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Retour critique sur le plan de désengorgement de la capitale
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Publié dans El Watan le 26 - 02 - 2017

El Watan publiait le 15 février dernier un dossier spécial consacré au programme stratégique des transports urbains de la wilaya d'Alger. L'objectif affiché est de désengorger la capitale par l'investissement dans les transports publics et leur réorganisation, ainsi que l'investissement dans la mise en place de 500 feux de circulation. Le programme est ambitieux et juste sur certains points, mais mérite que l'on revienne dessus en questionnant la démarche à la lumière des dernières avancées en termes de recherche, d'innovation et de pratiques de mobilité.
Le terme «désengorger» utilisé dans l'article fait référence clairement à l'automobile, qui semble rester au cœur du système de transport envisagé pour Alger. En effet, l'une des actions principales du plan stratégique d'Alger à l'horizon 2030 est la mise en place d'un macro-maillage autoroutier (voir le plan) qui couvre l'ensemble de la wilaya. Il se matérialise par le doublement des voies de circulation, la réalisation de trémies et, prochainement, la mise en place des feux de circulation et des parkings à étages. Même s'il est accompagné d'un plan de développement des transports en commun, la voiture semble rester au cœur du système. Or, pour désengorger réellement la ville, il est nécessaire de réaliser un report modal de l'automobile vers d'autres modes de transport d'une part, de réorganiser et de développer la ville des courtes distances, de la proximité et de la lenteur, d'autre part. Ceci implique une remise en question totale de la place de la voiture et du modèle de transport dominant.
C'est en tout cas ce qu'entreprennent beaucoup de villes à travers le monde. La voiture, du moins sous sa forme de transport individuel, n'est plus la bienvenue dans les villes. Les voiries sont réduites plutôt qu'élargies afin d'éviter les effets d'appel d'air qui entraînent des congestions. La fluidification du trafic, quant à elle, passe par une réduction des vitesses en donnant la priorité au piéton. Enfin, certaines villes comme Philadelphie aux Etats-Unis et Bordeaux en France vont jusqu'à la suppression des feux de circulation, susceptibles d'entraver cette fluidité d'après les dernières études dans le domaine.
De plus, nous sommes aujourd'hui à l'aube de nouvelles mobilités. Les nouveaux modes de vie, la réorganisation du travail et de l'économie, ainsi que les nouvelles technologies provoquent à travers le monde des «disruptions» des modèles existants que nous devons, en tant que planificateurs, prendre sérieusement en considération. De ce fait, il est important, dans le cas d'Alger, de définir une vision des transports qui anticipe les évolutions économiques, sociétales, environnementales et technologiques sur le court, le moyen et le long termes.
Tout en prenant en considération les propositions du plan stratégique, nous avançons ici cinq domaines d'actions qui peuvent contribuer à la construction de cette vision et de la stratégie qui en découle.
L'articulation mobilité, transport et urbanisme
Le plan de la wilaya propose de connecter l'ensemble des nouvelles cités de logement construites à Alger. Il s'agit bien entendu d'une excellente nouvelle, mais qui risque de se confronter aux habitudes de mobilité qui ont eu le temps de se mettre en place et face auxquelles il faudra être convaincant en termes d'offre, de temps de parcours, de confort, d'accessibilité et même de représentation sociale. De plus, ces actions ne sont pas suffisantes si elles restent ponctuelles et s'il n'y a pas de lien entre le développement de la ville et celui des transports.
Les nouvelles cités monofonctionnelles de la périphérie, par exemple, continueront à générer des flux entrants vers les centres s'il n'y a pas de réflexion sur la mixité fonctionnelle et la mobilité locale et de proximité. Aussi, les grands investissements sur le métro, le tramway, le train et les bus à haut niveau de service (BHNS) doivent être accompagnés d'une densification au niveau des nœuds de transport. Ceci permettrait de rentabiliser les investissements et de développer des quartiers connectés à la fois au réseau métropolitain et à l'échelle locale. Les quartiers du Hamma, de Hussein Dey et d'El Harrach, par exemple, devraient être au cœur de ce type de stratégie. Non pas par des densifications monofonctionnelles, mais bien dans le cadre d'une démarche mixte qui implique habitat, travail, industrie, services, etc.
La densification et la restructuration de l'offre
La wilaya d'Alger a annoncé l'acquisition de 300 bus pour combler le déficit. Or, il me paraît important de penser d'abord à une utilisation efficiente du parc existant. Tahkout et l'Etusa disposent d'un nombre important de bus dédiés au transport des étudiants et des travailleurs. Ils ne sont utilisés qu'à certaines heures de la journée et sont stationnés tout le reste du temps au niveau des dépôts, des cités universitaires ou des universités. Cette stratégie constitue une perte pour le réseau global, mais peut constituer une ressource pour combler en partie le déficit. Les étudiants n'ont pas besoin de bus réservés, mais plutôt d'abonnements abordables, voire même gratuits et entièrement subventionnés si telle est la politique adoptée.
La fabrication de l'espace public et l'aménagement des voiries
Le plan stratégique de transport prévoit également de créer des voies réservées notamment pour les BHNS. Il s'agit d'une bonne initiative, mais qui doit également être pensée globalement en suivant une vision claire. Le réaménagement des voies doit se généraliser au détriment de l'automobile et au profit des transports en commun. L'ensemble des lignes de bus doit pouvoir circuler indépendamment de la congestion du trafic. C'est une des conditions de leur attractivité. Densifier l'offre en transport en commun ne servira à rien si elle reste dépendante du trafic.
De plus, de tels aménagements doivent permettre de redessiner l'espace public en donnant la priorité au piéton et à la mobilité lente qui sont des conditions d'une meilleure qualité de vie en ville.
Penser une nouvelle gouvernance des transports
L'ensemble des projets entrepris depuis quelques années et annoncés par le directeur des transports de la wilaya d'Alger s'inscrit dans un modèle centralisé à l'européenne (dépendant des subventions publiques), qui est remis en question aujourd'hui avec les nouvelles technologies. De plus, l'ensemble des transporteurs privés, dits transports traditionnels ou informels, qui transportent des milliers d'Algérois chaque jour, ne semblent pas faire partie des plans et semblent voués à disparaître. Or, ils pourraient très bien intégrer le réseau officiel en leur donnant de nouvelles fonctions qui seraient complémentaires au réseau global.
Cette proposition se justifie par des études récentes, notamment pour la ville de Lisbonne, qui démontrent à travers une simulation que de petits véhicules de type voitures partagés et mini-bus, plus flexibles sur les trajets et régulés par des outils numériques, peuvent mener à une ville sans voiture individuelle et donc sans congestion, tout en répondant aux besoins de transport et de réduction des émissions de gaz à effets de serre. L'étude propose de revenir sur le modèle centralisé des transports et de l'hybrider en intégrant des modes qui existent déjà à Alger, mais en les faisant entrer dans l'ère numérique. Cette démarche permet d'anticiper et d'intégrer l'arrivée de compagnies telle que Uber et Flixebus qui brouillent les lignes de la mobilité, des transports et de l'emploi partout dans le monde.

Préparer la mobilité de demain
Pour finir, le plan de transport doit s'inscrire dans une démarche prospective qui anticipe les mobilités futures et les changements dans les modes de vie des habitants. Il doit également anticiper l'arrivée des nouveaux modes de transport, tels que la voiture autonome. L'installation de 500 feux de circulation par exemple n'est intéressante que si elle anticipe l'arrivée de ce nouveau mode (prévue pour 2020 en Europe) en permettant de développer un réseau de communication entre les véhicules et la ville.

Par Dr Aniss M. Mezoued
Chercheur à l'Ecole polytechnique fédérale
de Lausanne (EPFL) ; consultant pour le think tank Forum Vies Mobiles (de la SNCF).
Auteur du cours en ligne (MOOC) «Mobilité et urbanisme» sur www.coursera.org


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