Le débat sur l'économie informelle revient sur le devant de la scène. Le gouvernement prépare de nouveaux mécanismes susceptibles d'aider la bancarisation de l'économie souterraine. Disposez-vous de données quantifiant l'étendue de ce phénomène ? Il est vrai que le commerce informel existe dans nombre de pays, dont les plus industrialisés, mais il ne représente souvent qu'une part infime de 5 à 10% du produit national brut (PNB), voire de l'ensemble des transactions commerciales. Cette proportion serait de 35 à 40% en Algérie, ce qui est en elle-même un baromètre on ne peut plus clair d'un dérèglement patent de la régulation économique. Lorsqu'une économie souterraine accapare la moitié des richesses d'un pays, cela devient une problématique de taille qui nécessite un plan de lutte à la mesure du mal. Les organismes statistiques évaluent à 1,2 million, voire 1,4 million d'employés dans les réseaux informels de l'économie, tandis que les montants de la monnaie fiduciaire circulant hors canal bancaire représentent entre 25 et 30% de la masse monétaire, correspondant à une valeur estimée entre 3500 à 4000 milliards de dinars. Bien qu'il ne soit nullement évident de quantifier avec précision la taille du phénomène, les données existantes suffisent à mettre en demeure toutes les institutions du pays. Les estimations de la taille du marché informel des devises sont tout aussi alarmantes ; il représenterait entre 15 et 20% de la valeur des importations, correspondant à environ 7 milliards de dollars pour une facture d'importation de 46,727 milliards de dollars en 2016. Ce n'est, toutefois, que la face visible de l'iceberg. Le poids de l'économie informelle est pesant. Le défaut de facturation, l'omniprésence du cash et l'absence des moyens de paiement modernes… autant de facteurs limitant à la fois la quantification et la lutte contre l'économie souterraine. Pensez-vous que les mécanismes mis en place depuis 2015 destinés à bancariser l'argent de l'informel se sont avérés inefficaces ? Les dispositifs d'inclusion financière mis en place depuis 2015, dont la mise en conformité fiscale volontaire et l'emprunt obligataire, destinés essentiellement à bancariser l'économie informelle, ont montré leurs limites. En témoignent les résultats obtenus au bout de plusieurs mois de mise en œuvre qui sont loin de répondre aux objectifs initialement fixés par le gouvernement, ce qui appelle à une nouvelle orthodoxie bancaire et fiscale en tenant compte de l'aspect confiance. Il faut dire les choses crûment, le déficit de confiance a été à la source même de l'échec des précédents mécanismes d'inclusion financière, tant au plan financier que fiscal. Il faut se rendre à l'évidence que l'aspect confiance détermine la réussite des politiques financières et fiscales. En parlant justement de la fiscalité, il ne faut pas aller par quatre chemins pour chercher les raisons de la faiblesse des recouvrements, dont la collecte de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Ne souffrant aucune ambiguïté, cette faiblesse est due notamment à l'absence de facturation dans les transactions commerciales et dans la distribution des biens et consommables. Quelle serait, d'après-vous, la cure la plus appropriée pour prévenir une métastase de cette pathologie si préjudiciable pour l'économie ? Tous les ingrédients sont disponibles pour que la taille de l'économie souterraine ne recule pas d'un iota. On ne peut pas faire face à ce phénomène sous l'angle restreint d'une pathologie économique sans que l'on mette en œuvre des cures actives contre la fraude et l'évasion fiscales. Des règles de jeu claires, transparentes et justes doivent être appliquées pour tous les acteurs économiques. C'est ainsi que l'on parviendra à renforcer le sentiment de confiance parmi l'ensemble des contribuables et rétrécir, par la même, la superficie et la taille des réseaux informels. La justice, l'égalité et la transparence dans le traitement de l'ensemble des acteurs économiques sont des éléments d'une importance première. Pour lutter contre les circuits invisibles de l'économie, le gouvernement doit aussi investir dans les marchés de proximité, encourager et faciliter l'investissement, lever les contraintes s'érigeant contre le développement de la grande distribution en Algérie, assainir les réseaux logistiques et de distribution dans lesquels prospèrent les intermédiaires et les spéculateurs, etc. Il faut reconnaître néanmoins que durant les cinq dernières années, on a vu les pouvoirs publics redoubler d'efforts sur certains aspects liés à la numérisation des procédures, à la lutte contre la bureaucratie et à la maîtrise budgétaire. On peut s'attendre à des résultats encourageants sur le moyen terme tant il est vrai que ces réformes sont structurelles et de nature, de l'avis même de la patronne du FMI, Christine Lagarde, à constituer un «exemple à suivre». Nous nous félicitons également de la décision de dédier tout un ministère à l'économie numérique, ce qui témoigne d'une prise de conscience quant aux défis technologiques qui s'offrent à l'Algérie.