Pris entre l'obstination des responsables du ministère de la Santé à démentir et à nier l'existence de pénurie — alors que les techniciens de ce département le savent bien, mais le politique prime — et l'inquiétude des opérateurs, le problème risque de devenir plus complexe. La rupture de stock de médicaments, voire plus de 200 dénominations communes internationales (DCI), dans le marché ville (officines) estimé à plus de 2 milliards de dollars, provoquée par le blocage des programmes à l'importation au niveau du ministère de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière, s'accentue de jour en jour. Pris entre l'obstination des responsables du ministère de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière à démentir et à nier l'existence de pénurie — alors que les techniciens de ce département le savent bien, mais le politique prime — et l'inquiétude des opérateurs, le problème risque de devenir plus complexe dans les prochaines semaines. D'ailleurs, on déplore déjà l'assèchement des stocks des officines et des établissements de santé, puisque même la matière première a été touchée par la restriction ministérielle. Les retards de trois mois pour la signature jusque-là de 60 à 65% des programmes se répercuteront automatiquement sur les délais liés à la passation de commandes auprès des fournisseurs ainsi qu'aux contraintes logistiques incompressibles d'acheminement des produits. Les opérateurs de la pharmacie et les entreprises pharmaceutiques peinent à avoir une visibilité sur l'évolution de la situation, puisque certains programmes sont encore en attente de validation et cela a été avoué à demi-mot par la conseillère du ministre sur les ondes de la Chaîne 3, après avoir déclaré que tous les programmes ont été libérés. «Ils exigent de nous encore de baisser les quantités ou bien présenter un bon de commande pour les produits de la PCH afin que le programme soit signé. C'est du jamais vu. On ne comprend plus rien. D'ailleurs, nous avons du mal à donner des explications à nos fournisseurs, car chaque jour on nous sort une nouvelle décision à la direction de la pharmacie», se plaint un directeur technique d'une entreprise pharmaceutique algérienne. Des produits fabriqués localement sont également touchés par cette rupture. Les programmes d'importation des matières premières n'ont été délivrés qu'en décembre 2016, ce qui a provoqué un blocage dans les unités de fabrication. Ce problème de rupture récurrent et cyclique est connu depuis des années, mais il semble que «rien n'ait été fait pour justement agir en amont sur cette indisponibilité qui met en danger des milliers de citoyens», s'indigne un pharmacien qui estime que l'autorité de santé a entre les mains l'ensemble des leviers lui permettant d'assurer une régulation de ce marché et une disponibilité sans faille. Pourtant, a-t-il souligné, les moyens technologiques sont tellement évolués que l'on peut anticiper et avoir une visibilité suffisante sur l'état de notre marché du médicament et minimiser ainsi le risque aussi bien pour le patient, les pharmacies d'officine, les entreprises impliquées que pour les ressources du Trésor public. Nul n'ignore que l'objectif recherché par cette décision de baisser des quantités des commandes est de réduire la facture de l'importation des médicaments estimée, cette année, à 1,8 milliard de dollars. «Le ministère de la Santé est censé savoir quels sont les besoins de l'Algérie en matière de médicaments, car il est destinataire de toutes les informations sur chaque produit autorisé à la commercialisation sur notre marché, avec les quantités annuelles correspondantes et même les quantités éventuelles de matières premières nécessaires, le cas échéant, à sa fabrication», précise un ancien fonctionnaire du ministère de la Santé. Et de rappeler que la réglementation oblige chaque intervenant concerné, producteur ou importateur, à détenir un stock minimal de trois mois à son niveau pour chaque produit dont il a la charge et à informer, tous les mois, le ministère de la Santé de l'état de ces stocks. «Ce qui permettra de donner une prévision extrêmement précise de l'état du marché national, avec un délai d'avance de deux à trois mois. Il devrait ainsi pouvoir alerter efficacement les décideurs concernés et leur permettre de prendre en amont les mesures appropriées pour éviter ce choc désagréable de la pénurie de médicaments et l'anxiété qu'il provoque chez des milliers de familles», a-t-il ajouté. De l'avis de nombreux experts, cette situation aurait pu être évitée, puisqu'elle engendre de nombreux problèmes, qu'ils soient d'ordre économique, social ou sanitaire. D'ailleurs, cela a permis encore une fois d'ouvrir la porte de l'informel dans le secteur du médicament, que l'Algérie a durant des années tenu à l'abri de la contrefaçon. «Je ne trouve plus mes médicaments en pharmacie, mais heureusement que la formule cabas existe encore», affirme une patiente rencontrée dans une pharmacie. «Il s'agit effectivement d'une réalité vécue par les patients algériens. Ils veulent avoir leur produit coûte que coûte, par n'importe quel moyen et c'est ce qui ouvre la porte à toutes les dérives. Nous recevons plusieurs demandes de patients pour leur acheter leurs produits à l'étranger. Parfois nous le faisons, quand c'est possible. Mais le danger est lorsque les médicaments sont proposés via internet», affirme un jeune pharmacien. Un phénomène qui a effectivement tendance à se généraliser et à outrepasser le milieu professionnel, à savoir les pharmacies, pour s'élargir davantage sur les réseaux sociaux où des médicaments de première nécessité avec les photos des boîtes sont proposés avec la précision suivante : «Achetés en France et en Tunisie». Persistant dans sa logique de déni, le ministère de la Santé contribue ainsi indirectement au développement du marché informel et de la contrefaçon du médicament qui montre déjà ses premières prémices.