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Abecedarius
De l'humanisme avant tout !
Publié dans El Watan le 16 - 11 - 2006

« Que m'importe ce qui n'importe qu'à moi ? », écrit André Malraux dans ses Antimémoires. Ce qui semble à première vue la démarche d'un écrivain faisant cavalier seul est en fait un trait pertinent de la classe intellectuelle française depuis la révolution de 1789.
On le voit en 1923, en Extrême-Orient, impliqué dans une histoire de vol d'objets archéologiques. Arrêté, il est aussitôt libéré. Puis, comme pour se racheter, il prend position pour les peuples opprimés de cette partie du monde, d'où germa son grand roman La condition humaine. Pour le compte de qui arpentait-il alors le monde pour acquérir des œuvres artistiques et archéologiques, sinon celui de la France qui entendait répliquer aux Anglais qui avaient mis en coupe réglée une grande partie des trésors mondiaux de l'art depuis le début du XIXe siècle ? L'histoire de la « pierre de Rosette » déchiffrée par Champollion, mais reprise par les Anglais, n'était-elle pas restée en travers de la gorge de la société historique française ? Dans la même veine, Malraux manque perdre la vie au sud du Yémen où il devait, dans les années 1930, survoler la région à la recherche des vestiges du royaume de la reine de Saba. Il se reprend de la mésaventure en s'engageant aux côtés des républicains espagnols dans leur combat contre le fascisme franquiste et son allié nazi. Même s'il donnait l'impression d'un superbe mariage entre son verbe et son action, il eut toujours à affronter les difficultés d'un équilibre définitif entre les deux. Les musées d'Occident ont fait le plein d'objets précieux venant des pays anciennement occupés. Les recommandations répétées au sein de l'Unesco pour restituer ces trésors à leurs propriétaires sont restées lettre morte. André Malraux semblait tenir son penchant marqué pour les objets d'art de Vivant Denon qui avait ouvert la voie. Graveur de grand talent et collectionneur, celui-ci fut en 1797 de la campagne de Bonaparte en Egypte. Il en ramena une cargaison d'objets archéologiques. Toutefois, si Denon avait préféré démissionner de son poste de directeur général des musées à la chute de Bonaparte en 1815, refusant de restituer les trésors archéologiques à leurs propriétaires de droit, Malraux, lui, a choisi, à chaque fois, de se mettre dans la peau d'un grand humaniste, tâche dont il s'acquitta honorablement. Quel rapport y a-t-il entre dérober un objet archéologique et écrire des romans de grande facture ou deviser de l'histoire de l'art ? Il y a, assurément, un côté moralisateur dans la démarche de Malraux qui le démarque de ses prédécesseurs. En effet, il ne se targue pas d'avoir tenté de voler pour son pays, mais, pour lui-même, donc par sens de l'esthétique. C'est ce qui le distingue encore d'un autre ministre du général de Gaulle, Jacques Soustelle (1912-1990), l'ethnologue spécialiste de l'Amérique latine qui n'a pas hésité à subtiliser plusieurs objets de la civilisation aztèque. « C'est la faute à l'Arabe », répond Vivant Denon lorsqu'on lui reproche d'avoir mal esquissé sur ses carnets les contours d'une colonne pharaonique durant la campagne d'Egypte. Il prit son fusil et tira sur celui qui l'attaquait, puis, reprit son crayon pour continuer ses relevés. Malraux, lui, ne s'accommode pas de l'action lorsque celle-ci est dépourvue d'humanisme. Plutôt que de suivre la trace d'un Jacques Soustelle, ou de nourrir des idées malsaines à propos des trésors archéologiques de l'Inde, il montra un vif intérêt pour l'avenir de ce pays. Au cours d'une veillée restée célèbre, Malraux, remarquant, avec justesse, que les vaches continuaient de faire le malheur de l'Inde, se fit répondre par son hôte, Nehru : « Donne-moi l'occasion de faire sortir ces vaches de mon pays, en une seule nuit, et sans attirer l'attention des Sikhs et des autres croyances, et je te promets de faire de l'Inde la plus grande puissance du monde ! » « Le pur humanisme, c'est-à-dire le culte de tout ce qui est de l'homme », selon l'expression d'Ernest Renan, c'est, peut-être, ce qui a permis à André Malraux de remonter la pente, pour ainsi dire, et de situer son combat ailleurs.

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