Constitution comme socle de l'identité algérienne. Le Haut-Conseil islamique était d'ailleurs représenté par son président, Bouabdallah Ghoulamallah. Celui-ci a rappelé dans son allocution que la langue maternelle est non seulement un moyen de communication horizontale entre contemporains mais aussi verticale avec les générations précédentes qui sont la mémoire collective de la nation. Il a affirmé que l'arabe est la langue de cet inconscient collectif algérien, ajoutant que «ce qui réunit le monde arabe n'est pas un lien ethnique mais le lien de la langue du Coran». Cinquième langue la plus parlée dans le monde, «la langue arabe a peu changé en 14 siècles et nous permet d'accéder facilement à une riche littérature», a-t-il ajouté. Il a également évoqué le cas de la communauté algérienne établie au Moyen-Orient depuis le XIXe siècle, dont les descendants continuent de pratiquer la langue amazighe tout en étant parfaitement intégrés dans leur société d'adoption. La communication de Ahmed Dkhinissa (université d'Alger 3) a consisté, quant à elle, en une analyse des articles de la Constitution qui consacrent ce qu'on pourrait appeler un bilinguisme national. L'officialisation de tamazight comme langue nationale relève, a-t-il rappelé, de la reconnaissance d'un état de fait et d'une réalité linguistique et culturelle de la société algérienne. Le conférencier a analysé ce statut de langue nationale et officielle en comparaison à d'autres cas dans le monde où la diversité linguistique est souvent abordée sous l'angle de la protection des minorités et des parlers régionaux. Le cas par exemple du basque en Espagne ou des langues régionales en France. M. Dkhinissa a d'ailleurs rappelé à ce propos que le statut du français comme langue nationale de la France n'a été officialisé dans les textes qu'en 1992. On peut également évoquer le cas de la Suisse avec ses quatre langues officielles (allemand, français, italien et romanche) réparties sur les quatre régions de la confédération ou encore le Mali qui compte une langue officielle, le français, et pas moins de treize langues nationales. M. Dkhinissa estime que la reconnaissance de tamazight comme langue nationale est une manière d'éviter de la cantonner dans une approche régionale ou ethnique. Cela dit, cette constitutionnalisation du bilinguisme reste à concrétiser par des textes d'application et des actions sur le terrain. Si la notion de langue maternelle paraît évidente a priori, elle s'avère plus complexe dès qu'on tente de la définir. Une bonne partie des interventions a justement consisté à approcher cette notion dans son acception générale et plus particulièrement dans le contexte algérien. Mme Zohra Hadj Aïssa (enseignante à l'université d'Alger 2 et interprète) a proposé une série de définitions : «La langue maternelle est par définition la langue de la mère ; c'est aussi la première langue que nous apprenons, dans laquelle nous baignons ; c'est aussi celle qu'on acquiert de manière naturelle au sein de la famille ; c'est celle que nous connaissons le mieux et qui est propre au pays où nous sommes nés ; c'est la langue qui va nous servir de repère concernant notre appartenance à un pays, une culture ou un groupe… Plus tard, la langue maternelle doit être présente dans l'éducation, car c'est elle qui constitue la base de notre pensée et de notre raisonnement et nous facilite l'apprentissage d'autres langues. La langue maternelle nous renvoie aussi à notre culture et à notre identité nationale ou régionale. Hélas, elle peut aussi être aussi convertie en instrument de pouvoir dans le cas des langues dominées et dominantes.» Pour sa part, Mme Hafidha Tazerouti (université d'Alger 2) a tenté de situer le statut réel de la langue arabe en Algérie, entre langue maternelle et langue nationale. Elle a affirmé que la langue maternelle n'est pas seulement la langue que l'on apprend de sa mère (en Algérie il s'agit généralement de tamazight ou de l'arabe dialectal) mais aussi la langue qui détermine son appartenance culturelle et nationale. La conférencière a rappelé que le dialectal algérien est en dernière analyse une variante de la langue arabe classique. Cette dernière, si elle n'est pas tout à fait la langue maternelle, serait ainsi la «langue mère» en Algérie. Enfin, Lameri Benguesmia (Ecole normale supérieure de Bouzaréah) a esquissé un panorama des parlers amazighs en Algérie. Il a expliqué que la langue amazighe, reconnue comme nationale, doit naturellement puiser dans ces différents parlers qui se distinguent par une grande diversité afin de constituer un vocabulaire commun. En effet, cette normalisation de la langue devrait être la mission de la future Académie algérienne de la langue amazighe, chargée selon la Constitution «de réunir les conditions de la promotion du tamazight en vue de concrétiser, à terme, son statut de langue officielle». L'on comprend ainsi que cette reconnaissance de tamazight comme langue officielle n'est pas une finalité mais marque au contraire le début d'un processus qui nécessitera la participation des linguistes et chercheurs dans tous les domaines concernés afin de concrétiser ce statut. Cette célébration en Algérie de la Journée internationale de la langue maternelle, consacrée au multilinguisme, a été marquée par une esquisse de décrispation dans les rapports entre langue arabe et langue amazighe. Au-delà des enjeux politiques et culturels, les langues sont aussi le support d'enjeux émotionnels. En effet, quoi de plus affectif que le rapport avec la mère ? Si l'on ne peut avoir qu'une mère, plusieurs langues maternelles peuvent assurément cohabiter dans un même pays.